Les mots tête de lard, ceux qui semblent n’en faire qu’à leur tête, ramenard, fêtard, pétard, hasard, regard, dès qu’un petit nouveau me tombe sous la main, c’est l’extase. Celui-ci est unique, il a en plus les pieds dans le terroir, et son R majuscule le distingue du commun des têtes de lard puisque c’est un nom propre. Un Replongeard c’est un gars qui est né à Replonges au pied de la roche de Solutré, dans la Bresse mâconnaise. Dumay Raymond en est un, berger et instituteur – deux beaux métiers – puis journaliste à la « Gazette des Arts », entre nous ça pose plus son homme que chroniqueur à la RVF – je suis mauvaise langue – il va enfourcher sa Terrot qu’il surnommait « Pégazou », en hommage au cheval ailé de la mythologie, « après avoir sifflé chaque matin un verre de blanc, pour aller, chasser nez au vent, les poètes, les jolies filles, les bons vins, les grands textes, les buissons de queues d’écrevisses et les perdrix de mer flambées au Cognac. » *
* dans le sous-titre de la chronique de Jérôme Garcin sur la réédition des livres de Dumay on le qualifie de romancier et d'oenologue. De grâce épargnez-nous l'oenologie pour un bon buveur, merci à Gérard Muteaud de faire le nécessaire pour que le Nouvel Obs s'en tienne aux oenophiles...
Dumay chevauchant son « Pégase de liaison » va s’enfoncer, au lendemain des années noires de l’Occupation, dans la France profonde des « petits chemins sinueux comme des vipères entortillées ». Deux mots sur la Terrot, une moto bien française, Dijonnaise, râblée, vaillante, pas pour un sou élégante avec ses selles larges comme le cul d’Andréa Ferréol dans la Grande Bouffe, ses pneus minus, Dumay disait qu’elle était dotée d’une « forte personnalité ». Bien évidemment rien à voir avoir avec le feulement de la Harley de Dennis Hopper dans « Easy Rider », la fille de Dijon pète, ahane plus qu’elle n’halète, mais Dumay n’en a cure, lui qui ne fait pas sien le proverbe bourguignon « On aime mieux y croire/ Que d’aller y voir » va aller y voir en commençant par arpenter, dès 1948, sa Bourgogne natale « terre mystique de vins puissants et de chantantes eaux ».
Lire l’été soit sous les charmilles, avant et après une sieste réparatrice, soit à la fraicheur du matin face à la mer avant d’aller prendre un bon bain est, n’en déplaise au sieur Ted Stanger, un vrai plaisir à la française. Alors des vagabondages de Dumay «qui empruntent à Bachelard et à Vialatte» de 1948 à 1954 vont naître 4 livres : Ma Route de Bourgogne, Ma Route d’Aquitaine, Ma Route de Languedoc, Ma Route de Provence, des livres euphorisants, capiteux, publiés par René Julliard et qui, il faut le souligner, connaîtront le succès. La Table Ronde les réédite et, comme le note Jérôme Garcin, « s’ils ont peu vieilli, si on avec un tel bonheur, et un peu de mélancolie, c’est que ce ne sont pas des guides touristiques, mais plutôt des promenades érudites et primesautières. » Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire très chers lecteurs.
Son premier « road movie » part de Paris : « il est difficile de faire lâcher prise à Paris. On part, on roule et la ville est toujours là, collée contre vos flancs, avec ses postes d’essence, ses cafés-tabacs défraîchis, ses maisons à bon marché, ses villas. De temps en temps une ferme, un pré vous donnent quelque espoir, mais aussitôt surgissent un lotissement, une usine ou un gros autobus vert qui se dandine au milieu de la chaussée. » Chez Dumay le trait va toujours à l’essentiel « Avon est une petite ville qui trouve le moyen d’être laide au milieu d’une belle forêt. ». Lorsqu’il raconte la rencontre de Stevenson, à l’hôtel Chevillon, de Gretz-sur-Loing, en 1876, avec l’américaine Fanny Osbourne, fille de pionniers, une femme avec une volonté de fer, des idées bien ancrées, des partis violents » sa plume s’envole « Ce fut le coup de foudre réciproque, aidé peut-être par la qualité du Bourgogne pour lequel Stevenson avait un faible. Bien qu’elle fût son aînée de dix ans, il sentit qu’il ne lui échapperait jamais. Lui qui, jusqu’à sa mort, devait rechercher la pureté, il rencontra à vingt-six ans, sur le bord de la petite rivière d’herbes et de poissons, cette femme qui « appartenait à l’enfance de l’humanité ».
À Saint-Sauveur, Dumay cherche la rue des Vignes. La rue de Colette, pour y trouver « sa maison, la maison. ». Il rencontre madame Jolivot « qui a été à l’école avec elle » et M. Jolivot qui a assisté à la campagne électorale du capitaine, celle qui conduisit une fillette de sept ou huit ans dans les cafés de village où elle trinquait au vin rouge avec les fermiers et les maquignons.
- Il n’y avait pas beaucoup de monde aux réunions du père de Colette. C’était un soldat du Second Empire qui se présentait comme un candidat conservateur. Or, la Puisaye a toujours été rouge. »
« On m’avait dit à Noyers : « Pour aller à Auxerre prenez par Chablis. La route est un peu plus longue, mais en meilleur état. Quand vous aurez franchi la porte, quand vous serez en France, prenez à droite » (...)
À l’heure du dîner, j’arrivai à la ville. Pouvais-je la traverser sans saluer ce vin blanc qui sert, dans le monde des vignerons, à désigner certain cru léger, fruité et d’une belle ligne. »
Ce vin de Chablis Dumay écrit que son plus beau titre est de dire de lui « qu’il a de l’amour ». Le voilà aux portes de la Bourgogne et moi non pas pour « faire genre » mais vous donnez soif, soif de lire, je vous réserve la suite pour demain sur mes lignes.