Mon ami Daniele de Michele, dit Don Pasta, est beau, ça c’est à l’attention de mes jeunes amies ; il adore Charly Parker, ça c’est pour mes vieux copains ; c’est le roi de la parmigiana, bien lourde, celle de sa grand-mère qui tenait au corps, ça c’est pour Claire ; c’est une belle âme, vigoureuse et soucieuse des gens de peu, ça c’est pour les repus de la Toile, bedonnant, pontifiant sur les bons produits paysans authentiques tout en restant le cul sur leur chaise confortable.
Les 3 photos de Daniele sont signées Lorenzo Cuppini©
Daniele, dans son récent spectacle pour l’exposition « l’art fait ventre » à l’Espace Cardin, nous a régalés de musique, un trio magique, percutant, habité – les musiciens: Raffaele Casarano au sax et Marco Bardoscia à la contrebasse, et Zamua le chanteur moitié sarde moitié du burundais (voir vidéo) et à la régie vidéo Margot Lançon – de ses extraordinaires dons de conteur. Road-movie d’images, de musique live, de la geste de la main qui fait et du cœur qui dit. Loin de ces affreux gastronomes, de ces diseurs de plat sans âme.
Hasard de mes lectures, le lendemain, en déjeunant face à la mer (le bassin de la Villette) je découvrais un texte de Giovanni Verga le plus grand écrivain vériste italien qui parle si bien « des vaincus de la vie »
Dans sa nouvelle Rêverie il fait dire à une belle dame qui, passant en train près d’Aci-Trezza, avait déclaré « Je resterais bien un mois ici ! » et qui n’y était restée que 48 heures :
« Je ne comprends pas comment on peut vivre ici toute une vie. »
Le narrateur impitoyable répond « C’est une chose singulière ; mais peut-être n’est-ce pas un mal qu’il en soit ainsi – pour vous et pour tous les gens de votre espèce. Cette poignée de baraques est habitée par des pêcheurs, « gens de mer », disent-ils, comme d’autres diraient « gens de robe », lesquels ont la peau plus dure que le pain qu’ils mangent, quand ils mangent, car la mer n’est pas toujours aussi aimable que le jour où elle caressait vos gants… Aux jours sombres, en effet, elle écume et gronde, il faut se contenter de la regarder du rivage, les bras croisés ou couché à plat ventre, ce qui est préférable pour qui a le ventre creux. Ces jours-là, il y a foule à la porte de l’auberge, mais sur le zinc, les grosses pièces ne résonnent pas souvent et les gosses qui pullulent dans la contrée, à croire que la misère est un parfait engrais, poussent des hurlements et se griffent comme s’ils avaient le diable au corps. »
Autre temps, temps lointain, profondeur de l’Histoire me dira-t-on, mais qui en dit long sur ces femmes et ces hommes « accrochés » à une terre ou à une mer si peu nourricière. Pas si lointain tout de même pour qu’on ne l’oublie, qu’on ne la ripoline pour faire oublier les « horreurs lisses » du monde moderne si propre sur lui.
Plutôt que de gémir, gésir, de regretter, il faut agir, faire que les câpres de Pantelleria de mon ami Don Pasta existent, que ceux pour qui la terre est si basse puisse continuer de vivre debout. Ça ne dépend que de nous !
La parole est au poète car le poète à toujours raison :
Il faut sauver les câpres de Pantelleria… patrimoine d’Italie, du monde… de tout l’univers…
Car tout le monde sait que ce sont les meilleures…
Mais ces plantes ont gagné avec l’homme la bataille la plus compliquée…
La sélection darwinienne…
De telle sorte qu’une fleur magnifique s’épanouisse pour rendre chaque chose plus belle…
Il les récoltait dans le vent…. fort… les câpres
Les mains rapides….
Un changement continue de position… car on a toujours un risque de trop plier son dos…
Et on risque de plier son dos pour toujours…
Il me disait que plus personne ne veut le faire… que plus personne veut que ses fils passent la vie à plier leur dos… à risquer de se le casser pour toujours…
Ce n’est pas facile lorsqu’on est des guerriers qui défient le vent… de savoir que soi-même et ses fils risquent d’avoir le dos plié.
Mieux vaut ne plus faire ça…
Personne n’achète plus les câpres!
Mieux vaut plier le dos à une économie folle… se plier en deux pour mieux prier le bon dieu qui nous aide à chercher un travail pour nos fils…
Mieux vaut que les câpres deviennent fleur pour un jour …
On se reverra l’année prochain pour un autre jour de beauté...
Mais vous savez…
Ces gens connaissent l’élixir pour une longue vie…
Vous savez ce que veut dire garder pour l’éternité la beauté d’une fleur?
C’est la métaphore des câpres!
Câpres de Pantelleria au sel chez RAP link
Presque fleurs… on les met dans le sel… on les tuent…
Elles resteront toujours amères...
Ce n’est qu’après… quand on les posera dans la marmite entre les ingrédients…
Que toute la douceur de la fleur sera dégagée
Toutes ces douceurs gardées dans le temps…
Apparemment perdues… et offertes aux autres…
Sacrifice pour la beauté de tous…
Voilà pourquoi il faut sauver les câpres de Pantelleria
Elle, presque fleur, tuée dans le sel… pour qu’elle reste fleur toute la vie
Métaphore des vies sucrés-salés où il est bien pour chacun d’accepter de vivre…
Car la félicité dure juste un instant… la vie, elle, dure une vie entière…
Et les douceurs... Il est bien qu’on apprenne à les garder dans le temps…
Comme les câpres de Pantelleria
Daniele c’est mon ami, lui est né dans les Pouilles, le talon de la botte italienne, il évoque à tout propos sa grand-mère, Nonna Chiarina de Otranto, 90 ans, sa sauce tomate d’ici, son huile d’olive, sa parmigiana ; et moi né dans ma Vendée crottée je vous bassine souvent avec feu ma mémé Marie. Nous sommes frères de cœur et de fidélité.
Pour les petits nouveaux sur ce blog Daniele et moi nous sommes connus grâce à Wine Sound System: Francis Boulard&Nina Simone, Amy Winehouse&Olivier de Moor, Léonard Cohen&Patrick Baudouin link et Vin populaire : un Bag-in-Box de vin naturel de la coopé d’Estézargues pour se chauffer avant un concert de Tom Waits link
En prime je vous conseille :
1- de visionner la très belle vidéo de la Signora Giovanna c’est en dialecte mais les images parlent d’elle-même, à voir absolument par les fondus de pasta.
2- D’écouter une valeur sûre qui monte Zamua