Je m’extasie.
J’adore voir se mouvoir dans leur youpala, tétine au bec, ces chères têtes blondes, brunes ou rousses, couvées comme des orchidées rares par leurs procréateurs. J’avoue être fasciné par les nouveaux modes d’élevage des enfants en bas-âge. Ces pauvres petits que leurs parents préparent à la vie, comme une Formule juste avant le warm-up, sont observés, auscultés, bichonnés, surveillés, scolarisés… la génération du cocooning fort développé chez les bobos nous mijote de fameux petits assistés par ordinateur.
Vous allez dire que j’exagère, que je généralise… Sans doute mais les partisans du laisser-faire la nature sont souvent de grands interventionnistes pour l’élevage de leurs enfants. Des fois qu’ils tourneraient au vinaigre ces braves petits ! J’arrête là mes élucubrations pédiatriques pour revenir au youpala qui ne présente aucun intérêt dans l'acquisition de la marche de l'enfant. La meilleure façon d’apprendre à marcher pour un tout juste né c’est de se casser la gueule du haut de ses quelques centimètres. Désolé de cette longue digression sur l’un des premiers apprentissages de la vie mais c’était pour en arriver à un constat : je croise de plus en plus de jeunes amateurs de vin qui l’ont expérimenté avec un youpala.
Qu’est-ce à dire ?
Tout bêtement que ces jeunes filles et ces jeunes gens sont très souvent entrés « en vin » assistés par les zélateurs d’une chapelle, d’un clan, par les défenseurs de ceci ou de cela, par l’entremise de maîtres à penser, par des lectures, avec leur tête quoi… C’est un peu avec eux comme si leur première gorgée de vin fut un acte militant. Bien bordé, bien au chaud, ils répugnent à s’aventurer sur les sentiers inconnus de l’expérience du verre de vin inconnu. Normal, ils craignent de se faire piéger, d’ingurgiter des liquides impurs, d’aimer des jus non bénis par la confrérie, de paraître ridicules. Ils sont à leur manière des buveurs d’étiquettes : ils boivent du vigneron avant de boire du vin. Comme l’écrit très pertinemment JP Kauffmann la dégustation « démasque la nature profonde des êtres. L’arrogance, la rigueur, l’humilité, la poltronnerie, la sagacité, l’opportunisme, la ruse, la cuistrerie, une certaine forme de sagesse. »
Entre soi c’est plus rassurant, le risque est minoré, bien bordé dans son youpala on compense son absence d’autonomie en se donnant le sentiment de savoir marcher tout seul mais ça ne mène pas très loin vous en conviendrez. Ceci écrit, libre à eux, ça ne me dérange pas. Jamais je n’ai fait la moindre remarque à qui que ce soit sur les nouvelles méthodes d’élevage des enfants alors je ne vais pas en faire aux nouveaux buveurs d’étiquettes. Ce qui motive mon propos d’aujourd’hui c’est que j’en ai un peu marre de lire au détour de Face de Bouc les prêchiprêchas de certains de ces petits cui-cui qui se piquent de monter en chaire, soit pour admonester les pécheurs, soit pour se plaindre des méchants qui ne pensent pas comme eux. Et qu’on ne vienne pas me chanter qu’ils sont pleins de bonnes intentions, que sous les pavés y’a le terroir, que l’avenir du monde dépend de la façon dont on fait le vin.
Tout ça me gonfle tout autant que les gloses de ceux qui les traitent de nom d’oiseaux. C’est l’âge sans doute mais ça ne se soigne pas. La seule thérapie efficace face à toute cette effervescence qui confond agitation avec action c’est d’appliquer la méthode Gheerbrant, celle des Makiritares d’Amazonie « aller dans le sens du danger, le toucher du bout doigt de telle façon que sa force elle-même nous rejette après nous avoir attirés. » et Gheerbrant d’ajouter « j’étais encore indécrottablement rationnel, prétentieux, timoré et avare dans ce dedans de ma tête de Blanc qui croit détenir le pouvoir de commander au mouvement en s’opposant à lui, au lieu d’aller vers lui, de se fondre en lui, d’abord, et d’obéir ensuite à ce que décide le corps. »
Vous allez me rétorquer : comprenne qui pourra mais si vous vous donnez la peine de réfléchir un chouïa ce n’est pas aussi au con que ça en a l’air. Allez au contact certes c’est risquer de se salir les mains, mais en revanche rester bien au chaud entre soi c’est garder les mains blanches mais alors à quoi servent-elles ? L’expérience ça cabosse, ça laisse des traces, des cicatrices, mais putain que c’est bon d’avoir fréquenté des gens qui ne vous ressemblent pas. Dans la planète des vins c’est du pareil au même : rien ne vaut la liberté des grands espaces, les coins de bar avec leurs jajas sans avenir sirotés en refaisant le monde, les grands de ce monde dégustés dans des verres à pied, le vin à la pipette des caves improbables, le vin qu’on ne boit pas avec sa tête mais qui fait tourner les têtes, oser l’ivresse, danser jusqu’à plus soif, même chanter, aimer des petites lichettes sans prétention, s’offrir du rêve, larguer les amarres, mettre son youpala au clou avant de passer du statut de JC à celui de VC, dire à toutes les Lolita S qui ne font la différence entre le lait de leur biberon et un kil de picrate vendu au prix du Caviar : « Quiconque prétends s'ériger en juge de la vérité et du savoir s'expose à périr sous les éclats de rire des Dieux. » Albert Einstein. Mais je sais ce pauvre Albert pour les Lolita S n’est qu’un VC car il n’a pas su choisir des sujets plus impliquant, et qu’elles seules savent proclamer : « Soyez plus uberline les gars, on s'endort avec vos vœux et coutumes vieillottes… »
Je m’extasie ! J’adore ! T’es pas Patti Smith jeune fille rien qu’une nanoseconde sur la Toile : t’as de l’avenir tu sais mais va falloir foutre ton youpala par-dessus bord …