De nos jours ternes postmodernes, les beaux châteaux de Bordeaux peuvent tomber dans n’importe quel baquet venu d’un vulgaire coursier de F1 : un Schumacher ou un Alonso. Autre temps autre mœurs lorsque nos rois armaient le bras de capitaines et de leurs équipages pour « courir sus » aux ennemis de son pays en temps de guerre. La lettre de Course est une lettre patente qui confère au navire et à son équipage le statut de corsaire lui permettant de rechercher, attaquer, saisir et détruire les navires ou les équipements d'une nation adverse dans les eaux territoriales internationales ou étrangères. Le corsaire doit déclarer ses prises et traiter les équipages et les passagers comme des prisonniers de guerre. Les corsaires capturés sont eux-mêmes considérés comme des prisonniers de guerre et non comme des pirates.
« La « course » a été abolie en 1856 par la Déclaration de Paris. Cependant, les États-Unis n'en sont pas signataires. Selon la constitution américaine, le Congrès conserve le droit de « déclarer la guerre, d'accorder des lettres de marque et de représailles et d'établir des règlements concernant les prises sur terre et sur mer » (Article 1, section VIII). Tout récemment, l'administration Bush, après les attentats du 11 septembre 2001, a renforcé le droit constitutionnel de prises en mer en faisant voter une loi, September 11 Marque and Reprisal Actes of 2001, qui autorise le Département d'État à octroyer des lettres de marque sans attendre l'aval du Congrès. »
Jacques Conte, protestant de Charente-Maritime, armateur de corsaires qui avait commencé sa carrière comme mousse fut à partir de 1784 le roi de la Course. L’homme, hormis son sens des affaires, avaient bien des atouts pour réussir « Jeanne, l’une de ses sœurs d’un premier lit, avait épousé l’avocat François Guestier, originaire de Talmont, le père de Daniel futur négociant et armateur associé aux Barton. Marie, l’autre sœur, s’était mariée avec Pierre Sorbé, négociant protestant originaire de l’Agenais. »
C’est sous le Directoire que la chance sourit à Jacques Conte. « Entre 1795 et 1806 il arme huit corsaires : L’Aventure, l’Aigle, Le Huron, L’Heureux ou Petit Heureux, La Vengeance, La Confiance et La Bellone. Ils effectuent 32 croisières soit 15% du total des armements en course de Bordeaux entre 1793 et 1814. Seul 3 navires sont pris alors que le taux des pertes atteint 70%. Il faut dire qu’ils sont commandés par les meilleurs capitaines du moment : le Bordelais Jacques Perroud (1773-1822) sur La Bellone ou le malouin Robert Surcouf (1773-1827) sur La Confiance. Ces huit navires enlevèrent à l’ennemi 150 bâtiments dont 103 furent introduits dans des ports français. Ils rapportèrent une somme brute de 29,6 millions pour un bénéfice net de 13,3 pour les actionnaires. »
Jacques Conte devient donc millionnaire en quelques années. « Cette réussite lui permet d’accéder à la notabilité sous le Consulat. Quatre mois après le décès de sa première épouse, Jeanne Sorbé, il se remarie avec Béatrix d’Hanache, un colon de Saint-Domingue, lié à la faillite de Romberg, Bapst&Cie et ruiné par la révolte des esclaves. Deux mois plus tard, il achète le château de Beychevelle pour 262 400 francs. Alliance avec la noblesse et investissement terrien de prestige révèlent un désir de respectabilité pour celui qui restait encore un parvenu. Mais l’apogée est de courte durée. Sous l’Empire, une conjonction de facteurs conduisent à une effacement progressif (...) En 1825, Conte fut contraint de vendre le domaine de Beychevelle à son petit neveu, Pierre-François Guestier junior. La transaction s’élevait à la somme colossale de 650 000 francs. Le château, qui comprenait une trentaine de pièces, fut vendu avec tout son mobilier (23000 francs) en bois peint ou en bois des Îles et du Brésil. La splendeur de Conte était révolue. Quand il s’éteignit, onze ans plus tard, à Villenave d’Ornon, dans une chambre du domaine de son gendre, Jean de Lanasaa, Jacques Conte laissait pour 786 francs de biens personnels. Météore du commerce bordelais, trop lié aux spéculations hasardeuses de la course, Jacques Conte ne réussit pas à assurer sa succession et à créer une dynastie. »
Les extraits entre guillemets sont tirés de Négociants et Marchands de Bordeaux de la Guerre d’Amérique à la Restauration (1780-1830) de Philippe Gardey au PUPS pages 254-255 et 382 et 383