Avoir du caractère n’implique pas pour autant que celui-ci fut mauvais, bien au contraire, mais indique qu’il est bien trempé, avec des angles, du répondant. Il en va ainsi pour certains vins et surtout certains fromages qui ne sont pas d’accès facile : certains puent alors qu’ils sont tendres et doux au goût ; d’autres présentent des aspects peu attrayants et même parfois répugnants pour les âmes sensibles : ce sont souvent des fromages de caractère qu’il faut aborder avec une bouche précautionneuse, attentive, je dirais même respectueuse. Pas question de les enfourner, de les mâchouiller, de les avaler sans leur laisser le temps de se mettre en bouche, d’activer vos papilles, de délivrer leurs saveurs intenses.
Telle est la posture du « Castelmagno » fromage des bergers l’Alta Valle Grana, qui tire son nom d’une petite commune de la province de Cuneo dans la région du Piémont (située à environ 80 km au sud de Turin, et environ 25 km à l'ouest de Cuneo). Le monde est petit car dans le cadre de mes vaches du Sud-Ouest j’ai découvert l’existence d’une entreprise laitière italienne InAlpi qui cherche du lait en France pour alimenter Ferrero Rocher le célèbre fabricant du Nutella. L'origine du Castelmagno est très ancienne : elle est de peu postérieure, si ce n'est contemporaine, à celle du Gorgonzola, déjà connu en 1100. Les premières meules furent produites dit-on au XIIème siècle comme en atteste le manuscrit d'une sentence arbitrale de 1277, selon laquelle, pour l'usufruit de quelques pâturages contestés, entre les communes de Castelmagno et de Celle Macra, il avait été fixé une redevance annuelle - à payer au marquis de Saluces - d'une certaine quantité de fromages de Castelmagno. Le XIXe siècle fut l'âge d'or de ce prestigieux fromage : le Castelmagno devint le roi des fromages italiens et apparût sur les menus les plus prestigieux des restaurants de Londres et de Paris. Mais avec les guerres et l’exode rural des années 60, le Castelmagno a été à deux doigts de disparaitre. Sa production a reprit dans les années 80 et le Castelmagno a obtenu en 1982, l’AOC et, en 1996, la reconnaissance européenne AOP.
Ce fromage rare je l’ai bien sûr découvert par les bons soins du Monsieur Affineur de Fromage de Paris : Philippe Alleosse link qui, avec sa charmante épouse, sont les meilleurs ambassadeurs des fromages authentiques. La veille de Noël, sur le trottoir longeant leur boutique rue Poncelet dans le XVIIe, la file d’attente prenait des allures de celles des temps soviétiques. Ça fait plaisir, même s’il faut prendre son mal en patience, de constater que la belle ouvrage rencontre un public de connaisseurs. Pour la Noël j’ai donc placé au centre de mon plateau de fromage un Castelmagno de 24 mois qui tenait compagnie à un Curé nantais au lait cru, un Neufchâtel, un demi Maroilles, un Selles s/Cher et une part de Roquefort Carles.
Vous allez me dire que la France étant déjà suffisamment riche en variétés de fromages pourquoi diable aller en dénicher un nouveau chez nos voisins transalpins ? Tout bêtement, comme pour le vin, parce qu’il est toujours intéressant de découvrir un fromage de grand caractère, frère de lait, si je puis dire, de nos plus belles AOC devenues AOP. Découverte donc, avec en préambule pour les hôtes un petit speech – plus court rassurez-vous que celui-ci-dessous – afin de présenter le nouveau venu. Ensuite les plus aventureux ou curieux s’y risquent, goûte. Bien sûr le Castelmagno n’est pas un enfant de chœur, il en a sous la soutane et son piquant vaut sans contestation celui de Gina Lollobrigida (version pour les de mon âge) ou de Monica Bellucci mais, passé le temps de l’émoi, vient celui du plaisir. L’alpage, le bon air et les bergères, le Castelmagno s’épanouit, se donne, touche et, au-delà des commentaires d’usage des invités pour faire plaisir à celui qui leur a proposé de le découvrir, ce qui est probant c’est de constater que certains en reprennent. Reste la question à 1000 euros : que boire avec un tel fromage ? Pour tout vous dire je ne sais pas car il peut se suffire largement à lui-même. Cependant, pour rester dans sa province natale, j’ai choisi de vous proposer un Dolcetto d’Alba.
Lorsqu’on évoque Alba on pense de suite à sa merveilleuse truffe blanche, mais aussi par le plus célèbre de ses vins : le Dolcetto d'Alba. Mais au risque de vous surprendre je vais évoquer un écrivain italien méconnu né à Alba : Beppe Fenoglio dont Italo Calvino, célèbre lui, écrivait « Beppe Fenoglio parvint à rester à l'écart et silencieux à une époque où les écrivains tombent facilement dans le piège de se prendre pour des personnages publics. Il sut si bien se défendre qu'il ne reste aujourd'hui de lui qu'une image aux traits sévères et fiers ; ce n'est au fond qu'un masque, derrière lequel se dissimule un être qui continue de nous être inconnu » Pourquoi une telle évocation me direz-vous ? Deux raisons, la première très personnelle : j’aime beaucoup cet écrivain singulier qui n’a suivi ni modèle, ni genre, et qui se tint toujours en marge de la vie littéraire italienne pour effectuer un travail de recherche et d'expérimentation très original. Fenoglio c'est un style traduisant l'expérience de sa vie passée dans la région des Langhe ; la seconde, anecdotique : né à Alba en 1922, en 1943 il rejoint les partisans pour combattre les troupes fascistes. A la fin de la guerre il choisit de rester à Alba, d'y exercer sa profession de négociant en vin. Il conservera cette profession jusqu'à la fin de sa vie, préférant composer ses livres en marge de son travail, en « gentlemen writer »
Ca 'del Baio, l’Azienda Agricola, dont vient mon Dolcetto d’Alba 2009, se situe au cœur des Langhe,. Les activités vinicoles de la famille Gras remontent à 1880 : une vraie tradition transmise de père en fils au fil du temps. La production est principalement dédiée aux vins rouges : Barbaresco, Langhe Nebbiolo, Dolcetto d'Alba, Barbera d'Alba. La propriété compte 20 hectares, dont 17 sont des vignes. Pour moi ce Dolcetto D’Alba peut rivaliser avec les meilleurs Barolo, il est beaucoup plus séduisant, plus léger, mieux à même de cohabiter avec le puissant Castelmagnio.
Revenons à lui pour vous livrer sa fiche d’identité :
« Le fromage se présente sous forme cylindrique à faces planes d'un diamètre de 15 à 25 cm, un talon de 12 à 20 cm et un poids variable de 2 à 7 kg. La croûte est fine et lisse de couleur jaune rougeâtre sur les formes fraiches et assume une conformation rugueuse et une coloration ocre brunâtre sur les formes plus faites. La pâte, très friable et sans trous, est de couleur blanc ivoire avec une tendance à virer au jaune ocre et à présenter des veines bleu-vert sur les formes les plus faites. La présence de veines est due au développement de moisissures spéciales appartenant au genre penicillium, qui distinguent les fromages dits persillés ou à pâte bleue. Le persillage « erborinatura », terme dérivant du vocable du dialecte lombard « erborin » signifiant persil, se développe naturellement dans le Castelmagno avec la maturation sans avoir besoin d'inoculer de moisissures spéciales. »
« Le Castelmagno AOP est produit à partir du lait de vache, éventuellement additionné de lait ovin et/ou caprin dans un pourcentage variant de 5% à 20%. Le lait utilisé est obtenu par l'union du lait de deux traites dont la première est conservée à basse température et éventuellement écrémée par affleurement ou centrifugation. La coagulation est réalisée sur du lait cru chauffé dans des cuves en acier jusqu'à 35 à 38°C à l'aide de présure liquide. Le caillé est ensuite rompu jusqu'à la dimension d'une noisette (mais l'on arrive, dans certains cas, à la grosseur d'un grain de riz), et laissé sous le petit-lait pour une durée variable de 5 à 30 minutes et, enfin, extrait et placé sur des toiles où on le laisse s'égoutter pendant 24 heures. Au terme de cette période, le caillé est coupé en tranches et immergé dans des cuves en acier ou en plastique contenant le petit-lait de l'élaboration du jour ou d'élaborations précédentes. Le caillé est généralement laissé 2 à 3 jours dans ce petit-lait, puis extrait et haché. Il est ensuite salé au gros sel, placé dans des moules en plastique ou en acier et pressé 24 à 48 heures afin de faciliter le ressuyage. La maturation, réalisée dans des locaux naturels ou des cellules fraîches et humides, se poursuit deux mois au moins. »
« Le Castelmagno ne peut être produit, mûri et confectionné que sur le territoire administratif des communes de Castelmagno, Pradleves et Monterosso Grana dans la province de Cuneo. Le lait destiné à la transformation doit également provenir de ces communes. L'authenticité du produit est garantie par la présence de la marque gravée en relief sur chaque forme et imprimée au centre de l'étiquette caractéristique rappelant la forme d'une croix occitane. Le Castelmagno peut porter la mention supplémentaire « Produit de la montagne » lorsque la production du lait, la transformation et la maturation s'effectuent sur les zones classées "de montagne". Par contre, si le fromage est produit et mûri, toujours sur la zone de production reconnue mais à une altitude supérieure à 1000 m, il peut porter la mention « d'alpage ». Les deux mentions sont facilement identifiables par la couleur de l'étiquette, bleue pour le « Castelmagno produit en montagne » et verte pour le « Castelmagno d'alpage»