Je vouvoyais à nouveau Raphaël ; il venait d'investir mon imaginaire ça exigeait qu'il retrouvât la bonne distance, ni trop près, ni trop loin. Pour sceller ce pacte de fournisseur de matériaux, je me levais et lui donnais l'accolade sous la mitraille des regards électrisés de mon fan club de minettes formatées bimbos. Comme je suis un vieux bouc ça m'échauffait les gonades. L'heure n'étant pas au chalutage de menu fretin j'actionnais l'extincteur ; je pensais à Jasmine. A cette heure elle entamait le second versant de sa journée. Le premier, l'officiel, elle le passait dans un salon grand comme un mouchoir de poche à ratiboiser la toison de gays du Marais. Ils douillaient un max et ne représentaient aucun danger pour moi. Quand on a de l'âge, ce type de confort est appréciable. Vers 5 heures apm. elle rentrait chez elle. Se douchait. Pionçait jusqu'à 10 apm. Se levait fraîche comme une rose thé. Grignotait une biscotte complète sans sel, buvait un verre d'oranges pressées et se goinfrait de fruits frais. Ensuite elle se préparait pour ses raids underground. La fenêtre de tir venait de s'ouvrir. Jasmine acceptait les visites. Avant de tirer notre révérence je m'offris un raid éclair sur une table de pouffes en mules qui faisaient tache dans cet écrin de filles en fleurs. Leurs gloussements et cacassages et les remugles de leurs parfums à deux balles me portaient sur le système. « Ne vous attardez pas trop les pouffes, vous allez rater l'heure de la soupe à l'hospice... »
Stupeur et tremblements, je contemplais mon oeuvre de destruction avec la satisfaction d'un justicier car, ne vous en déplaise, la grossièreté appliquée sur une population vulgaire perd son gras pour s'élever au rang de grande cause nationale. En l'espèce, face à ces cinq blondasse gonflées à l'hélium, enduites de crèmes, de fards, de rouge criard, encuissardées, empochées dans du vinyle luisant, j'exerçais un droit d'ingérence. Toute ces viandes molles exposées, en passe de subir leur énième liposuccion, représentaient un danger pour les générations futures assemblées dans ce café. La vieillesse n'est plus un naufrage mais une incitation au suicide. Subir un tel spectacle de refus délibéré de vivre l'âge de ses artères n'est plus tolérable. Tous ces mecs ou nanas, ou les deux en un, bousillent le peu de respect qui me reste dans la nature humaine. Mon intolérance reste verbale. Je me débonde de temps en temps pour éviter le pire. Pétrifiées, elles me contemplaient avec stupeur. J'en rajoutais une louche : « feriez mieux d'aller sur la Net, à la rubrique femmes mûres, y'a du blé à faire pour ravaler vos façades... » Ma volte lente et mon pas trainant mes tongs m'exposaient au pire. Ce fut d'abord un long rugissement puis un tintinnabulement de bracelets suivi du fracas d'une table renversée. Je voyais Raphaël plonger. Le chaos, des verres brisés, des cris, des invectives, des claques... et moi, indemne, de me retourner. Au sol, sous un Raphaël triomphant, un long corps léopard musculeux maintenu par une clé à l'épaule, couinait d'une bouche mal dentée. Tout au haut d'un crane luisant une perruque dévissée annonçait le drame. Face au nez du patron furibard j'exhibais ma carte de police. Grimace mauvaise et repli. Je tendais la main à Raphaël pour le remettre sur pieds. Les coqs maquillés en poules me fusillaient de leurs regards charbonneux. « Viens, on se tire, sinon on va nous taxer d'homophobie... »