Assis côte à côte, à la tête de ce ver luisant filant à grande vitesse dans les boyaux de Paris, tel un vieux couple fatigué en transit, Raphaël et moi nous nous laissions porter par la main anonyme de l'ordinateur central. La fluidité de l'Eole libéré des caprices et des humeurs d'un conducteur de chair et de sang nous débarrassait du stress accumulé. Ce charroi en commun nous lévitait. Je pensais à Jasmine. Elle ouvrirait sa porte. Me sauterait au cou. Ferait comme si je venais de la quitter hier. Je lui présenterais Raphaël. Avant je lui offrirais ma brassée de fleurs en précisant que c'était Raphaël qui en avait eu lidée. Elle rirait de son petit rire, mousseux et cascadant, en tendant la main à un Raphaël un peu emprunté avec son sac à provisions. En même temps elle poserait les doigts de son autre main sur ses lèvres peintes en gazouillant " désolé de vous recevoir dans cette tenue..." Ce serait mon tour de m'esclaffer car, comme à son habitude, Jasmine nous recevrait nue. C'était sa tenue d'intérieur. Elle lui allait bien car ses longs cheveux, raides et jais, tombant jusqu'au ras de ses fesses, son tatouage couvrant son flanc gauche : une monstre crachant le feu, son piercing au nombril, son pubis bien taillé et ses rubans aux poignets la vêtaient bien mieux qu'une nuisette baby dol transparente. Jasmine afficherait sa moue de gamine espiègle pour faire craquer Raphaël. Moi je serais le mateur. Mon amante de feu, jalous et féroce, infidèle et câline, adorait s'exposer.
Vous pensez que je m'égare. Que je fais du remplissage. Erreur, je vous prépare au pire. Je repousse l'échéance. Comprenez-moi bien, pour se replonger la tête la première dans le merdier de sa vie, mettre noir sur blanc des épisodes crasseux, c'est une épreuve et cette épreuve je voulais l'affronter propre et net comme un enfant qui vient de naître. Récuré. Que Jasmine me tonde. Me brique. M'oigne d'huiles essentielles. Me couvre de lin écru. Me parfume. Alors je pourrais affronter la boue de mes souvenirs. Raphaël, qui me donnait toujours du monsieur, en se tortillant sur la pointe de ses fesses, à l'arrêt de la gare de Lyon, se risquait à me demander si Jasmine était ma fiancée. La joliesse et la fraîcheur de cette appellation, appliquée à mon état de décrépitude, me touchait. D'un air de conspirateur je lui répondais : " non, c'est ma complice...
- La complicité c'est le ciment de l'amour.
- Mon dieu qu'il est mimi ce Raphaël, très fleur bleue. T'es mal tombé avec moi mon garçon. Moi, l'amour je l'ai bouclé un jour à la consigne de Nantes et j'ai jeté le ticket. Alors ce n'est pas aujourd'hui que je vais réclamer la marchandise...
- Vous êtes amer monsieur Benoît.
- Comme du fiel allongé de bile !
- Vous cachez votre jeu monsieur Benoît, moi je sais que vous êtes un tendre tout au fond...
- Comment tu sais ça toi ? Et puis, oublie le monsieur, ça me donne des airs de souteneur.
- Oui mon..., oui Benoît mais, si je puis me permettre, souteneur vous l'avez été un petit peu...
Je manquais d'air. En état d'apnée. Pire qu'une carpe sortie de l'eau. Raphaël, content de son effet, me souriait. J'avalais une goulée d'oxygène. " Comment tu sais ça , toi ? "
- Je l'ai lu dans votre manuscrit.