La douloureuse…
Le camarade Roger Feuilly qui sait se tenir aussi bien au comptoir qu’à table, adepte de la nappe et de la serviette à carreaux assortis, grand amateur de gras et des liquides qui vont avec, une référence quoi, écrit dans son Tout n'est que litres et ratures :
« Quoi de plus courant que de demander "l'addition" au restaurant, le mot "note", comme l'a rappelé Jean-Michel Barrault dans "Le Figaro" du 20 septembre 2002, étant plus spécialement réservé au paiement dans un hôtel ? L'addition, mot emprunté au langage arithmétique, est la "somme", le "total", des divers services fournis dont le restaurateur a l'habitude de détaille le coût en présentant au client ce que l'argot appelle la "douloureuse".
L'usage du mot "addition" vient du latin "additio", chose ajoutée, augmentation, repris dans le sens de "note à payer", en particulier dans un restaurant ou un café, est relativement récente. D'après le "Dictionnaire de la langue verte" d'A. Delvau, ce mot désigne ce que "nos pères appelaient la "carte à payer", ce que les paysans appelle le "compte" et les savants en goguette le "quantum"
La plupart des dictionnaires du XIXe siècle et du début du XXe expriment une certaine réticence envers ce sens du mot "addition". "Néologisme" pour les uns, pour d'autres, c'est un "terme familier", ou, selon les termes de Littré, une "assez mauvaise location"... Peut-être lui trouvait-on une sonorité trop mercantile ?
Jean Nohain racontait que, encore très jeune, il avait dîné un soir dans un restaurant avec son père, le poète Franc-Nohain, et que celui-ci, pour le familiariser avec les bonnes manières, l'avait prié de demander "la note", en lui faisant remarquer que le terme "addition" manquait de délicatesse et était à éviter. Le jeune homme s'était exécuté et, en réponse, le garçon avait clamé à travers la salle de restaurant : "Et l'addition pour Monsieur !".
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En France l’addition est toujours libellée service compris mais selon que l’on choisit de manger au menu ou à la carte, que l’on y ajoute une ou plusieurs boissons : eau en bouteille, vin en bouteille ou aux verres, il faut être bon en calcul mental pour anticiper le total de l’addition. Bien évidemment il reste toujours possible de laisser un pourboire pour mettre du beurre dans les épinards du personnel.
Le vin, grosse machine à cash des restaurateurs, est un redoutable amplificateur du montant de l’addition surtout lorsque celui-ci est servi au verre. Et là, le plus souvent les restaurateurs, profitant de la modération de la clientèle surtout au déjeuner, poussent le bouchon très loin en pratiquant des prix hors de la raison.
C’est déraisonnable, injustifié, pénalisant aussi bien pour le client que pour le vigneron.
Bref, il serait temps que les crèmeries qui se veulent promoteur de vins produits dans des conditions équitables et soucieuses de l’environnement mettent leurs pratiques au diapason de leur discours.
Merci, le service est compris.
Mais ce n’est pas tout, lorsque la douloureuse est allongée sur la nappe qui va la payer?
Préférences nationales face à l’addition après un repas au restaurant avec trois autres amis très proches de même sexe :
Chacun paie pour ce qu’il a consommé : 64 % en Allemagne, 50 % aux USA, 19 % en France et en Italie, 20 % au RU, 30 % en Suisse.
Quelqu’un paie pour tout le monde : 16 % en Allemagne, 20 % aux USA, 25 % en France, 13 % en Italie, 21 % au RU, 13 % en Suisse.
On partage l’addition en quatre : 20 % en Allemagne, 30 % aux USA, 56 % en France, 68 % en Italie, 59 % au RU, 58 % en Suisse.
Durant les années 2000, le sociologue Claude Fischler et la psychologue sociale Estelle Masson ont réalisé une vaste enquête comparative internationale en vue de saisir les variations culturelles des représentations de l'alimentation.
Du côté de la bienséance à la française :
« Les codes tacites classiques de bienséance ascendant Nadine de Rothschild veulent que la personne la plus âgée paye pour la plus jeune, que le parent paye pour son enfant, que le client paye pour son prestataire, que le patron paye pour son employé : bref, que les personnes ayant un rapport de domination sociale sur les autres paye l'addition. Inclure à cette liste l'homme paye pour la femme positionne l'homme comme dominant, la femme comme dominée. »
Marlene Schiappa Présidente de Maman travaille, adjointe au Maire du Mans à l'égalité vient de publier 1 Manifeste pour que les femmes payent (aussi) l'addition au restaurant - et ailleurs :
« Les restaurateurs ont tendance à présenter l'addition à l'homme (ou aux hommes) de la table. La femme qui a comme eux consommé, bu ou mangé, est donc considérée tacitement comme étant "prise en charge". Nous, femmes, pourrions trouver cette situation confortable et pratique, voire économique. En effet, entre les soirées "gratuites pour les filles" et cette tradition voulant que l'homme soit le payeur, il est possible pour une femme de sortir, de boire ou de manger sans dépenser le moindre Euro.
Vous pensez que j'exagère ? Observez. C'est systématique. Qu'il s'agisse d'un couple, d'un groupe d'ami-es mixtes ou de familles, c'est à chaque fois à l'homme que l'on tendra la note ou la machine à carte bancaire, sorte d'héritage du "chef de famille" sorti tout droit du vieux Code Napoléon (inspiration de notre Code Civil actuel).
Or, cette situation n'a rien de confortable pour bien des femmes ! Au contraire : elle induit que nous serions incapables de payer pour nous-même, voire pour les autres.
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Pour ma part, afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté lorsque j’invite, je règle l’addition et j’accepte sans problème dans le cas inverse qu’une amie la paie. Dans le cas d’un déjeuner ou d’un dîner partagé, le partage 50/50 de l’addition est la règle. Il peut aussi exister des variantes telle la prise en charge du vin qui, comme je l’ai écrit, corse souvent l’addition. L’important dans ce moment est de rester discret, de ne pas agir avec ostentation, beaucoup de mes cantines pratiquent avec doigté la remise et le paiement de l’addition. C’est ça la classe.
Au resto, les 7 techniques des serveurs pour alourdir l’addition ICI
L’ADDITION par Jerry Seinfeld humoriste américain né en 1954
« je suis sorti dîner l’autre soir, et on nous a apporté l’addition, comme toujours, à la fin du repas. Je n’ai jamais aimé ce système, parce que l’argent est une chose très différente avant et après avoir mangé.
Avant de manger, l’argent n’a aucune espèce d’importance. Quand on a faim, on s’assoit au restaurant et on se prend pour un empereur romain. On se moque de savoir combien ça coûte, on veut juste le maximum de plats en un minimum de temps :
« Servez-nous des apéritifs, et amenez aussi des amuse-gueule, vite, vite ! Les amis, nous allons faire le plus grand repas de notre vie ! »
Puis, après avoir mangé, une fois qu’on est bien rassasié, on ne se souvient même plus de ce que c’est que d’avoir faim. On voit des gens qui rentrent dans le restaurant et ça nous fait presque mal : « Pourquoi ces gens viennent ici ? Je suis tellement gavé. Comment font-ils pour avoir envie de manger ? » La ceinture est déboutonnée, la nappe est ruinée, le cendrier est plein à ras bord. On ne veut plus voir de nourriture pour le restant de nos jours. Et c’est à ce moment précis que l’addition arrive. C’est pour ça que ça énerve tout le monde. »
Le Monde selon moi.
A Paris-Plages, la guinguette hache menu l’addition des démunis.
Les pieds (presque) dans l’eau, la tête sous le parasol, papilles en éveil et soucis au vestiaire. La voilà la recette de la « guinguette solidaire» de l’association Tous à table, qui s’apprête à éteindre ses fourneaux après un 6e été sur le bassin de la Villette, dans le cadre de Paris-Plages. Un crève-cœur. Chaque jour, autour des petites tables multicolores, on met le couvert pour des convives qui ne paient que 10 % du prix. Et c’est la seule différence entre ces clients accueillis sur réservation, par l’intermédiaire de service d’aide sociale et d’associations d’entraide, et les autres.
«Cela représente des repas à environ 2,30 € pour le même service soigné, de la jolie vaisselle, de la cuisine saine et raffinée. Nous sommes un restaurant, pas juste un snack ! Venir manger ici doit être pour tous un moment d’harmonie, de qualité et de plaisir», milite Flavio Nervegna, le fondateur de Tous à table, également à l’origine des repas de Noël solidaires organisés avec près de 70 restaurateurs.
Une expérience reconduite chez Ma tante
« Pour nous, les VIP sont ces gens en difficulté, qui ne vont plus au restaurant depuis longtemps », sourit-il. Flavio Nervegna aurait adoré voir la plage du bassin de la Villette prolongée, comme celle de la voie Georges-Pompidou (Ier-IVe) jusqu’au 4 septembre. Mais sa requête auprès de la maire a été recalée. «Cela a un coût et l’on ne peut pas prolonger les deux sites », répond l’Hôtel de Ville, qui rappelle que la plage du bassin « a déjà été prolongée pendant trois années consécutives ». A la guinguette solidaire, ce refus laisse un petit goût amer. « Quand on connaît l’impact social extraordinaire et reconnu de cette opération, les messages que l’on reçoit, les sourires des gens... »
Flavio Nervegna et l’équipe du restaurant Café A auront ravi les palais de «12 à 20 » personnes en difficulté chaque jour sur les 200 à 300 couverts servis. L’été dernier, ces clients avaient représenté environ 30 % de l’ensemble (400 au total). « Avec la fermeture du site à 22 heures au lieu de minuit, j’ai aussi été obligé de réduire un peu la voilure de cet aspect social. Car, même si le but n’est pas de gagner des sous, il y a des salariés à payer, une cuisine 100 % fraîche à faire tourner... Il faut que l’association vive », regrette Flavio Nervegna, qui prévoit en revanche de prolonger l’initiative dès septembre dans un lieu atypique et symbolique : la cour de Ma tante, le crédit municipal de Paris.
« Un moment de vrai plaisir »
Quand on n’a plus trop les moyens, la première chose que l’on fait, c’est de freiner sur les extras. Alors, être accueillie ici, si bien reçue et servie comme tout le monde, déguster de la bonne cuisine que d’autres ont mitonnée pour vous, sans être stigmatisée, c’est presque un luxe et c’est formidable. » Ce soir-là, en bord de Seine, Françoise est accompagnée de sa fille de 25 ans, venue pour quelques jours de Lyon. La sexagénaire a rarement l’occasion de la chouchouter. « C’est une jolie façon de la recevoir et de partager un moment de vrai plaisir », sourit-elle. Françoise n’évoque qu’à mots couverts sa « galère temporaire ». Son regard très doux porte aussi ce voile triste d’un quotidien « pas trop facile », comme l’admet cette ancienne travailleuse sociale. Autrefois, elle épaulait des jeunes en grande difficulté. Aujourd’hui, c’est elle qui peine à garder pied, avec 200 € par mois et l’obligation de recourir à l’épicerie sociale d’une association d’entraide. Pour compenser, elle y travaille bénévolement. Elle a découvert l’existence de la guinguette solidaire en cherchant… un cours de yoga à Paris-Plages. « Des initiatives comme celles-ci redonnent le goût de sortir. Le plaisir tranquille qu’on y prend regonfle aussi un peu l’estime de soi », sourit-elle en rejoignant sa table, son regard bleu pétillant à l’idée de cette parenthèse.