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31 juillet 2016 7 31 /07 /juillet /2016 06:00
Le bronzage l’émergence du « corps d’été » punition de baigneuses trop coquettes, flagellées à coup d’orties par des femmes d’un village breton, sous le regard hilare des hommes.

« Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau » écrit Paul Valéry dans l’Idée Fixe en 1931.

 

Cela pourrait s’appeler « du marbre au bronze »…

 

Comment en effet est-on passé de la blancheur diaphane, marmoréenne, à la patine du bronze, voire du cuivre, comme canon de beauté de l’épiderme féminin ?

 

Question à laquelle s’est attelé Pascal Ory, dans L’invention du bronzage (Essai d’une histoire culturelle), publié aux éditions Ramsay. C’est au tournant des années 1930 que l’historien situe cette véritable « révolution culturelle » par laquelle le hâle l’a définitivement emporté sur la pâleur.

 

 

Révolution culturelle: l’expression ne serait-elle pas exagérée pour une pratique qui peut apparaître comme futile, accessoire?

 

Révolution, parce que comme les « vraies révolutions, celles qui touchent durablement, parfois définitivement (…) aux modes de vie, (…) l’instauration du bronzage comme nouvelle norme pigmentaire est un saisissant retournement des valeurs », écrit Pascal Ory.

 

« Concernant ces années 1920 et 1930, les archives consultées par Christophe Granger, Les corps d’été, XXe siècle. Naissance d’une variation saisonnière, Paris, Autrement, 2009, lui permettent d’insister sur des « batailles estivales » que Pascal Ory avait évoquées brièvement. Le défaut de tenue physique est très vite associé à une absence de retenue morale. Ces jugements entraînent des heurts dans les petites localités, autour de la plage locale : l’image est savoureuse, tirée d’une couverture du Petit Journal, en 1927, de la «punition des baigneuses trop coquettes», flagellées à coup d’orties par des femmes d’un village breton, sous le regard hilare des hommes.

 

 

L’historien décrit les réseaux mobilisés dans cette croisade morale et note un point culminant en 1934, de façon concomitante avec les agissements des ligues à Paris : ceux qui veulent moraliser les tenues de plage appartiennent à la « bourgeoisie traditionnelle éduquée, celle dont les positions s’effritent », et à certaines couches des « classes moyennes ». Ils disposent d’un véritable savoir-faire militant et s’attachent à « produire de l’indignation » en faisant de la question un problème de morale et d’intérêt public, et non de simple goût personnel.

 

Pour Pascal Ory, très sérieux historien, dans « L’invention du bronzage » c’est l’une des grandes révolutions culturelles du XXe siècle que « celle qui a conduit le canon de beauté pigmentaire occidentale de l’ordre du marbre à celui du bronze… » La révolution du bronzage, originellement « action de recouvrir un objet imitant l’aspect du bronze » va toujours consister à se « recouvrir d’une couche et de soigner son apparence. »

 

Pascal Ory souligne que dans les sociétés méditerranéennes antiques, Sénèque, «mâle dominant d’une société dominé par les mâles », dans ses lettres à Lucilius, écrit à propos des thermes, lieu réservé aux hommes, « il faut qu’on se hâle en même temps qu’on se baigne » et qu’il est démontré que « la valorisation du teint pâle vaut pour les femmes des dites élites, considérées ici comme de précieux trésors, signes extérieurs de richesse, de supériorité et, à cet effet, gardées à l’abri des regards des autres mâles en même temps qu’à l’abri du soleil. »

 

L’Ancien Régime épidermique qui semblait établi pour les siècles des siècles, résistant, jamais remis en cause jusqu’aux abords de la Première Guerre mondiale ou encore « les métaphores multiplieront les imageries jouant avec les épiphanies du blanc, en empruntant à tous les ordres – minéral, végétal et animal – Aristocratique ou populaire, lys dans la vallée ou Blanche Neige, la carnation de la femme belle aura à voir avec le lys, l’ivoire, l’albâtre, le marbre ou la neige (...) A contrario, le suspect, le vicieux, le Mal seront associés aux teints « mat », « basané », « cuivré » et autres « olivâtre ».

 

« Les enjeux sont clairement posés par Pascal Ory, qui prend appui, en matière de périodiques féminins, sur l’après-1945 : trois périodiques français entre les deux guerres : Vogue, qui s’adresse aux élites, Marie-Claire qui vise les classes moyennes modernistes, et Le Petit Écho de la mode davantage tourné vers la bourgeoisie traditionnelle et la petite bourgeoisie, pour en conclure que la révolution épidermique s’est produite avant cette date.

 

En effet, les produits blanchissants auparavant dominants ont disparu, au profit des produits bronzants. Il récuse immédiatement deux types d’explications souvent données à ce phénomène : Coco Chanel et les congés payés. Il semble en effet fortement réducteur de rapporter la mode du bronzage à une personnalité, fût-elle exceptionnelle en son temps, et la date de 1936 paraît trop tardive puisque l’Ambre solaire, produit de beauté emblématique, a été testée dès 1935 et lancée en 1936.

 

 

Pascal Ory démontre que le bronzage comme pratique collective est repérable dès les années 1920 (dans les pages de Vogue notamment). Être ou ne pas être hâlé est encore un sujet de débat dans Vogue en 1928. À la fin des années 1930, le bronzage semble s’être généralisé dans de larges couches de la population : le basculement aurait ainsi été rapide.

 

L’auteur décrit de manière brève mais intéressante les stratégies commerciales et industrielles qui accompagnent ce changement, avec l’apparition commerciale des produits solaires. Il s’attaque à une légende en montrant que le vrai produit de lancement n’est pas Ambre solaire mais l’huile de Chaldée, créée en 1927 par le couturier et parfumeur Jean Patou, concurrent célèbre de Coco Chanel. Sur le terrain de la décontraction chic, il est concurrencé dans sa démarche industrielle par l’entrepreneur Eugène Schueller, qui lance L’Oréal et l’Ambre solaire. Ce sont les publicités de L’Oréal, dans des brochures et à la radio, qui lui permettent d’éclipser ses concurrents. La vogue des lunettes de soleil participe du phénomène et de cet accompagnement économique de changements culturels. Les instituts de beauté, quant à eux, jouent pendant plusieurs années sur les deux tableaux, proposant à la fois des produits pour blanchir la peau et d’autres pour mieux bronzer.

 

En définitive, le principal facteur explicatif retenu par Pascal Ory est celui des progrès de l’hédonisme, d’une conquête des loisirs marquée par une progression de l’espace des loisirs légitimes, notamment avec le développement du sport, qui expose au hâle. Il inscrit cette histoire du bronzage dans une histoire du genre et du dénudement du corps féminin. Il associe le bronzage à l’abandon des gants et du corset, qui rigidifiait les corps et transformait les femmes de l’élite en statues, ainsi qu’à la coupe de cheveux courte qui a bousculé la norme capillaire féminine. Le bronzage participe d’une histoire du bonheur, idée neuve popularisée dans un « jouir solaire » par le vecteur des congés payés.

 

 

Ce rapport au corps est aussi, de manière plus indifférenciée, celui de la jeunesse des Trente Glorieuses. Le corps est mis au centre d’un « ordre neuf des sensualités » : flirt, frôlements des corps, « densification des rapports entre les sexes » et « vive renégociation des jeux de la séduction ». Christophe Granger rejoint Pascal Ory dans son analyse d’une morale du plaisir, de l’hédonisme, mais il situe ces valeurs comme celles du monde des cadres, en pleine ascension.

 

Même dans ce contexte des Trente Glorieuses triomphantes, les «batailles estivales» persistent, avec les polémiques nées sur la question des seins nus, avec la même volonté des pouvoirs publics de ne pas trancher outre mesure les mœurs balnéaires.

 

Source : Sylvain Pattieu Université Paris 8 Département d’histoire 2

 

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commentaires

P
En 1964 Gabriel AROUT titrait une de ses pièces à succès :" Que animal étrange " en parlant de l'homme ( à partir de nouvelles de A.TCHEKOV) En effet et on se demande quand cet animal aura finit de nous étonner. Alors que le rêve de gents de couleur est de se blanchir *( ou de décrépir les cheveux ou, pour les japonaises débrider leurs yeux ) nos belles se battent pour être sur, à la rentrée ( et même maintenant toute l'année) d'être la plus noire ! Nos sociétés bien pensantes se battent pour éradiquer les mutilations sur les jeunes filles africaines et nos jeunes usent de percing parfois, très curieusement placés et autres tatouages !<br /> * un peu moins aujourd'hui il est vrai depuis que le slogan " black is beautiful " a fait florés.
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