Pour traiter d’un problème local rien ne vaut qu’un journal local sinon c’est l’AFP à tous les étages et ça a l’odeur du journalisme, ça en a la couleur, mais ça n'en est pas. Même dans un journal comme Sud-Ouest, où d’éminents journalistes, tel César Compadre qui, dans une vie antérieure a bourlingué dans tout le vignoble, pas la plus petite trace d’analyse sur ce sujet éminemment sensible : la plantation de vignes IGP dans un territoire d’AOC. Sans doute notre homme est-il en congés ou peut-être préfère-t-il nous servir le énième papier sur un chai futuriste érigé grâce au crayon d’une star parisienne de l’architecture.
Bref, comme disait Pépin (de raisin dixit Pierre Dac) revenons au Berry Républicain où Rémy Beurion entre dans le sujet en détournant un célèbre proverbe :
« C’est au pied du pied de vigne qu’on trouve l’arracheur. Et pas deux ou trois plants, comme ça, en passant, comme on se débarrasse d’une mauvaise herbe. Non, 5.600 pieds de sauvignon en un temps record, la semaine dernière, probablement de bon matin.
Le viticulteur de Bué victime de cet arrachage sauvage et illégal ne découvre le pot aux roses que samedi matin, sur l’une de ses parcelles, non classées, situées à Saint-Satur».
« Ce ne sont pas n’importe quels pieds de vigne qui subissent les assauts d’arracheurs que la brigade de gendarmerie de Sancerre doit maintenant identifier. Ils sont issus d’une parcelle destinée à la production de vins d’identification géographique protégée (IGP), c’est-à-dire l’antithèse de l’AOC sancerre, garant de sa qualité depuis exactement quatre-vingts ans cette année en ce qui concerne le blanc depuis 1959 pour le rouge.
L’homme du cru, seul en capacité de restituer l’ambiance régnant dans le vignoble sancerrois, note que la tension est palpable, comparaison n’étant pas raison ça sent un chouïa la guerre des boutons, chère à du petit Gibus « Si j'aurais su, j'aurais po v'nu », où les gamins de Longeverne se querellent avec ceux de Velrans.
Alors le camarade Beurion y va encore avec la formule choc :
Tant que les antagonismes restent sous les bouchons, pas de problème. Sauf qu’à quelques arrachages symboliques, par-ci, par-là, se greffe aujourd’hui un arrachage de grande ampleur. Le viticulteur a déposé une plainte auprès de la gendarmerie de Sancerre, pour un préjudice estimé, à la louche, à 12.000 euros. La première récolte, issue de cette plantation effectuée il y a deux mois, devait être mûre dans trois ans. Ce ne sera pas le cas.
Pour le viticulteur, une chose est sûre : il fallait marquer le coup. Et la poignée d’hectares de vignes IGP arrachées, sur le sol sancerrois, est un marqueur symbolique. Mais qu’elle est cette indication géographique protégée qui fait tant hurler les viticulteurs enracinés dans l’AOC Sancerre?
La réponse est ICI
Voilà pour le contexte, les faits, mais le sujet de la cohabitation, de la mixité à l’intérieur du périmètre d’une AOC, d’un vignoble dédié à l’IGP pose sans aucun doute des problèmes qu’on ne peut balayer d’un revers de la main.
Je ne vais pas ici entrer dans les subtilités de la règlementation française qui adore empiler des textes pour soi-disant protéger l’esprit de nos beaux terroirs pour ensuite s’en accommoder au gré des intérêts économiques d’une appellation.
En l’espèce tout part de l’œuvre magistrale, que nos grands chefs du vin ont érigé, la gestion à la française des autorisations de plantation. « Père, gardez-vous à droite; père, gardez-vous à gauche. » (Philippe le Hardi), érigeons des barrières, fabriquons des interdictions, bridons les initiatives au nom de la régulation pour ensuite pleurer sur notre incapacité à répondre aux attentes de ces fameux marchés.
Mais au bout du bout, lorsque le vin est tiré et qu’il faut le boire, l’argument qui se veut décisif de la directrice de l’Union viticole sancerroise, Nathalie Prieur, risque de se retourner vers l’envoyeur :
« Ça en a l’odeur du sancerre, ça en a la couleur, le message auprès du consommateur est donc moins évident, la classification devient floue pour lui. C’est un préjudice à moyen terme mais certains ne le voient pas arriver. »
D’autant que la différence de prix est significative.
Et si dans cette affaire, une grande part des vins de sancerre, vendue à bon prix du fait de la notoriété de cette appellation, n’était de par leur mode d’élaboration des parents très proches de l’IGP ?
Battre le tambour du terroir c’est bon pour le commerce mais nous les consommateurs qu’on appelle en renfort pour défendre une classification qui, rappelons-le, se voulait dès l’origine protectrice de l’origine (façon de parler) et qui par le biais des nouvelles ODG, cahier des charges, dégustations d’agrément, s’est muée en machine à égaliser, à normaliser, à nous proposer un breuvage blanc sans grande originalité.
Allez donc faire le tour des bistrots parisiens alimentés par la poignée de gros distributeurs du CHR et commandez un verre de sancerre !
C’est au mieux un petit blanc, au pire un truc insignifiant et c’est cher par-dessus le marché ; en clair ça équivaut à une brave IGP au prix d’une AOP renommée.
Arrachez tout ce que vous voulez mais sachez que la vérité est dans le verre non dans l’illusion de l’étiquette !
Avoir le beurre et l’argent du beurre c’est bien mais ça ne dure qu’un temps, alors au lieu de faire un sort à des ceps de vigne, d’avancer des arguments qui ne tiennent pas la route, tel «Si les gens veulent planter, qu’ils plantent autre chose que du sauvignon ou du pinot noir. Il est trop facile de mettre un vin de pays et un vin AOC dans une même cave. », de nous faire prendre des vins d’AOC pour des vins de terroir alors qu’ils ne sont que des enfants de l’œnologie moderne, les « concombres masqués de Bué » feraient mieux de se préoccuper de l’évolution des attentes des consommateurs. Vivre son stock de vieux buveurs c’est bien, anticiper les évolutions c’est mieux.
Et, entre nous, ce ne sont pas quelques arpents de vignes IGP nichés dans l’AOC sancerre qui vont faire de gros accrocs dans la notoriété de cette appellation. Avant de crier à l’incendiaire mieux vaut se préoccuper du feu qui couve dans la maison.
« J'ai gardé en mémoire le bruit des galoches cloutées qui résonnaient sur le chemin gelé d'école. J'ai fait mes humanités à la communale. Les bandes et les bagarres, je connais. La lutte des classes, la lutte pour la différence, la lutte pour une vieille et sombre histoire du passé. Il y a toujours eu ça, et il y a encore ça, pas seulement de village en village, mais de trottoir à trottoir... J'ai bien peur qu'aujourd'hui, dans certaines banlieues, la guerre des boutons soit plus violente. C'est peut-être là la vraie différence. Avec l'auteur de ce chef d'œuvre sur l'enfance, Louis Pergaud, je me sens chez moi, je suis un des enfants de cette guerre et je crois bien que tout le monde s'y retrouve en voyant le film. Pour moi, La Guerre des boutons, c'est la République des enfants... »
— Yves Robert
La célèbre phrase du petit Gibus « Si j'aurais su, j'aurais po v'nu » n'appartient pas au roman original. C’est en fait une reprise de la phrase « Si j’aurais su, j’aurais pas venu », figurant dans la rubrique « Une heure dix avec... » de L'Os à moelle (no 61, du vendredi 7 juillet 1939)