Hubert ne fait jamais dans la ½ mesure, il accumule, collectionne les casquettes comme d’autres les timbres-poste, c’est de l’art pour l’art, de l’abnégation, du don de son corps au bien public, sauf que chez lui l’art c’est de se faire tailler des costards sur mesure par ses pairs rapportant de beaux euros avec plein de zéros.
Jeudi dernier, tirant sa valise à roulettes, emblème de son biseness de globe-trotter écumeur de prétendants aux honneurs, notre Hubert allait déposer son auguste séant sur le banc des plaignants de la 17e Chambre du TGI de Paris.
Cette célèbre Chambre n’était peuplée que de femmes : la Présidente et ses deux assesseurs, la Procureure, la Greffière. Face à elle, du côté d’Hubert un bataillon d’avocats d’un beau cabinet, et bien sûr l’objet du courroux d’Hubert, l’homme au petit sécateur et aux bottes blanches, Isabelle Saporta.
Rassurez-vous celle-ci n’est pas arrivée à l’audience enchaînée et les jeunes gendarmes n’étaient là que pour assurer la sécurité.
Nous les témoins, trois de chaque côté, étions à l’isolement au début de l’audience au cours de laquelle le plaignant et l’accusée argumentaient. Mon petit doigt m’a dit que la Présidente se passionna pour la belle collection de casquettes d’Hubert. Il y eu même une petite séance de cinéma afin de visionner la prestation d’Hubert qui, je puis vous l’assurer, avait des allures d’un placement de produit dans James Bond.
2 heures et demi à poireauter, on trouve le temps long mais on fait contre mauvaise fortune bon cœur ; les présidents présents, dans leurs petites Ford d’intérieur, ruminaient : que suis-je venu faire dans cette galère ?
Et puis ce fut à moi d’ouvrir le bal des témoins, la barre, le serment, avant de se jeter à l’eau sans notes. Par bonheur la Présidente est d’une extrême courtoisie et je me dis qu’il est facile de dire la vérité, rien que la vérité, même si celle-ci est soigneusement camouflée par un formalisme dévoyé.
Je ne vais pas ici vous confier le verbatim de ce que j’ai dit, ça ne présente pour vous aucun intérêt. Mon seul souci, moi qui ai œuvré de l’autre côté du miroir, là où se situe le pouvoir, fut de tenter de lever le voile sur l’art et la manière de faire jouer son influence. Être toujours présent au bon moment au bon endroit, en amont, là où les règles s’élaborent, se font, constitue le b.a.–ba de l’homme d’influence. L’omniprésence, les connections discrètes, les liens, les invitations, les services rendus, le carnet d’adresses, une forme d’aura face aux petites mains de tous bords, y compris auprès des collègues du Comité National désignés dans la commission. C’est une forme de « servitude volontaire » chère à La Boétie.
Une fois ce « grand oral » passé j’étais libre de mes mouvements : partir ou rester. Bien évidemment j’ai ciré les bancs aux côtés de mes amis François des Ligneris, Alain Vauthier, les régionaux de l’étape et d’Alexandre Bain.
Ce qui m’a frappé au cours de cette audience c’est la pertinence de la Présidente, sa manière élégante et précise de mener les débats, sa capacité à laisser s’exprimer sereinement les témoins parfois impressionnés, sa connaissance parfaite du dossier, ses questions courtoises mais toujours saillantes. Impressionné ! À l’heure où il est de bon ton d’ironiser sur les juges, les fonctionnaires, il est rassurant et important de souligner cet extrême professionnalisme.
Avec une belle régularité souriante elle a posé la question de savoir si le consommateur achetait les beaux classés de Saint-Emilion pour la qualité du vin ou pour les splendides atours dont ce sont parés les châteaux ? Il y avait du Jacques Dupont chez madame la Présidente. En effet, rappelons que celui-ci – je le verrais bien en robe noire avec hermine – dans un article du Point du 28 avril 2013, avec malice écrivait :
« Hors polémique que ce classement aura beaucoup de mal à éteindre, il y a véritablement une seule question à laquelle ceux qui l’ont initié devront répondre : pour qui a-t-il été fait ? Pour les consommateurs afin de les éclairer dans leur choix ou pour satisfaire et récompenser des professionnels, producteurs, propriétaires ? »
Le Président de la commission de classement, avec des accents patriotiques, a confirmé que c’était le second membre de l’alternative qui avait présidé au choix. Il a même ressorti de la naphtaline le fameux jugement de Paris en affirmant que c’était pour répondre à ce défi que certains châteaux à paillette furent promus. Le Bob se serait bien marré en entendant une telle absurdité, la course au 100/100 leur a déjà permis d’atteindre les sommets des prix. Ne restait plus, pour une poignée d’entre-eux à booster la valeur de leur foncier. Ce qui fut fait.
Le Jacques Dupont, encore lui, le soulignait « Plus drôle et moins technique, l’analyse du foncier. Moins les parcelles étaient dispersées et plus le domaine gagnait des points. Ainsi Quinault situé sur l’ancienne appellation « sables de saint-émilion » disparue au début des années 1970, dont le terroir compacté après des années de désherbants sans recours à la charrue se situe en limite du cimetière de Libourne (une partie avait été vendue à carrefour pour réaliser son parking), a obtenu un point de plus que Cheval Blanc au parcellaire plus dispersé… »
Bravo les artistes ! Et n’en déplaise à ce cher Hubert la notion de grand cru classé à sa sauce n’a rien à voir avec le puzzle bourguignon, le processus purement déclaratif permet toutes les fantaisies, le terroir pour certains est aux abonnés absents. Il faudra bien qu’un de ces 4 l’INAO s’explique sur ce privilège de seigneurs. Les régions roturières sont en droit de le lui demander.
À l’autre extrémité de mon appréciation l’avocat cher de ce cher Hubert a fait preuve de l’art de tirer systématiquement à côté de la plaque, questions style boomerang posées avec une forme d’ennui désabusé. Service minimum, plaidoirie poussive, conviction a minima, une arrogance masquant mal une méconnaissance des us et coutumes du petit monde du vin. Pas très convaincu, pas très convaincant, je m’attendais à mieux.
Je n’irai pas au-delà de ces remarques car il pourrait m’être reproché une forme de parti-pris, cependant je ne peux m’empêcher de souligner qu’il y avait peu de ferveur et de conviction dans les témoignages en faveur du plaignant. Ils étaient teintés d’une couleur grise très courage fuyons !
Un détail, la procureure n’a pas pipé mots de toute l’audience et n’a pas jugé bon de donner le point-de-vue de l’Etat.
« Au bout de sept heures d'audience, Me Jean-Yves Dupeux a demandé en son nom 50 000 euros, plus 10 000 euros au titre des frais de justice. « On n'est pas dans le cadre de l'enquête loyale, sérieuse, de bonne foi », a estimé l'avocat, moquant deux témoins cités par la défense, des vignerons écartés du prestigieux classement. « Certes on a deux vignerons qui ratent le bac. Mais on en a un qui participe à la rédaction des programmes, qui sélectionne les examinateurs et qui décide des coefficients. Et il a mention Très bien, dites donc !», a répliqué en défense Me Christophe Bigot. « Vous avez à juger d'un travail extrêmement sérieux et d'intérêt général », avec « des enjeux de consommation et des enjeux financiers colossaux », a-t-il résumé. Le tribunal doit rendre sa décision le 22 septembre. »
Voilà, ce fut une dure journée pour la Reine, quand à notre Hubert il a pris la poudre d’escampette, suivi de sa valise à roulettes, avant la fin de l’audience, sans doute pour répondre à l’appel pressant de sa chalandise. La Présidente, avec humour, lui a demandé de surtout ne pas égarer son billet d’avion, fine allusion à un pataquès à la Feydeau lors du CN de l’INAO ayant béni le classement : présent ou pas présent, parti et revenu, dans l’avion ou dans la salle… La cour s’amuse !