Réussir un œuf mayo n’est pas à la portée du premier gâte-sauce venu.
À l’heure de la cuisine à la mode des « j’ouvre des poches » taillée en pièces à juste raison par le Badinguet de Barcelone, ça relève de la défense du chef d’œuvre en péril.
Le choix de l’œuf bien sûr, loin des longs rayons de Métro, frais pour de vrai, fruit d’une poule bichonnée en liberté, œuf de Marans vanté par les défenseurs des petits producteurs non inféodés à Nestlé.
Sa cuisson ni béton ni mollasson, belle brillance d’un jaune orangé, tout un doigté qui requiert une attention irréprochable.
Et la mayo, loin des pots et autres tubes Amora, Benedicta et autres faiseurs à la chaine pour fainéants, tour de main de l’artisan saucier.
« Mon grand-père m’a toujours encouragé à chercher la perfection ; c’est le détail qui fait la perfection… »
Aung Ko Myint.
« Voir faire est pour moi la façon la plus efficace d’apprendre. Je peux mémoriser le geste et le reproduire… »
Laura
Humble mayonnaise certes mais c’est avec la confection des mets les plus simples que l’on peut reconnaître les grands et leur accorder confiance et respect.
Mais d’où nous vient cette sauce froide ?
Selon Jean Vitaux auteur du Dictionnaire du Gastronome c’est au cuisinier de Louis François Armand de Vigneron du Plessis, duc de Richelieu qui naquit en 1696 à Paris et mourut dans la même ville en 1788, à l'orée de la Révolution Française que l’on doit le nom de la recette de la « mahonnaise ».
Précision d’importance pour ceux qui connaissent encore l’Histoire de France ce duc de Richelieu, aimait les plaisirs de la chair mais aussi la bonne chère, il ne faut pas le confondre avec, son grand-oncle, Armand Jean du Plessis de Richelieu, dit le cardinal de Richelieu, cardinal-duc de Richelieu et duc de Fronsac. Pair de France, ministre du roi Louis XIII, destiné au métier des armes, mais contraint d'entrer dans les ordres afin de conserver à sa famille le bénéfice de l'évêché de Luçon, le plus crotté de France.
Notre Richelieu de la mayo « connu la Bastille dans son jeune âge en raison de son trop grand empressement pour Mademoiselle de Noailles, puis sous la Régence pour une affaire de duel et un complot bien mal ficelé. » nous dit Jean Vitaux.
Académicien à 24 ans en dépit d’une orthographe désastreuse il fut un homme de guerre heureux, contribuant à la victoire de Fontenoy, prenant Fort-Mahon le 28 juin 1756 à Minorque aux Baléares contre les perfides anglais.
C’est là, avec ses troupes d’occupation (jusqu’en 1763) que son cuisinier, sans doute inspiré par l’excellence de l’huile d’olive de l’île, l’une des meilleures du bassin Méditerranéen, aurait inventé la Mahonnaise. CQFD.
Ce fut un grand libertin, collectionnant les conquêtes, « des dames de la cour jusqu'aux chambrières et aux actrices de l'Opéra comme La Souris. Il s'amusa même à conquérir toutes les maîtresses du Régent, certes après lui..., et fut l'ami du roi Louis XV. »
« Sa vie entière fut un scandale, et il est resté le type le plus brillant de la dépravation de cette époque ». Pierre Larousse dans son Grand Dictionnaire du XIXe siècle.
Organisateurs de dîners fastueux toute sa vie durant il accorda une place importante à la gastronomie.
On lui doit l’introduction des vins de Bordeaux à la cour de France et surtout le fameux menu « tout bœuf » qu’il dresse lui-même en 1757 et fait servir à trente prisonniers de marque de la forteresse d’Ostfrise.
Deux sujets d’une brûlante actualité avec le fameux Bordeaux bashing qui ravage les bancs des buveurs parisiens et la mode du veganisme qui fait florès chez les bobos parisiens…
La guerre de Hanovre bat son plein.
Le duc de Richelieu, maréchal de France, commande les troupes du roi Louis XV.
On vient de capturer une vingtaine de princes et de princesses du camp ennemi.
Le pays est dévasté mais le duc tient à les recevoir fastueusement et à leur offrir à souper.
Dans les cuisines : moins que rien ! Un bœuf et des légumes (racines).
Les officiers de bouche s’arrachent les cheveux.
- Un bœuf ? Des racines ? Très bien, dit le maréchal, c’est plus qu’il n’en faut pour faire le plus joli souper du monde !
- Mais, Monseigneur, on ne pourra jamais.
- Allons Rullières, tranquillisez-vous et inscrivez le menu que je vais vous dicter.
L’officier d’ordonnance, dépassé par les circonstances, ne bouge pas.
Le duc s’impatiente...
- Allons, Rullières donnez-moi votre place et votre plume.
Et Richelieu rédige d’un trait le menu suivant :
DORMANT
Le grand plateau de vermeil avec la figure équestre du Roi ; les statues de Du Gueslin de Dunois, de Bayard, de Turenne. Ma vaisselle de vermeil avec les armes en relief émaillé.
PREMIER SERVICE
Garbure gratinée au consommé de bœuf
QUATRE HORS D’OEUVRE
Palais de notre bœuf à la Sainte-Menehould
Petit pâtés de hachis de bœuf à la ciboulette
Les rognons de bœuf à l’oignon frit
Gras-double à la poulette au jus de limon
RELEVE DE POTAGE
La culotte de bœuf garnie de racines au jus
(Tournez grotesquement les racines à cause des Allemands)
SIX ENTREES
La queue de bœuf à la purée de marrons
Sa langue en civet (à la bourguignonne)
Les paupiettes de bœuf à l’estouffade aux capucines confites
La noix de notre bœuf au céleri
Rissoles de bœuf à la purée de noisettes
Croûtes rôties à la moelle de bœuf
(Le pain de munition vaudra l’autre).
SECOND SERVICE
L’aloyau rôti
(Vous l’arroserez de moelle fondue)
Salade de chicorée à la langue de bœuf
Bœuf à la mode à la gelée blonde mêlée de pistaches
Gâteau froid de bœuf au sang et au vin de Jurançon
(Ne vous y trompez pas !)
SIX ENTREMETS
Navets glacés au suc de bœuf rôti
Tourte de moelle de bœuf à la mie de pain et au sucre candi
Aspic au jus de bœuf et au lait d’amandes
Beignets de cervelle de bœuf marinée au jus de bigarades
Gelée de bœuf au vin d’Alicante et aux mirabelles de Verdun
... Et puis tout ce qui reste de confitures et de conserves.
(Note: si par un malheureux hasard ce repas n’était pas très bon, je ferais retenir sur les gages de Maret et de Ronquelières une amende de cent pistoles. Allez et ne doutez plus !
Richelieu
�Jacques Kother
Le Petit Journal - 29/06/2007 - Le Guide des Connaisseurs�