Nous venons de commémorer le 20e anniversaire de la mort de François Mitterrand, deux t, deux r, ses adversaires le dénommait à plaisir Mitrand, ce que le premier cercle de la Mitterrandie exécrait, et l’actuel Président, flanqué de Mazarine, a fait le pèlerinage de Jarnac.
En France nous commémorons beaucoup et nos hommes politiques n’aiment rien tant que la captation d’héritage.
Madame Taubira lorsqu'elle prend la plume est plutôt gentille avec François Hollande. Dans Murmures à la jeunesse, l'ancienne Garde des Sceaux ne se livre à aucune attaque personnelle ni à aucune critique déguisée à l'égard du chef de l'État. Sans doute parce que les écrits restent alors qu’en revanche les paroles volent.
« Il a jonglé entre opposants et partisans, fait plaisir à la droite et au FN. Il s'est pris pour Mitterrand, mais il lui manque un étage. »
Propos rapportés par Le Canard Enchaîné le mercredi 3 février.
Michel Rocard, dont on connaît les relations exécrables avec Mitterrand, lorsque Léa Salamé lui a demandé, lors de son interview sur France Inter de mardi dernier : « si on en faisait trop sur l'ex-chef de l'Etat » a lancé avec son franc-parler coutumier :
« Oui. Je pense que l'histoire lointaine réglera ça. »
« N'en mérite-t-il pas tant? », l'a alors relancé la journaliste.
« C'est mon sentiment », a lâché Michel Rocard, avant de reconnaître, « Il y a un peu de partialité là-dedans, sans doute. »
Dans la roue de Michel Rocard j’ai passé dix années de ma vie alors qu’il bouclait ses deux septennats, j’ai même dirigé le cabinet d’un Mitterrandien du premier cercle, Louis Mermaz, alors ne comptez pas sur moi pour jouer les « vierges effarouchées » à propos de son passé. Sans tout savoir de celui-ci, je n’ai jamais fait semblant d’ignorer les zones d’ombre de sa jeunesse, ni son échine souple, ondoyante sous la IVe et pire encore, son intransigeance en tant que Garde des Sceaux. Bref, j’avais beaucoup lui sur lui et, en dépit de sa victoire en mai 1981, j’ai toujours estimé que le contrat initial qu’il avait passé pour prendre le pouvoir au Congrès d’Épinay, alliance de la droite du PS Gaston Deferre et des crypto-marxistes de Chevènement, portait en lui toutes les ambigüités d’une gauche qui prétendait marier l’eau et le feu. Les dividendes de ce PS attrape-tout, sans colonne vertébrale, repaire de candidats aux mandats, sont aujourd’hui au rendez-vous et, comme Michel Rocard, je le regrette.
La dernière biographie vraiment originale est due à la plume d’un anglais Philippe Short « François Mitterrand » Portrait d’un ambigu. L’auteur dans son prologue annonce la couleur « Les autres nations font face à des scandales. Les Français, eux, font face à des affaires » et dans ses remerciements il remercie le ciel de l’avoir envoyé en France sous la présidence de François Mitterrand. Comme je le comprends moi, l’homme de l’ombre, qui a passé sa vie à se glisser dans les plis. Souvenir d’André Rousselet, premier directeur de cabinet du nouveau Président de mai 81, «dont les récits tendres et ironiques et lucides sur son ami, François Mitterrand » ont été précieux pour Philippe Short. « Grâce à lui, Anne Pingeot accepta de mettre sa discrétion légendaire de côté pour me parler de l’homme avec qui elle partagea pendant plus de trente ans un amour extraordinaire et courageux. Elle fut « l’héroïne d’un film que personne ne verra jamais », selon les mots de leur fille, Mazarine. »
Aujourd’hui c’est un scénariste belge Philippe Richelle et le dessinateur français Frédéric Rébéna qui lui consacrent un admirable album de bande dessinée «Mitterrand - Un jeune homme de droite ». Une bande dessinée subtile et élégante, sans concessions, exigeante, fondé sur récit qui oublie de séduire.
Comme l’aurait écrit au temps de ma jeunesse la Centrale Catholique : à mettre entre les mains de lecteurs avertis.
« Les auteurs se sont penchés plus sur les années 36-45, les plus troubles de son parcours politique, sans pour autant charger la bête : le jeune Mitterrand fut le produit de son temps et de son milieu social mais ne sombra jamais dans les pires excès nationalistes dont l’antisémitisme. »
Mitterrand personnage de roman, c’est l’opinion de Philippe Richelle : « La révélation tardive de son passé vichyste, par exemple, a alimenté ce constat. Ça a ajouté à son parcours tout à fait atypique, exceptionnel, tortueux une dimension effectivement romanesque ».
« François Mitterrand m’intéresse et m’intrigue fortement depuis près de vingt ans. Même avant, remarquez : Je me souviens qu’en 1981, alors que j’étais en terminale, notre prof de lettres nous avait presque obligés à acclamer son élection. Globalement, on était aussi excités que nos jeunes voisins français, on sentait poindre un souffle nouveau dans la vie politique. Même si la suite nous a tous quelque peu déçus – et c’est un euphémisme ! ».
« Établi à partir d’une documentation solide - mais sans la consultation de ses héritiers -, ce portrait présente donc un jeune Mitterrand pour ce qu’il est alors : un jeune homme de droite, issu de la droite traditionaliste, provinciale et profondément catholique, et qui n’avait jamais vraiment accepté la République »
« C’était un personnage complexe, plein de contradictions. Mais malgré le fait qu’il ait été « façonné » par son extraction traditionaliste, il s’est, peu à peu, construit, il a souffert - notamment au stalag - et fait des rencontres qui ont élargi son horizon intellectuel », note Philippe Richelle.
Le découpage en 6 chapitres est pertinent, jamais on ne perd le fil de l’histoire familiale, amicale et amoureuse du jeune Mitterrand et celui de l’Histoire troublée de cette période. Biographie toute en finesse, ni à charge, ni à décharge, à la bonne distance qui laisse au lecteur sa liberté de choix. Le trait du dessinateur Frédéric Rébéna est incertain, changeant, volonté de traduire le flou, l’incertain, ou difficulté à saisir la véracité du personnage central ? Je ne sais mais la suite se devra d’être plus précise, le visage de Mitterrand, son masque est partie intégrante de sa vérité intérieure.
Ambitieux, fat, séducteur, déplaisant, arrogant, fascinant aussi, ambigu, pompeux, lyrique, pugnace, tenace, courageux, sûr de lui, déterminé, ondoyant, fidèle en amitié : Georges Dayan le socialiste, Patrice Pelat alors communiste, le Mitterrand jeune porte en lui tout ce qui façonnera le Mitterrand de la IVe ne rêvant que de devenir Président du Conseil, puis celui de l’Union de la Gauche, du Programme Commun qui accédera le 10 mai 1981 à la fonction présidentielle qu’il occupera, avec deux intermèdes de cohabitation, 14 ans.
À lire, à offrir à vos grands adolescents, cette biographie est de qualité et mérite d’être présente dans vos bibliothèques.
« Mitterrand - Un jeune homme de droite », de Philippe Richelle & Frédéric Rébéna - Éditions Rue de Sèvres, 18 euros
1 second volume devrait suivre, qui couvrira de l’immédiat après-guerre à la fin des années 1950 …