Suis-je vulgaire ?
Les vins nature et leurs défenseurs sont-ils vulgaires ?
De hautes plumes le pensent et l’écrivent, libre à eux de le penser et de l’écrire.
Mais qu’est donc que la vulgarité ?
Longtemps la vulgarité fut un préjugé de caste, et dans la bouche ou sous la plume de certains qui se vivent comme l’élite elle le reste encore car elle est la marque infâmante du vulgum pecus, de la masse et du bas peuple.
« Prenez un homme d'une capacité ordinaire, vous savez toujours ce qu'il va dire dans un cas donné (...) La société d'élite raille impitoyablement cette vulgarité, elle se croit beaucoup plus originale, beaucoup plus personnelle » J. Simon, Devoir, 1854.
En février 1857, le gérant de la Revue de Paris dans laquelle Madame Bovary a été publiée sous la forme de feuilletons, l’imprimeur et Gustave Flaubert sont jugés pour « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ».
Gustave Flaubert sera blâmé pour « le réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères » mais il est acquitté malgré le réquisitoire du procureur Ernest Pinard.
Évoquer la vulgarité, ce qui est vulgaire, ce qui manque de distinction, de délicatesse, ce qui choque la bienséance, forme de bassesse, de grossièreté, de trivialité, et le souci de la combattre, cache souvent l’ambiguïté du propos car il peut se retourner contre ceux qui en font un argument imparable.
Vulgarité morale, physique…
Vulgarité prétentieuse…
Vulgarité de caractère, de conduite, des goûts, des mœurs, de parole, des sentiments, du style, du ton, des traits…
« Un jour que la conversation tournait à des vulgarités écœurantes (...) elle dit à Fred: « Je ne sais pas si les gens dont vous parlez sont horribles comme vous le dites, mais je sais qu'ils vous ressemblent (...) »
Aragon, Les Communistes, t. 1, 1982
Je partage l’opinion d’Oscar Wilde « Aucun crime n'est vulgaire, mais la vulgarité est un crime. La vulgarité, c'est ce que font les autres. »
Florilèges
L’origine du Monde de Courbet est-elle une œuvre vulgaire ?
Reiser était-il vulgaire ?
Le Pr Choron était-il vulgaire ?
Les Hara-Kiri, Charlie and Co étaient-ils et sont-ils encore vulgaires ?
Madame Sans-Gêne était-elle vulgaire ?
« Casse-toi pauvre con ? » était-il vulgaire ?
« Les Bio-cons » était-ce une désignation vulgaire ?
Certains critères du classement de Saint-Émilion sont-ils vulgaires ?
Les prix de certains GCC sont-ils vulgaires ?
Les salaires de certains footballeurs sont-ils vulgaires ?
« Merci pour ce moment » est-il un livre vulgaire ?
Les Balkany sont-ils vulgaires ?
Éric Zemmour est-il vulgaire ?
Nadine Morano est-elle vulgaire ?
Pamela Anderson est-elle vulgaire ?
« On s’en bat les couilles » vin de Pascal Simonutti est-il vulgaire ?
Les paroles de certains rappeurs sont-elles vulgaires ?
Les tatouages sont-ils vulgaires ?
La Rolex de Séguéla est-elle vulgaire ?
Mouton-Cadet est-il vulgaire ?
… Nul n’est à l’abri de la vulgarité… moi le premier… mais ne pas confondre vulgarité et grossièreté car si cette dernière est fracassante elle est curable, alors que l’autre est insidieuse et profondément enracinée.
Pour reprendre l’imagerie populaire, la poissonnière ou le charretier, au langage grossier, valent souvent bien mieux que les monstres de vulgarité au langage châtié.
Le monde du vin, son bling-bling, ses nouveaux riches, son paraître, sa nuée de courtisans n’est donc pas exempt d’une forme de vulgarité.
La vulgarité moderne est violente car elle nivelle et abaisse sous le prétexte de se mettre à la portée, d’être plus accessible, plus compréhensible, plus intelligible pour l’autre, « l’autre » étant l’auditeur, le spectateur, l’électeur…
Dans notre monde pressé, qui se dit et se veut efficace, c’est le chemin le plus court pour être compris. La vulgarité est alors un artifice au service d’une communication de proximité, une sorte de communication identitaire. Se faire comprendre de son interlocuteur nécessiterait de se mettre à son niveau. Être vulgaire pour être sûr d’être compris par la base que je cherche à séduire…
« Regarde-moi, je parle, j’écris comme toi, je suis toi ».
Une faute de français pour « faire peuple »
Mais de quel niveau parle-t-on ?
…
Claude Cabanes écrivait dans son Éloge de la vulgarité aux éditions du Rocher lire ICI
« Nomenclature sémantique en forme de monologue que le « dominant » adresse au « dominé » sous les vivats du public du chapiteau :
« Je suis distingué, tu es vulgaire.
Je suis rare, tu es commun.
Je suis unique, tu es quelconque.
Je suis irremplaçable, tu es habituel.
Je suis incomparable, tu es banal.
Je suis brillant, tu es terne.
Je suis fin, tu es grossier.
Je suis raffiné, tu es trivial.
Je suis aisé, tu es pauvre.
Je suis le consommé, tu es la soupe (le public rit)
Je suis un prince, tu es un bouseux.
Je suis profond, tu es futile.
Je suis mince, tu es gras. »