Lui au 17, moi au 24 du boulevard Saint-Jacques chaque jour sa face blanche et plate, percée uniformément de rectangles vitrés en quinconce, est mon arrière-plan ; entre nous deux le métro aérien sur pneus de la ligne 6 reliant la station Saint-Jacques à celle de Glacière dans sa cage d’acier cernée d’une futaie.
Mon toit
« Le treizième arrondissement, jusqu'à sa lisière avec le quatorzième, fut un haut lieu industriel. Quelques bâtiments ont survécu, comme ceux de la Sudac, des Grands Moulins de Paris ou de Panhard et Levassor. Beaucoup ont totalement disparu, notamment autour de la place d’Italie, remplacés par les grands immeubles et les tours qui ont poussé en masse dans les années 1960-1970.
Témoins, les deux usines des lits Pardon. La plus ancienne était située entre les numéros 7 et 19 du boulevard Saint-Jacques, à l’emplacement d’une partie de l’ancienne Fosse aux Lions, une carrière à ciel ouvert devenue vers 1850 un refuge de pauvres gens. La manufacture « A. Pardon » ouvrit à la fin du dix-neuvième siècle. On y fabriquait des « lits en fer creux émaillés au feu », mais la gamme s’élargit peu à peu, allant des meubles en fer aux articles de jardin en passant par des urnes électorales, des appareils de chauffage et du matériel pour hôpitaux.
Quelque 200 personnes travaillaient sur place vers 1905. Le site fut ensuite agrandi en récupérant des terrains rue Fergus. Une carte postale de l’époque montre le métro aérien et, derrière, une série de grandes halles industrielles ainsi que de plus petits bâtiments : l’usine Pardon. »
Un blog pour explorer le Paris industriel Denis Cosnard journaliste au Monde Des lits Pardon au Marriott Saint-Jacques
Érigé à partir de 1969, à l’initiative du groupe PLM et de la Banque Rothschild sur l’emplacement de l'une des deux fabriques de lits Pardon, il se veut le symbole de l'hôtellerie moderne en France. En effet, depuis les années 1930, aucun hôtel de luxe de plus de 500 chambres n'avait été construit au cœur de Paris. Conçu par l'architecte Pierre Giudicelli et ouvert en 1972 sous le nom de PLM Saint Jacques il faisait figure à l'époque d'hôtel le plus moderne du monde.
Précurseur de l’hôtellerie d’affaires, le PLM Saint Jacques est au niveau mondial le premier hôtel entièrement informatisé (un système informatique IBM pour la réservation des chambres unique au monde) et doté des ascenseurs les plus rapides. L’hôtel abrite également un Centre de Convention de 1000 places s’étendant sur plus de 3000 m2, et compte de nombreuses boutiques de luxe, un cinéma portant le nom de son parrain, l’acteur Jerry Lewis, ainsi que l’un des tout premiers restaurants Japonais de Paris, le mythique « Jun ».
Dès son ouverture, l’Hôtel devient le rendez-vous chic et branché de nombreux artistes, écrivains, acteurs, personnalités du spectacle, grands couturiers, designers et autres créateurs de tendances, à l’image de Samuel Beckett qui vient régulièrement écrire à l’hôtel, ou encore des figures du show-business comme Serge Gainsbourg et Jacques Dutronc. En 1973, le cinéaste Jean-Pierre Melville est décédé des suites d'une attaque cérébrale survenue dans le restaurant de l'hôtel PLM Saint-Jacques.
La chronique de la haine ordinaire 43 du 18 février 1986 de Pierre Desproges intitulée « Lady PLM » fait référence au PLM Saint-Jacques.
Samuel Beckett, Waiting for Godot
« Paris : The crucible in which Samuel Beckett's reading turned into writing [...] In 1936 Samuel Beckett moved into the Hotel Libéria. After a stabbing incident, he remet Suzanne Deschevaux-Dumesnil. In 1937 they moved to a seventh-floor studo at 6 Rue des Favorites, in the 15th arrondissement. They lived there until 1961, when SB moved to his final address, a purpose-built flat in the 14th at 38 Boulevard St. Jacques, near the "Falstaff" and "hygienic anonymity" of the Bar Américain in the Hŏtel PLM, where he often met visitors.”
Simone Veil Jacques Chirac And Alain Juppe At Plm St Jacques For 100 Clubs 89 Meeting
L’hôtel change plusieurs fois de propriétaire et de nom : Pullman Saint-Jacques, Sofitel Paris Saint-Jacques et Sofitel Paris Forum Rive Gauche. Dès juillet 2006, Marriott International engage une importante phase de rénovation. Avec 40 millions d’euros de budget, il s’agit de l’un des plus importants projets de rénovation d’hôtel entrepris en France. La célèbre Agence Londonienne de Designers Mackenzie & Wheeler offre à l’hôtel son concept exclusif « Business Chic » et un design très 70’s, tel un clin d’œil à son passé. En Mai 2007 l’hôtel devient officiellement le Paris Marriott Rive Gauche Hotel & Conference Center. Il est inauguré en Mai 2007 par le Maire de Paris, l’Ambassadeur des Etats-Unis et M. J.W Marriott Jr.
Souvenirs, lors de sa candidature à la présidentielle, Balladur était venu y déjeuner car l’APCA : l’assemblée permanente des chambres d’agriculture, y tenait son assemblée. J’étais à côté de Raymond Lacombe qui, avec son merveilleux accent rocailleux de l’Aveyron, m’interrogea « Delors, il va se présenter ? ». Ma réponse négative, « Delors n’aime pas les élections, sa seule tentative à la mairie de Clichy fut une catastrophe, il a tenu que quelques mois… » le plongea dans une réelle affliction, Balladur alors au zénith des sondages n’était pas vraiment sa tasse de thé.
Anecdote, il m’est arrivé, lorsque mon Internet du temps de Noos avait des ratés, de me connecter sur celui de l’hôtel en mentionnant un numéro de chambre fantaisiste.
Mais, comme je suis un coquin, si j’évoque ce matin le PLM-Saint-Jacques englouti c’est que les 12 et 13 octobre 1974 dans la foulée de la dynamique de bon score de François Mitterrand à l'élection présidentielle de mai 1974 s’y sont tenues Les Assises du socialisme qui ont permis l’entrée au PS de nombreux militants de la direction du Parti socialiste unifié comme Michel Rocard et Robert Chapuis, du syndicat CFDT comme Jacques Chérèque et Pierre Héritier, et de militants divers (Vie nouvelle, Groupes d'action municipale, Objectif socialiste, etc.)
The French Secretary-General of the socialist party François MITTERRAND and the French politician Michel ROCARD. 1974. - Guy Le Querrec
"Assises du socialisme". From left to right: French politicians Regis DEBRAY, Gaston DEFERRE, Pierre MAUROY, François Mitterrand
Les Assises du socialisme ou l’échec d’une tentative de rénovation d’un parti 12 et 13 octobre 1974 par François Kraus
«Je rêvais, à cette époque, et je n’étais pas le seul, d’un parti qui fût simultanément pour l’Etat et la société. Et bien, François Mitterrand m’a fait faire, en politique, un progrès considérable : je ne rêve plus.»
Cette remarque quelque peu désabusée d’Edmond Maire, l’ancien secrétaire général de la C.F.D.T., traduit bien à la fois le désir d’une prise en compte politique des aspirations sociétales qui, à la suite de la campagne présidentielle de mai 1974, a suscité le lancement du projet d’Assises du socialisme, et le désenchantement que ce projet a, par la suite, engendré au sein de ses plus vifs partisans.
« Le choc culturel, l’ostracisme et les différentes manœuvres auxquels sont confrontés les nouveaux venus amorcent un phénomène rapide de désengagement, qui tend à accroître la désaffection et la défection de réseaux sociaux, dont l’aspiration initiale à un médiateur politique plus crédible impliquait une mutation profonde du P.S. et non une simple «couche de peinture idéologique» aux couleurs de l’autogestion. »
Sans faire ni dessin, ni lien, mais entre le PS qui se délite faute d’une réelle colonne vertébrale en phase avec la société et le parti de Sarkozy qui change de nom comme de chemise, je vois dans le destin du PLM Saint-Jacques un symbole de la désagrégation de notre vie publique.
Bon dimanche à vous.