Dans le petit monde du vin, les grands, les petits, les vieux, les jeunes, les moins jeunes, les presque vieux, les barbus, les chauves, les rouquins, les blondes, le tout au masculin comme au féminin, il est un thème qui rassemble, lie, fortifie : vouer aux gémonies la loi Évin cause quasi-unique du déclin de la consommation du vin boisson nationale, totémique selon le quasi-oublié Roland Barthes.
Bouc-émissaire idéal fortifié par la stratégie de piqures de guêpes de l’ANPAA, la fameuse loi Évin a bien évidemment sa part de responsabilité mais passer par pertes et profits la disparition inéluctable des gros buveurs de vin, à partir des années 70, dans la consommation, donc bien avant la parution de la loi scélérate, pèse bien plus lourd que l’effet prohibitionniste.
Un autre facteur, que les pleurnicheurs se gardent bien d’assumer, c’est leur rôle dans cette baisse : lorsque l’on proclame à longueur de lignes, qu’il faut boire moins mais boire mieux, l’effet sur l’assiette de la consommation est redoutable. Les prescripteurs de tout poil ne s’intéressent pas à la consommation de masse, ils préfèrent s’en tenir à un élitisme plus porteur de retour sur investissements publicitaires.
Mais alors qu’est-ce qui fait boire, qu’est-ce qui déclenche l’acte d’achat, qu’est-ce qui booste les ventes ?
La publicité de marque, et là y’a pas photo, le monde du vin ne dispose que d’un maigre portefeuille de marques, hormis le champagne et quelques marques anciennes ou plus récentes comme Listel et la Roche Mazet, et de budgets publicitaires très modestes. Le cidre avec les marques Écusson et Loïc Raison du groupe Agriaal a une puissance de feu plus forte.
En écrivant ce que j’écris je ne suis pas en train de faire l’apologie de la publicité de marque et de regretter que le vin soit absent de cette compétition, je me contente de constater une réalité. Les « petits gros » budgets publicitaires du vin sont entre les mains des Interprofessions qui ne peuvent faire de que la publicité générique dont l’impact direct sur la consommation reste assez faible. Disons que ce n’est que de l’entretien de notoriété.
Pour mieux me faire comprendre, illustrer mon propos, j’ai choisi la soudaine irruption d’une boisson, jusqu’ici peu connue, sur les terrasse des cafés et les bars : le Spritz.
« Prenez six centilitres de prosecco, quatre d'Aperol et deux d'eau gazeuse et vous obtiendrez le cocktail préféré du canal Saint-Martin parisien. Mais comment le Spritz est-il devenu la boisson tendance du moment ? Une question de goût, une envie d'Italie ? Que nenni : une stratégie marketing. » constate un blogueur.
Objection votre honneur c’est encore un truc de bobos !
Des clous !
Stéphane Cronier, directeur du pôle spiritueux chez Rothschild France Distribution, est explicite : ils ont construit la demande « Nous avons commencé par former les barmans des établissements premiums à la préparation de ce cocktail ». Reçu 5 sur 5 les bars ont été d'autant plus soucieux de le servir que le cocktail leur permet de faire une bien meilleure marge que le mojito, qui avait d'ailleurs déferlé dans les bars sous l'impulsion de la marque de rhum Havana Club.
Derrière cette stratégie le groupe Campari qui a racheté la marque d’apéritif Aperol trop amer pour être consommé tout seul. L’idée, une bonne dit-on après le succès, a été d’associer le nom de la marque à celui d'un cocktail, le Spritz, qui n'était dans la version originelle vénitienne que du vin blanc coupé à l'eau pétillante.
2000 litres en 2011.
500 000 litres en 2014.
750 000 litres prévus pour fin 2015.
Tout ça sous l’empire de la loi scélérate, un apéritif italien totalement inconnu il y a encore cinq ans cartonne, bien mieux qu'un long discours.
« Avant l'Hexagone, le géant italien de spiritueux l'a expérimentée dans d'autres pays. Depuis son rachat par Campari, en 2003, la marque a multiplié ses ventes par quatre, grâce notamment à son expansion internationale. Aperol pèse aujourd'hui 10% du chiffre d'affaires du groupe (1,56 milliard d'euros) avec une croissance de 7% l'an dernier. »
« Campari a eu l'intelligence de préempter le nom et de l'associer à la marque Aperol pour le propulser sur la scène internationale. Avec une recette simple: trois volumes de prosecco (vin blanc pétillant), deux d'Aperol et un d'eau gazeuse. A chaque fois, les hommes de marketing ont pris le soin de construire la demande avant d'inonder la grande distribution. » les Échos
La méthode :
- Construire la demande en s’appuyant sur les vrais prescripteurs
- Associer 1 vin en vogue le Prosecco (en l’occurrence la marque du groupe Campari Riccadonna) avec Aperol. Les deux boissons se renvoyant l'une à l'autre via une collerette donnant la recette de l'Aperol Spritz.
- Investir progressivement dans la communication pour aboutir en 2015 à un dispositif massif de 5000 panneaux d'affichage dans vingt villes françaises.
Actuellement, 60% des ventes d’Aperol sont réalisées via la grande distribution.
«Dans tous les pays où elle a été expérimentée, cette progressive montée en puissance a payé, précise Stéphane Cronier. Le démarrage a été lent mais une fois partie, la courbe des ventes croît de manière exponentielle.»
Feu de paille que cette « spritzmania » ?
Je sais le nouveau vieilli vite et la mode est versatile, donc qui vivra verra. Mon propos ne se place pas sur le terrain de la durée de vie d’un produit mais sur celui très prosaïque, basique, de la PUBLICITÉ, la bonne vieille réclame chère à Marcel Bleustein-Blanchet avec les slogans basiques des lessiviers, celle qui fait vendre.
Dans le cas d’espèce le groupe Campari, qui n’a guère été gêné dans sa stratégie par la loi Évin, a simplement déployé de gros et judicieux moyens. Imaginez une seule seconde ce que pourrait être le déferlement des gros calibres si cette loi scélérate était jetée au panier ?
Face aux gros mercantis il nous reste une arme fatale : la CULTURE pour promouvoir le vin, « Les coteaux, maisons et caves de Champagne ainsi que les climats de Bourgogne, inscrits au patrimoine de l'humanité » et j’en suis très heureux.
Que l’on puisse éduquer, diffuser des reportages, des images sur les vignobles, les chais, les gens du vin, sur les grands médias les plus regardés j’en suis un fervent partisan. Mais, de grâce ne mélangeons pas tout : publicité, communication, information, ayons une vision réaliste de ce qu’est le monde du vin français, un patchwork complexe peu réductible au simplisme de la publicité de masse.
Les atouts du vin « à la française » ou pour être européen, même si c’est plutôt mal porté en ce moment, du type « vieux monde », ceux qui le distingueront de la masse des produits standards, se nichent prioritairement dans la capacité des gens du vin à intégrer toutes les nouvelles demandes sociétales qui permettront de revisiter ce produit culturel, de lui faire retrouver ses racines, ce fameux terroir tant galvaudé dans les pauvres slogans de la publicité.
J’aime beaucoup raconter des histoires mais il n’y a rien pire que de se raconter des histoires, à se la jouer, de faire comme si, de se masquer la réalité même si celle si déplaît, me déplaît. Le vin français n’a rien à gagner à se glisser dans un moule unique : celui des produits alimentaires de grande diffusion. Que certains s’engagent sur cette voie ne me pose, ne m’a jamais posé de problèmes. L’océan rouge, la concurrence exacerbée, les prix cassés, la domination de la GD sont pour beaucoup d’opérateurs une obligation et non un choix stratégique.
C’est l’autre branche de l’alternative qui pose problème, celle des vins que les bistrotiers parisiens qualifiaient bêtement de vins de propriétés, des vins d’artisans… Et là, il y a thrombose, ça se bouscule au portillon, l’ambiguïté la plus épaisse règne.
Et là, avec le retard habituel des ouvriers de la 25e heure, des voix s’élèvent dans le petit marigot de la blogosphère pour s’horrifier en découvrant la réalité de la dilution de nos appellations. Voilà donc les autoproclamés experts, adoubés par la RVF qui prennent le train en marche :
« Le monde français du vin n’aura bientôt plus grand chose à envier au surréalisme belge. La loi Evin et ses divers rebondissements offrent déjà de quoi se divertir mais toujours plus loin dans l’ubuesque, je vous présente l’AOP.
L’AOP, c’est cet estampillage quasi obligatoire pour un vin bien-né, qui signe son appartenance à telle ou telle appellation. C’est le sceau de garantie, l’indispensable passeport pour la qualité, la référence. Du moins ça l’était: si le système des AOP en régulant et codant a assurément poussé la production vers le haut, c’est en passe de devenir le contraire. »
Ça mériterait une large réflexion qui dépasserait le bout du nez de la nuisibilité de la loi Évin, qui exigerait de cesser de mettre tous les vins dans le même grand sac, merci d’éviter de nous resservir de l’équivalent Rafale, qui cesserait de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, qui arrêterait de se complaire dans un entre soi dont l’opinion publique se tamponne comme de sa première chemise…
Bien sûr, l’avenir de nos vins se situe aussi sur les marchés extérieurs porteurs mais n’oublions pas que notre marché domestique, en dépit de la décroissance de la consommation, reste le plus important marché en volume dans le monde. Alors, un peu d’intelligence économique, d’imagination, de réelles innovations concernant la conduite du vignoble, des vinifications ne nuiraient en rien au développement de la notoriété de nos vins.
Un beau chantier pour la nouvelle génération de vignerons que ce retour aux fondamentaux qui dans un monde mondialisé, uniformisé, est un gisement de création de valeur, unique et inestimable…