Comme vous pouvez vous en douter je n’ai pas mis les pieds au grand barnum mercanti de la Mutualité, Omnivore, pas besoin de tout ce cinéma pour foodistas qui ne savent que Twitter pour savoir où se trouvent les bons produits, bien les préparer et les manger sans chichis. Notre monde mondialisé est peuplé de parasites qui vivent grassement sur la bête en se parant de plumes de paon, des petits laquais au service des barons de la bouffe industrialisée.
Après ce petit couplet, destiné à me dégager les bronches, j’en viens au sujet du jour et affirmer « Si a 50 ans tu n’as pas lu Andrea Camilleri, tu n’as pas réussi ta vie… »
Ce type est un génie, l’un des écrivains les plus aimé d’Italie, et il le mérite grandement, ses romans basés sur des faits réels exclus de l’histoire officielle sont de vrais bijoux où il cultive un amour savoureux et roboratif. Il est remarquablement traduit par Dominique Vittoz qui sait conserver toute la saveur de sa langue inimitable.
Son dernier opus, La Reine de Poméranie, recueil de 8 nouvelles, ne faillit pas à sa réputation de génial compositeur de scènes de vie des gens de peu et des « grands chavaroutes » dans une société à taille humaine où vices et vertus finissent toujours par prêter à sourire. La plume peut se faire féroce mais l’atmosphère reste bon enfant, Camilleri sait garder une légèreté qui laisse la place à l’optimisme. Ne nous y trompons pas nous sommes tous, à notre manière, des Vigàtais – habitants de la bourgade sicilienne de Vigàta imaginé par ce diable de Camilleri.
En général les recueils de nouvelles rassemblent des textes de qualité inégale où une pépite soutien l’ensemble, ici dans celui de Camilleri elles sont tous, sans exception, de vrais petits romans passionnants avec toujours des chutes surprenantes ou remarquables. L’art de la chute est la marque des grands romanciers.
J’ai donc eu beaucoup de difficultés à choisir la nouvelle dont j’allais extraire quelques pépites.
J’ai choisi Les chaussures neuves.
Ce pour plein de raisons, tout d’abord parce que c’est une histoire de paysans, ensuite parce l’âne baptisé Benito Mussolini, en plein régime fasciste, par un fieffé communiste y tient une belle place, enfin parce que cette tranche de vie de la famille Sgargiato touche mon cœur de petit vendéen crotté. Bien évidemment je ne vous révèlerai pas le cœur de cette histoire de « chaussures neuves » où la vie rude des paysans de ce temps laisse une large place à des sentiments qui m’ont émus jusqu’aux larmes.
Si vous ne courez pas jusqu’à la librairie la plus proche acheter ce livre de Camilleri il va me falloir rendre mon tablier pour aller planter mes choux ailleurs.
« Bartolomè Sgargiato était un paysan qui habitait à l’extérieur de Vigàta, sur la montagne du Crasto, où il possédait une petite maison, héritée de son père Jachino.
Il vivait là avec sa femme Assunta, leur fils aîné Jachino qui avait dix-neuf ans, leur deuxième fils ‘Ngilino qui en avait dix-sept et leur fille Catarina qui, avec ses quinze printemps, semblait déjà une femme. À côté de la maison, une étable abritait un âne, une cinquantaine de poules et une dizaine de lapins. La maison était placée au milieu d’un terrain de deux arpents de bonne terre cultivée en potager. Et c’était le potager qui, avec les œufs, nourrissait la maisonnée.
Tous les matins, un des fils à tour de rôle descendait à Vigàta avec l’âne enfardelé pour vendre à la criée les légumes tout frais et les fruits de saison, pommes de terre nouvelles, fèves, pois chiches, concombres, cornichons. En une heure et demie maximum, la récolte était vendue, parce qu’elle venait d’une terre cultivée avec amour par Bartolomè et ses enfants et que l’amour, ça donne bon goût. »
« Par le fait les Sgargiato affanaient dans la campagne tous les jours que Dieu fait, du matin au soir. Comme les dimanches étaient travaillés aussi, sur toute une année les jours de repos se réduisaient à quatre : la saint Càlo, Pâques, Noël et le jour de l’an.
En janvier, ils semaient en pleine terre les fèves, les fenouils, les petits pois et, sous abri, les oignons, les carottes, les tomates, les céleris, le persil, les radis, les concombres, les aubergines, les poivrons, les courgettes.
En février, l’ail, les asperges, les choux, la roquette.
En mars, les pommes de terre. Et ils buttaient les artichauts.
En avril, ils buttaient les fèves et les pommes de terre, ils ramaient les petits pois et ils plantaient le basilic, les pastèques et les melons.
Et ainsi de suite, tout au long de l’année.
Mais avant tout un potager a faute d’eau. Surtout quand il reçoit peu de pluie l’hiver et qu’il se trouve en plein soleil l’été.
Heureusement le terrain possédait un puits suffisamment alimenté pour arroser le jardin. Sauf que tous les après-midi la famille s’estringnolait quatre heures durant pour puiser l’eau.
Des années plus tôt, Bartolomè avait acheté une pompe à la coopérative agricole. Reliée à une bardouflée de tuyaux en pente, elle envoyait l’eau où il y en avait faute. Mais la pompe marchait à bras d’homme, au moyen d’un levier en bois qu’il fallait actionner sans décesser si on voulait que l’eau coule en continu.
Et ce levier, ce n’était pas des rises. On avait beau graisser le mécanisme, rien n’y valait. Aussi comme ainsi, au bout d’une demi-heure, on avait le bras tout endolori à ne plus pouvoir le dégrober. Alors un autre membre de la famille prenait le relais. Les deux femmes étaient toisées en un petit quart d’heure. Puis le premier reprenait le flambeau. »
Que voulez-vous quand je lis Camilleri j’en suis tout ébravagé…
Comme moi La Vie aime beaucoup La Reine de Poméranie