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9 juillet 2018 1 09 /07 /juillet /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H ici nous n’avons même plus de flics mais rien que des mouchards, ça pullule, rien que des petits cafards qui grouillent (137)

Le moment de surprise passé, sans mot dire, ils emboitaient le pas de la vieille dame trainant ses savates, dont le chignon de guingois ressemblait à une pièce-montée en déroute, pour se rendre tout au bout d’un long couloir débouchant dans une véranda encombrée d’un capharnaüm de plantes et de statues de plâtre. Dans les bras de l’une d’elle un gros matou gris aux yeux orange les toisait sans agressivité. Jeanne frissonnait. La vieille dame, toujours dans un français chantant, s’adressait au mur vert « Conrad, tu as des visiteurs... et, se tournant vers eux, elle disait d’un air tendre « Il devient de plus en plus sourd... » Le matou gris sautait de son promontoire pour venir se frotter aux chevilles de la vieille dame alors qu’émergeait de la masse des plantes un petite homme en blouse blanche dont les yeux de myope, surmontés de sourcils filasse d’un blanc resplendissant, les observait avec un réel étonnement. Il s’avançait vers eux en souriant « Si Emma m’appelle en français c’est que vous êtes Français... » De concert, Jeanne et Benoît l’assuraient que oui, ils étaient bien des Français. Conrad, pince sans rire, tout en leur serrant avec effusion la main, surtout celle de Jeanne, les taquinait « Même si mon plaisir est immense je ne permettrais pas de dire : quel bon vent vous amène car ici aucun vent n’est bon et, comme je pense que je dois au hasard votre venue c’est que vous avez des soucis » Ils approuvaient. « Emma, voudrais-tu nous préparer du thé ? »

 

Ils passèrent dans un petit salon. Conrad, très disert, avant même qu’ils n’aient exprimé la moindre demande, les assurait qu’il ferait tout pour les aider. « Je suis un ancien des Brigades Internationales. J’ai vécu plus de 10 ans en France et c’est là-bas où j’ai épousé Emma. Vraiment vous ne pouviez pas tomber mieux. Qui vous a amené jusqu’ici ? » Benoît repensait au rouquin qui les attendait dehors. Conrad s’esclaffa lorsque Jeanne lui précisa que le gamin nous avait conduits chez lui parce que nous cherchions un docteur « Vous savez ici tout le monde est Her Doctor. Mais pourquoi diable cherchiez-vous un docteur ? L’un de vous est-il souffrant ? » Benoît le rassura en expliquant qu’ils cherchaient surtout un téléphone. Conrad chaussa ses lunettes qu’il avait jusqu’ici juché sur son front. « Vous ne seriez pas un peu flic sur les bords pour avoir l’idée de venir chez un médecin pour téléphoner. C’est astucieux. Vous savez j’ai tellement joué avec eux que je les lis à livre ouvert. Malheureusement ici nous n’avons même plus de flics mais rien que des mouchards, ça pullule, rien que des petits cafards qui grouillent. Si vous n’étiez pas tombé sur moi, même un homme ayant prononcé le serment d’Hippocrate aurait été capable de vous dénoncer. Tout le monde ici à peur, tout le monde ici crève de peur, nous sommes gouvernés par des petits hommes sans idéaux qui flattent les plus bas instincts. Ce pays, lorsque le gros Ours, pour des raisons que j’ignore, retirera sa grosse patte protectrice, s’effritera, se désagrégera, se désintégrera. Il ne restera rien. Même pas ce fichu mur... »

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7 juillet 2018 6 07 /07 /juillet /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Vous savez, ici, le patriotisme claironné par la propagande de leur bel Etat démocratique ne résiste pas aux beaux billets verts. Ils ont faim (136)

Le tramway arrivait à son terminus. Ils descendirent en donnant l’impression aux autres voyageurs qu’ils étaient familiers du lieu. Pourtant, juchée sur ses hauts talons, avec ses vêtements luxueux, Jeanne jurait au milieu de ce petit monde gris, mal fagoté, dont la tristesse suintait par tous les pores de la peau de cette cohorte de mal-nourris. Benoît devait vite trouver un téléphone pour joindre Sacha à son bureau. Tout son plan reposait sur ses épaules. La cité, avec ses barres parallèles, ressemblait à un alignement de sinistres clapiers bordés d’arbres rachitiques poussant sur des plaques d’herbe rare. Plus rare encore, les cabines téléphoniques, Benoît commençait à s’inquiéter. Jeanne accrochée à son bras le suivait sans piper mot. Sur une portion de terre battue des gamins frappaient dans un ballon de cuir dégonflé. « Vous parlez bien l’allemand je suppose ? » Jeanne lui répondait que oui. « Et vous avez des dollars... » Son bien sûr indiquait qu’elle devait en posséder un beau paquet. Benoît l’entrainait vers l’aire de jeu. Le plus petit des gamins, un rouquin, qui faisait office de gardien de but entre deux poubelles, les regardait s’approcher avec un regard où se mêlait crainte et intérêt. Benoît briffait Jeanne « Vous allez lui proposer de l’argent pour qu’il s’achète un nouveau ballon en échange d’un petit service... Nous conduire chez un médecin. » Jeanne marmonnait étonnée « Qu’allons-nous aller faire chez un médecin ? » Benoît raillait « Voir si vous êtes enceinte des œuvres de votre beau Wladimir ! » Avant qu’elle ne se fâche vraiment il ajouta « nous allons téléphoner à mon ami Sacha. »

 

Dans l’intervalle qui leur restait encore à franchir pour rejoindre le gamin aux taches de son Jeanne trouvait le temps de s’inquiéter. « Mais ils vont nous dénoncer » Benoît la rassurait « Pourquoi diable nous dénonceraient-ils ? Les gamins vont s’acheter un beau ballon et notre toubib empocher de quoi améliorer sérieusement l’ordinaire. Vous savez, ici, le patriotisme claironné par la propagande de leur bel Etat démocratique ne résiste pas aux beaux billets verts. Ils ont faim...» Les mains dans les poches le rouquin toisait Jeanne comme un petit coq. Les autres cessaient de jouer. Jeanne, dans un allemand rapide, exposait la transaction. Le petit mec tendait la main. Jeanne ouvrait son sac et sortait un billet de 20 dollars d’un beau portefeuille en cuir gold. Les yeux du rouquin s’écarquillaient. Benoît retenait la main de Jeanne. « Il nous conduit d’abord. Le paiement en port du » Jeanne traduisait. Le gamin lui empoignait la main et la tirait vivement. Elle se tordait les pieds mais le gamin accélérait. Après avoir contourné un long bâtiment de briques ils débouchèrent sur une petite place entourée de pavillons assez coquets. « Dites-lui que nous doublons la mise s’il nous attend. » Jeanne transmettait. Le gamin souriait dévoilant une denture chaotique. Ils étaient devant un portillon donnant sur un jardinet. Le gamin sonnait. Une vieille femme en blouse noire entrouvrait la porte. Le gamin s’expliquait. Au fur et à mesure de ses explications les yeux de la bonne femme s’écarquillaient. Avant même qu’il en eut fini elle ouvrait brusquement la porte et leur faisait signe d’entrer. Le rouquin restait dehors. Le hall empestait le désinfectant. Jeanne profitait d’un miroir pour remettre de l’ordre dans sa coiffure. La vieille les introduisait dans un salon dont les fauteuils étaient recouverts de housses. En dépit de son invitation à s’asseoir ils restaient debout. « Dis-lui qu’elle nous mène de suite chez le toubib ! » Jeanne n’eut pas le temps de traduire, la bonne femme répliquait « J’ai compris, suivez-moi... »

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6 juillet 2018 5 06 /07 /juillet /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Mais nous ne faisions rien dans son bureau à l’ambassade. Vous faisiez quoi alors ? Je lui donnais des cours de français. (135)

Estomaquée mais enfin silencieuse, Jeanne tendait deux tickets au contrôleur du tramway. Benoît l’entraînait au milieu du wagon. Elle s’asseyait en tirant sur son bout de jupe droite. Il se penchait vers elle raide comme la justice pour lui murmurer à l’oreille « Rassurez-vous, je ne baise qu’avec consentement » Elle lâchait entre ses belles dents « Goujat ! » Benoît lui prenait la main « C’est la seule thérapie que j’ai trouvé pour lutter contre votre panique. Désolé ! » Il sentait sa main moite frémir et, sourcils froncés, elle retrouvait un peu de sérénité : « Vous êtes vraiment désolé ? » Il lui caressait la joue « Mais oui je le suis la belle mais l’heure n’est pas, selon votre expression, à jouer les jolis cœurs. En peu de mots dites-moi ce qui vous est arrivé à l’ambassade ? » Inquiète de nouveau Jeanne jetait un regard circulaire pour s’assurer qu’aucune oreille ne trainait près d’eux. Elle inspirait une bouffée d’air. Le tramway s’immobilisait. Deux policiers en uniforme montaient. Jeanne frémissait. Il l’attirait vers lui. Elle se laissait aller. « Ne vous inquiétez pas, ces deux-là ne sont au courant de rien. Dites-moi tout pour que je puisse valider la petite idée qui me trotte dans la tête. » Benoît sentait le gras de sa cuisse se presser contre la sienne. Son érection fut immédiate. Jeanne dans un souffle murmurait « Vous avez un plan pour me sortir de là ? » Il opinait.

 

-         Wladimir s’est tiré une balle dans la tête.

-         Qui est Wladimir ?

-         Mon amant.

-         Mais encore ?

-         Le premier secrétaire de l’ambassade d’URSS à Berlin.

-         Vous l’avez connu comment ?

-         Lors d’un tournoi de tennis.

-         Où ?

-         Ici.

-         Et comment ça s’est passé ?

-         Dans les vestiaires.

-         Ok, mais après...

-         Il m’a délivré un sauf conduit et je le rejoignais à l’ambassade.

-         Etrange comme procédure...

-         Pourquoi parlez-vous de procédure ?

-         Il était marié ?

-         Je suppose que oui.

-         Ça ne vous a jamais étonné qu’il affiche sa liaison avec vous de façon aussi ostensible à l’ambassade ?

-         Mais nous ne faisions rien dans son bureau à l’ambassade.

-         Vous faisiez quoi alors ?

-         Je lui donnais des cours de français.

-         Vous plaisantez...

-         Non, je lui enseignais vraiment le français et sa secrétaire assistait à mes cours.

-         Mais alors, vous faisiez ça où et quand ?

-         Chez moi.

-         Chez vous, à l’Ouest...

-         Oui.

-         Comme c’est étrange...

 

« Votre Wladimir voulait passer définitivement à l’Ouest... » Jeanne se crispait. Benoît lui serrait très fort le poignet : « L’heure n’est pas aux cachoteries. Dites-moi tout ce que vous savez ! » Elle soupirait « Mais je ne sais rien... Wladimir n’était pas très bavard... » Benoît changeait de pied pour la déstabiliser « À votre avis, pourquoi s’est-il suicidé ? » Sa réponse le laissait pantois « Qui vous a dit qu’il s’est suicidé ? » Il ricanait « Vous ! » Butée elle répliquait « Wladimir n’était pas homme à se tirer une balle dans la tempe ! » Furibard il la tançait « Alors, donnez-moi votre version... » Jeanne fronçait les sourcils et lâchait, comme à regret, « Ce sont ses créanciers... » Le déstabilisé c’était lui « Ses créanciers, quels créanciers ? » Elle minaudait « Ceux à qui il empruntait de l’argent... » La moutarde lui montait au nez « ça suffit, crachez-le morceau, le temps presse ! » Jeanne tirait un petit mouchoir pour se tamponner les yeux. « Vous n’allez pas pleurnicher ! » Elle se cabrait « Non, dès que je suis contrariée je fais de la conjonctivite. » Benoît éclatait d’un petit rire nerveux « Pas possible, vous êtes contrariée, mais qu’est-ce qui peut bien vous contrarier ? Moi ?» À son grand étonnement elle posait sa tête dans le creux de mon épaule en chuchotant « Bien sûr que non, je vous trouve formidable... Vous avez des nerfs d’acier... Un peu comme Wladimir...» La comparaison l’emplit cette fois-ci d’une réelle hilarité. « Jeanne nous sommes à Berlin-Est, moi sans sauf-conduit, vous, si je puis dire, vous avez un macchab sur les bras, et vous ne trouvez rien de mieux à me dire que je suis superman. Nous nageons dans le bonheur. Pourquoi votre beau Wladimir avait-il des dettes ? » La réponse fusait « Il jouait ! » Les neurones de benoît opéraient une connexion rapide. « Au poker ? » Elle opinait. « Où ? » Elle murmurait « au consulat ». Tout devenait limpide. Il vérifiait son intuition : « Ses partenaires : des américains, sans doute... » Elle hochait la tête.

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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H il verrait un grand type en uniforme vert-de-gris la défaire avec frénésie. (133)

« Mais qu’est-ce que fichait ici cette belle tige ? » Reprenant ses esprits il abandonnait son vélo le long d’une palissade de chantier pour lui emboîter le pas. Marcher avec des talons aiguilles est un art, une esthétique qui ne va bien qu’aux déjà grandes. Celles qui veulent se hausser, tricher, ne font que se dandiner telles des dindes ridicules se promenant au milieu des flamants roses. Jeanne, avec ses abdos en béton de tenniswoman, enchaînait ses courtes foulées avec une fluidité qui conférait aux ondulations de sa croupe ferme un tangage harmonieux. Comme pour ajouter à la difficulté, la mâtine, portait une jupe droite étroite qui limitait l’allonge de ses compas. Toutes autres que la belle Jeanne, eussent sautillé, se serraient tordues les chevilles sur un macadam inégal, empli de nids de poules, auraient perdues de leur superbe. Elle altière, le buste projeté, le menton tendu sans arrogance, déjouait tous les pièges et filait vers le quartier des ambassades. Benoît laissait entre eux une belle distance afin de ne pas se faire repérer. Son avantage c’est qu’à aucun moment elle ne pouvait l’imaginer présent à Berlin-Est. À plusieurs reprises, alors qu’elle attendait aux feux tricolores pour traverser une avenue, en se plaçant dans un angle mort, il pouvait l’observer de profil. Souriante, à peine maquillée, les deux premiers boutons défaits de son corsage blanc donnaient à sa poitrine exposée une candeur mystérieuse. Pour lui, il ne faisait aucun doute elle se rendait à un rendez-vous galant.

 

Même si ça peut paraître étrange cette perspective le portait au plus haut point d’ébullition. Elle éveillait en lui l’instinct de voyeur. Son imagination carburait à plein régime. Il la voyait entrer dans un grand hôtel. Monter dans une chambre où l’attendrait un hiérarque du régime. Il soudoierait le portier et la suivrait. À l’étage il volerait un passe pour se glisser dans la chambre voisine. Avant même que les deux amants aient eu le temps de s’étreindre il aurait enjambé tous les obstacles pour se retrouver sur le balcon. Bien sûr la porte-fenêtre serait entre-ouverte et le vent gonflerait légèrement les rideaux. Sous cette protection illusoire il verrait un grand type en uniforme vert-de-gris la défaire avec frénésie. D’abord le corsage d’où jailliraient ses seins qu’il désenclaverait d’un geste sec. La fermeture-éclair de la jupe droite filerait le long de sa hanche laissant jusque ce qu’il faut d’espace pour que le cylindre de tissu entame une descente au long de ses cuisses gainées de soie couleur chair. L’émotion l’étreindrait face au spectacle de Jeanne, debout, poitrine nue, en porte-jarretelles prête à subir l’assaut de son amant. Celui-ci lui intimerait l’ordre d’ôter son petit slip de dentelle. Elle s’exécuterait avec grâce dans une gestuelle lente qui offrirait à Benoît la vision sublime de ses fesses hautes. Il en tremblait de désir. Oui il la prendrait en levrette, offerte à son va-et-vient asynchrone de type ridicule avec son pantalon tire-bouchonné sur ses chevilles. Il enrageait. Jeanne se faisait poissonnière, charretière, exhortait son étalon à plus de vigueur, le suppliait de la réduire à l’état de putain. Imperceptiblement Benoît s’était rapproché d’elle et il ne s’aperçut même pas qu’ils se trouvaient face à une grille encadrée par deux guérites où deux factionnaires, munis de kalachnikov, arboraient sur leurs casquettes et leurs uniformes l’étoile rouge de l’Union Soviétique

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3 juillet 2018 2 03 /07 /juillet /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Sacha goûta les plaisirs fades de la Convention internationale des égyptologues à Bucarest, l’ennui profond du congrès de la Fédération mondiale des syndicats à Varsovie, le néant absolu de la Foire au livre de Budapest et l’ambiance glaciale du Festival de la Paix et du chant de Leningrad. (132)

Pour Benoît, simple infiltré, misérable agent dormant dans le petit monde insignifiant des frelons de la Gauche Prolétarienne, accéder au statut international de répondant d’un agent double pour le compte de deux crèmeries de l’Ouest lui apparaissait comme un réel saut qualitatif. Son seul problème, si tant est que c’en fusse un réel, c’est qu’il ignorait le degré d’information de sa maison d’origine sur l’état d’avancement de son nouveau job. Le téléphone n’étant pas en ce temps quasi-préhistorique dans le domaine des télécommunications civiles ce qu’il est aujourd’hui Benoît prit la décision, après en avoir discuté avec Chloé, d’aller au consulat de France voir l’attaché militaire pour s’en m’ouvrir auprès de lui et lui demander d’entrer en relation directement, via la valise diplomatique, avec Marcellin. Son intrusion au consulat faillit tourner court dans le mesure où le consul était en congés, que l’attaché militaire était parti à la retraite sans avoir été remplacé et, qu’en tout et pour tout, il ne restait plus dans cette parcelle de France que le planton et une secrétaire revêche qui ne daigna même pas le recevoir lorsqu’elle contempla sa dégaine au travers de la baie vitrée de sa cage à poules.  Fataliste il battait en retraite lorsqu’il se butta à une belle et haute tige, en jupette blanche, qui serrait sur une fort belle poitrine une raquette de tennis Donnay. Un peu penaud il s’excusait en français ce qui déclencha chez elle l’expression d’un réel enchantement « Enfin, un français qui ne soit pas un bidasse ! »

 

C’est ainsi que Jeanne, la copine de la fille du consul de France à Berlin, entra dans sa vie. Qualification inexacte puisque, avec un art consommé de l’esquive, elle le maintint pendant un long moment éloigné de son lit. Ce n’était pas pour déplaire à Benoît que de se retrouver dans la position d’un soupirant. Chloé venait de partir pour Milan et Sacha fourbissait ses arguments pour convaincre les services de la RDA de son utilité de l’autre côté du mur. Tel ne fut pas la décision des bureaucrates qui décidèrent de faire voyager Sacha dans les pays frères pour qu’ils puissent sonder les reins et les cœurs de certains intellectuels tentés par un éventuel voyage aller sans retour vers les douceurs du monde capitaliste. Ainsi Sacha goûta les plaisirs fades de la Convention internationale des égyptologues à Bucarest, l’ennui profond du congrès de la Fédération mondiale des syndicats à Varsovie, le néant absolu de la Foire au livre de Budapest et l’ambiance glaciale du Festival de la Paix et du chant de Leningrad.  Consciencieux comme un bon élève il mettait le moindre choriste géorgien ou la plus minable syndicaliste de Corée du Nord en fiche tout en rédigeant pour le compte de Benoît des rapports synthétiques sur les modes de propagation de la désinformation anticommuniste dans la presse du Tiers-Monde ou sur l’état d’esprit déplorable des oncologues internationaux réunis à Sofia. Benoît lui ne s’emmerdait pas ferme son entreprise de séduction de la belle Jeanne le mobilisait.

 

Ses collègues américains, contrairement à lui, trouvait le travail de Sacha intéressant et pertinent. Les jours défilaient, vides. Jeanne le rendait fou. Chloé ne donnait plus signe de vie. Sacha se consacrait avec un enthousiasme sans limite à la chasse aux femmes des diplomates africains accompagnants leurs maris dans les Congrès exotiques dont raffolaient les pays du socialisme réel. Très bonne pioche selon Bob Dole. Que faire ? Prendre Jeanne d’assaut, Benoît courrait tout droit à la catastrophe. Rentrer à Paris, pour quoi faire ? Partir ? Oui mais partir pour où et pour quoi faire ? Même Karen n’arrivait plus, en dépit de ses assauts répétés, à le tirer de son ennui abyssal. Berlin lui sortait par les yeux. Jeanne faisait deux pas en avant puis trois pas en arrière. Un beau matin plein de soleil Benoît enfourcha un vélo et fila tout droit vers le check-point Charlie. À son grand étonnement personne ne se souciait de sa petite personne. Son bonjour en français aux Vopos sembla leur suffire. Il en resta pantois mais ça le requinqua. Il pédalait gaiement sur des avenues, aussi larges que des autoroutes, qui le menaient jusqu'à l'avenue Unter den Linden en passant par l'Alexanderplatz le nouveau centre-ville du « siège du gouvernement de la RDA » pour ne pas dire Berlin-Est capitale de l’autre Allemagne puisque celle de l’Ouest se contentait de Bonn. La soif commençait à le dessécher et alors qu’il cherchait des yeux une taverne pour s’envoyer un bock ses yeux tombèrent sur une fille perchée sur des talons aiguilles d’au moins 15 cm qui traversait au feu rouge : Jeanne. Il faillit percuter un paquet de cyclistes à l’arrêt.

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30 juin 2018 6 30 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Benoît organisa une dînette à la française accompagnée d’un Latour 1929, d’un Haut-Brion 1948 et d’un Corton-Charlemagne 1962 avec le fromage (131)

« Les traîtres sont des divas, Edward. Ils ont des dépressions nerveuses, des crises de conscience et des besoins exorbitants. Les Wolfgang de ce monde le savent. Si vous ne leur menez pas la vie dure, ils ne croiront jamais que vous valez la peine d’être acheté. » Qui plus que le grand John Le Carré a su décrire de l’intérieur le monde étrange des espions qui venaient du froid ? Pas grand monde et son affirmation s’appliquait à merveille à Sacha qui adorait croire que les services du bloc communiste le prissent pour une prima donna diva repérée, ferrée puis engraissée à prix d’or ce qui ne l’empêchait pas d’abreuver Benoît de ses crises de conscience. Pour l’entretenir dans ce perpétuel déséquilibre Chloé cultivait, avec un soin de jardinier, sa propension cyclothymique en le poussant dans le sens de sa plus grande pente. Pendant la guerre froide les opérations de retournement d’agents, d’un bord ou de l’autre, au profit du camp adverse relevaient de la routine pure et simple mais, dans le cas de Sacha, même s’il avait pris langue avec des émissaires de la RDA, celle-ci se révélait un peu plus difficile car l’oiseau ne correspondait pas au profil classique de l’espion. Il croyait, ou peut-être feignait-il de croire, à ce qu’il professait c’est-à-dire que la cause de la paix passait par son ralliement au camp communiste alors comment en faire l’instrument de l’impérialisme américain qu’il vomissait ?

 

Pour une fois la réponse à cette question cruciale vint de Benoît. Sacha vouait aux vins français une passion non feinte. Benoît en avisa Bob Dole pour qu’il passât une commande de Grands Crus Bordelais, de beaux  fleurons de Bourgogne et de quelques caisses de Krug et de Dom Pérignon. Son plan, pour ne pas éveiller les soupçons de Sacha, consistait à organiser un pseudo casse dans la cave de la villa des américains pour y faire la razzia de leurs grands vins français. Le tuyau venant, toujours le détail qui crédibilise, de la petite bonne des cow-boys qu’il venait de séduire récemment. Ainsi fut fait à l’aide d’une camionnette de blanchisseur, soi-disant volée par ses soins, que ses commanditaires avaient mis à ma disposition. Pour corser légèrement leur intrusion, toujours le détail qui crédibilise, Bob Dole fit une petite incursion dans la cuisine pendant qu’ils opéraient en sous-sol. Sacha se liquéfia. Bob Dole repartit en claquant la porte. Sacha alla pisser sur le tas de charbon tout en jurant en allemand. Benoît lui bourra les côtes en le charriant ce qu’il apprécia que très modérément. Ils rentrèrent en silence. Sacha fit une crise car Chloé ne les attendait pas. Benoît se fâcha tout rouge en le traitant de révolutionnaire en peau de lapin, d’enfant gâté et de couard. À son grand étonnement Sacha fondit en larmes.

 

Cet intermède inattendu permettait à Benoît de commencer son travail de sape. Il dégotait des glaçons dans le grand frigo de l’étage des mères  et il déposa un Dom Pérignon 1962 dans un seau en acier galvanisé. Sacha, en boule sur son vieux canapé, ressemblait à un chiot privé de mère. Dans leur razzia, le hasard bien orienté par les soins de Benoît leur avait offert un lot de saucissons secs et de saucisses sèches, deux beaux jambons, une grande cagette de fromages français : du Beaufort, du Comté, du Salers, un grand Brie et de la Tomme de Yenne, et deux belles miches de pain. Pour faire bon poids il avait aussi embarqué un bocal de cerises à l’eau-de-vie et deux bouteilles de Cognac non prévus à l’inventaire. Pour servir le champagne l’imagination de Benoît palliait l’absence de verrerie adaptée en réquisitionnant deux ciboires qu’un de leurs adeptes, dans un moment de rage païenne, venait de voler dans la sacristie d’une église des beaux quartiers. Les bulles ravivèrent le moral du futur agent double. Ensuite Benoît organisa une dînette à la française accompagnée d’un Latour 1929, d’un Haut-Brion 1948 et d’un Corton-Charlemagne 1962 avec le fromage. L’euphorie aidant Benoît lui parlait de la France patrie des droits de l’Homme et du bien-vivre. Pour une fois Sacha l’écoutait avec une réelle attention. Il le sentait prenable mais, à son grand étonnement, ce fut lui qui lui tendit la perche alors qu’il sirotait un Delamain tout en tirant sur un Puros cubain : « Et si tu me servais de relais avec les vrais démocrates français, je pourrais peut-être œuvrer pour l’amitié entre les peuples... »  

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29 juin 2018 5 29 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H l’important c’était d’entretenir la machine, de développer le fonds de commerce du renseignement, de pomper le maximum de crédits aux gouvernements, d’entretenir l’illusion de la menace, de conforter les chefs dans leur paranoïa (130)

Le retournement de Sacha passait bien sûr par les femmes, Karen et Chloé s’y employèrent avec la rouerie du sexe dit faible en exploitant sans vergogne le goût qu’ont les nabots pour les hautes tiges. Pour ne pas éveiller de soupçons Benoît servit d’intermédiaire en plaçant lors d’une beuverie en tête à tête avec Sacha que Chloé en pinçait pour lui. Il s’esclaffa bruyamment avant de lui servir que ses responsabilités de chef lui interdisait de se laisser aller aux folies de l’amour, baiser lui suffisait. Cette profession de foi déboucha, dès le lendemain soir, par une irruption de Sacha dans l’alcôve où Chloé qui, comme par hasard, dormait dans les bras de Karen. Elles le consommèrent, telles des mantes religieuses, sans répit, le pompant, l’asséchant, le réduisant à l’état de serpillère essorée.  La nuit n’y suffit pas, elles ne le lâchèrent qu’en fin de matinée. Karen vint rejoindre Benoît alors qu’il s’apprêtait à sortir. Dans son style inimitable elle entreprit de le délester de la semence qu’il avait dû accumuler en pensant à elle toute une nuit sans elle. Son agenouillement fut sublime et, pendant que ses longs doigts glacés le défaisaient, elle lui disait que tout ce qu’elle venait de faire avec Sacha c’était pour lui qu’elle l’avait fait, par amour. À l’instant où elle désincarcérait son sexe déjà en érection Karen, lui jurait une fidélité absolue. Lui seul pouvait revendiquer la possession absolue de son corps. Il était son homme, son maître, le futur père de ses enfants.

 

Le plan des américains consistait à faire en sorte que Sacha, soi-disant démasqué par leurs services, passe le Mur pour se réfugier en RDA et, bien sûr, de continuer de travailler là-bas pour la Stasi à d’autres tâches – le travail de flicage ne manquait pas dans cette sinistre démocratie populaire – tout en entretenant, avec l’accord de ses chefs, des relations avec ses anciens copains de l’Ouest qui, bien sûr, lui fourniraient des renseignements gracieusement offerts par les services occidentaux. Ce type d’opération relevait du pur classicisme sans pour autant qu’une quelconque des parties en présence puisse réellement savoir au bout du bout qui intoxiquait qui, qui manipulait qui. Avec le recul Benoît était intimement persuadé que tout le monde s’en foutait, l’important c’était d’entretenir la machine, de développer le fonds de commerce du renseignement, de pomper le maximum de crédits aux gouvernements, d’entretenir l’illusion de la menace, de conforter les chefs dans leur paranoïa, de se donner l’illusion de vivre dangereusement. La grande famille des espions se serrait les coudes, elle pratiquait un marketing de l’offre très efficace pour une demande qui ne recelait aucune limite. Restait à convaincre cette bourrique de Sacha d’entrer dans le jeu sans qu’il ait le sentiment de trahir ses idéaux.

 

Comme toujours la solution vint de là où ils ne l’attendaient pas : de Sacha lui-même. Son entichement pour Chloé relevait du calcul : pour lui, elle seule, du fait de sa culture politique, de son sens aigue de la stratégie, de son goût du pouvoir, pouvait prétendre au titre envié de compagne officielle du guide suprême. Il la saoulait de ses analyses alambiquées mais elle tenait bon. Bien lui en pris car un soir, après un dîner arrosé et pour une fois plantureux car l’un de leurs nouveaux camarades venaient de débarquer de son Piémont avec une valise pleine de victuailles, il se déballonna sans qu’elle ne lui demande quoi que ce soit. Pour lui, la cause de la paix, le triomphe des travailleurs, passait non par nos manifestations stupides au cœur du Berlin embourgeoisé mais par la RDA qui, en dépit de ses insuffisances, de ses atteintes aux libertés, de sa soumission aux Soviets, recelait encore des ingrédients susceptibles de bouter l’impérialisme américain hors d’Europe. Son projet, qu’il murissait depuis des mois, était de plier bagages et de passer à l’Est. Chloé tenta pour la forme de le dissuader. Imperator il la coupait « tu viens avec moi, bien sûr ! » Alléluia le poisson était bien ferré, elle lâcha du fil en l’assurant qu’elle le suivrait mais qu’il lui fallait faire un aller-retour en Italie avant. Pour encore mieux le tenir au bout de sa gaule Chloé ajoutait qu’il valait mieux qu’elle ne le rejoigne que plus tard pour que les pointilleuses autorités de la RDA évite de les soupçonner de je ne sais quel coup tordu. Sacha apprécia à sa juste valeur cette précaution et intima l’ordre à Chloé de satisfaire son péché : se caresser devant lui, ce qu’elle fit avec un réel enthousiasme.

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28 juin 2018 4 28 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H S’en tenir au discours bêlant des pacifistes « plutôt rouge que mort » ou à celui des partisans de la lutte armée des FAR débouchant sur le vide et la violence aveugle, c’était se donner bonne conscience (129)

Contrairement aux versions officielles que les bonnes âmes nous servent aujourd’hui, les allemands de l’Ouest, ceux de Bonn la petite capitale de la RFA, n’aimaient guère les Berlinois de l’Ouest. Deux années avant la chute du mur, la vitrine la plus avancée de l’Occident libre, le petit joyau enfoncé dans le cul des pays du Pacte de Varsovie, et plus concrètement dans celui de l’autre Allemagne dite Démocratique, coûtait aux contribuables ouest-allemands la bagatelle de 22 milliards de deutschemarks, soit comme l’écrivait un de ces économistes adepte de la formule qui frappe les esprits « 41 857 marks à la minute ». Berlin-Ouest relevait pour beaucoup de la danseuse coûteuse et, chaque fois qu’ils postaient une lettre, le timbre de solidarité obligatoire du Notopfer Berlin – 10% de sacrifice pour la détresse – ça leur laissait, de 1948 à 1956, un goût amer sur la langue. Bien sûr, l’image humble et courageuse, du bourgmestre Willy Brandt qui saura par des gestes symboliques, lors de la répression sanglante par les russes de l’insurrection hongroise en 1956, où  il prit la tête dizaine de milliers de jeunes manifestants se mettant en route vers la porte de Brandebourg au cri de « Russes dehors ! » ou lors de son agenouillement en 1970 devant le mémorial du ghetto juif de Varsovie, masquer toutes ces petites mesquineries petite bourgeoise.

 

 Pour en revenir aux petits jeux du Berlin des années 70, qui peuvent prêter à sourire en ce début du XXIe siècle, où par-delà les effets d’intoxication du camp de ceux qui justifiaient l’enfermement, donc l’asservissement de leurs populations à un régime policier et bureaucratique, par la résistance à une autre mainmise : celle de l’impérialisme américain, choisir son camp relevait d’un vrai courage. S’en tenir au discours bêlant des pacifistes « plutôt rouge que mort » ou à celui des partisans de la lutte armée des FAR débouchant sur le vide et la violence aveugle, c’était se donner bonne conscience. Chloé et Benoît avaient choisi de se situer à la lisière mais d’en être, de se plonger les mains dans la merde même si les éclaboussures les transformaient en « traîtres à la cause des peuples opprimés ». La responsabilité des communistes occidentaux et de leurs compagnons de route, dans ce partage stupide en deux camps irréductibles, était entière. Qu’ils viennent aujourd’hui, surtout en France, se recycler en derniers défenseurs des opprimés les glaçait et les énervait à la fois. L’Opération Rouge Gorge, même si elle était foireuse, relevait du seul vrai combat, celui qui permettait d’entretenir la flamme dans les têtes de ceux qui ne voulaient ni fuir la RDA, ni se coucher ou coucher avec les séides de la Stasi. Pourrir la vie des hiérarques calcifiés d’en face et foutre la merde chez les allumés des FAR, même avec le fric et la logistique des services américains, c’était inconfortable mais fichtrement plus utile que les soit disant engagements de Sartre et des frelons de la GP.

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27 juin 2018 3 27 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H y’a pas à dire c’est un plus avec les puritains de la Côte Est pour qui un petit pompier en loucedé ce n’est pas péché (128)

Chloé lisait au-dessus de l’épaule de Benoît. Les amis américains les observaient avec une fausse décontraction fortement teintée de condescendance. Lecture faite, Benoît décidait, à nouveau, de cogner fort et, pour corser son propos, de truffer son attaque d’un vocabulaire inaudible par la quasi-majorité des cow-boys présents. Son entame se fit mielleuse « Merci, mon cher Bob, vous êtes trop bon de porter à mes yeux de second couteau une telle littérature. Vos services n’ont pas perdu la main. Ils continuent d’arroser au plus haut niveau et la récolte est fructueuse... » Chloé lui massait le cou. Il montait en régime : « Après m’avoir offert comme mise en bouche deux beaux spécimens du Département d’État ; à propos de mise en bouche, entre nous, cher Bob, votre Eva m’a tout l’air d’une vraie goulue, y’a pas à dire c’est un plus avec les puritains de la Côte Est pour qui un petit pompier en loucedé ce n’est pas péché. Je constate que vous ne me démentez pas... » Bob restait impassible sûr qu’il était que ses coéquipiers n’entravaient rien des propos de Benoît. Chloé allumait une cigarette. « Donc, avec le PQ du père Debré payé à prix d’or vous me faite le coup classique du mépris. En clair, primo tu me mets sous le nez que vos affidés : les rosbifs et les teutons de Bonn font tout pour nous enfiler, ça s’est un scoop ! Même les bourrins de la DST l’ont compris, c’est dire ; deuxio, tu me montres qu’en dépit de nos rodomontades nous sommes tout juste capables d’avoir assez de carburant pour que nos chars aillent jusqu’à Varsovie, après faut qu’on vous demande de l’aide. Bref, tu me balance que nous ne sommes que des va de la gueule ! Entre nous je vais te dire : tout ça pour ça ! Tu me déçois beaucoup Bob. Il va me falloir du plus costaud si tu veux que je te donne un coup de main pour ton opération Rouge Gorge. »

 

Comme dans un vaudeville Eva Harriman pointait, au beau milieu de la péroraison de Benoît,  son joli petit bout de nez poudré. Il se fit grossier « Alors ma poule : on écoute aux portes ! » Elle ne bronchait pas. Avec une froideur inhabituelle Chloé prenait la parole « Et si nous passions vraiment aux choses sérieuses. Virez-moi la volaille et puis causons entre gens du même monde ! » Ils ne restèrent plus que quatre, Chloé et Benoît sur le canapé, Bob debout derrière le fauteuil où venait de prendre place Eva qui croisait ses belles jambes sans aucun souci pour la vision qu’elle offrait. Elle attaquait dans un français pointu « La clé de la question européenne est l’Allemagne. Elle est au cœur de l’Europe et, en dépit de ses liens culturels et économiques avec l’Occident, elle risque toujours d’être attirée vers l’Est qui détient des millions d’allemands en otage. Notre intérêt bien compris c’est d’arrimer chacune des deux Allemagnes à leur bloc respectif. La construction européenne piège la RFA en l’obligeant à tenir compte de la France. Pour la RDA le lien est plus fort mais l’attrait de l’Ouest pour ses habitants reste un problème préoccupant. Chez nous, avec l’amendement Mansfield au Sénat, pour un désengagement américain en Europe, l’important est d’agiter la menace que fait planer sur l’espace européen l’arsenal militaire soviétique. Les russes savent pertinemment que sans le bouclier nucléaire américain l’Europe est en danger. Ils jouent la France contre la RFA. Sur cet échiquier les mouvements gauchistes sont les seules pièces qui peuvent perturber les règles du jeu. Nous avons donc décidé, avec l’Opération Rouge Gorge, de noyauter leurs principaux chefs en donnant des gages à tous. Vous êtes nos virus... »

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26 juin 2018 2 26 /06 /juin /2018 07:00
La résistible ascension de Benoît H Il convient de considérer ces thèmes d’ordre général, autant que ces invites précises, comme des pièges. (127)

Ils échangèrent longuement sur la politique étrangère du Président Pompe qui rassurait un peu plus les Yankees que celle du Grand Charles. Benoît le titillait sur l’impasse vietnamienne. Robert J. Parker lui Ie branchait sur les grands châteaux de Bordeaux et lui disait toute son admiration pour Albert Camus. Bob Dole leur servait du café avec des précautions de châtelaine. La blonde contemplait Benoît avec des yeux qui en disaient plus long qu’une invitation, celui-ci savourait sa victoire. La tournure des évènements prenait tout le monde à revers, y compris Chloé. Pour la rassurer, lui faire bien comprendre qu’il allait bien suivre ses instructions, alors qu’elle le regardait intriguée Benoît fermait les yeux de façon ostensible. Quand il les rouvrit elle lui souriait. Parker et son adjointe, Eva Harriman, la blonde aux cuisses de velours, des diplomates du Département d’État, croyant la partie gagnée, prirent congés. Ils allaient enfin pouvoir passer aux choses sérieuses entre gens du même monde, celui des coups tordus où tout le monde trompe tout le monde et où chacun en arrive souvent à se tromper soi-même. Ici, avant même que Bob ne lui explique les tenants et les aboutissants de l’opération Rouge Gorge Benoît savait par avance qu’il allait s’engager sur des sables mouvants. Il se sentait revivre car, comme il n’avait depuis fort longtemps aucun état d’âme, ni la moindre réticence morale, seul l’attrait d’une réelle mise en danger le motivait. Passer de l’autre côté du mur valait son pesant d’adrénaline. Le faire en confiant ses intérêts à Chloé lui donnait le sentiment d’être un fil-de-fériste aux yeux bandés se moquant des Vopos.

 

Bob Dole lui tendait une note :

 

 N. AN-5 AG-2/1014

Le Ministre d’État chargé de la Défense Nationale

Le 11 février 1971

 

Note à l’attention du Président de la République

 

« Peu de temps après votre élection, vous avez dit de la politique européenne : « Pour la France, c’est avant tout d’être bien avec Washington et Moscou. »

 

S’il est un domaine où cette réflexion s’applique entièrement, c’est bien celui de la Défense. Il convient d’autant plus d’en être convaincu que la tentation de « coopération européenne » risque de nous attirer dans une situation où nous perdrions le bénéfice de notre indépendance, sans contrepartie sérieuse. J’ajoute que l’organisation de notre défense et notre capacité de puissance militaire ne nous permettent pas des engagements inconsidérés.

 

Je reprends ces deux points.

 

Le premier est celui de la coopération européenne en matière militaire.

 

Nous sommes l’objet d’actions de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne qui sont présentement séparées, mais qui peuvent un jour être jumelées. Les deux pays se servent, pour nous tenter, de thèmes d’ordre général. Du côté allemand, on estime avoir besoin d’un soutien pour compenser le désengagement américain... Du côté anglais, on se fait et on se fera de plus en plus le champion d’une défense européenne dont il sera dit qu’elle est la première étape pour acquérir, à l’égard des États-Unis, une situation militaire crédible.

 

Ces thèmes d’ordre général servent de prélude à des invites précises : participation du comité nucléaire de l’O.T.A.N. ; à l’organisme dit « Eurogroup » ; demande de participer à des discussions de planification pour les forces conventionnelles et d’emploi pour les forces nucléaires.

 

Il convient de considérer ces thèmes d’ordre général, autant que ces invites précises, comme des pièges. Il s’agit en fin de compte de nous enlever notre indépendance et de modifier nos conceptions stratégiques. Sans doute ne peut-on pas toujours répondre par des négatives, et ce n’est pas altérer substantiellement nos conceptions que d’admettre dans des conversations d’état-major une discussion dur certains plans communs d’action, à condition d’affirmer toujours qu’il s’agit là, à nos yeux, d’hypothèses parmi d’autres.

 

Aller plus loin serait un risque considérable ou, plus exactement, une certitude de voir altérer nos relations tant avec les Etats-Unis qu’avec l’Union Soviétique...

 

 Un second point doit être mis en lumière : l’organisation de notre capacité militaire... Notre puissance militaire est orientée vers l’augmentation progressive de notre capacité propre de défense, sans doute en nous permettant, le cas échéant, de faire bonne figure dans une stratégie interalliée, mais en fait notre capacité à participer dans n’importe quelles conditions, dans n’importe quel endroit, à une longue ou dure action militaire, à caractère continental est limitée, et ne peut pas l’être, compte tenu de l’ensemble des données, notamment financières qui commandent notre politique.

 

Cette réflexion est capitale pour notre diplomatie : nos engagements doivent être limités à notre capacité d’intervention, qu’il s’agisse de l’Europe ou de l’outre-mer.

 

Michel Debré

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