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25 mai 2021 2 25 /05 /mai /2021 08:00

La cigale et la fourmi : de la conception de l’autoroute en France et en Suisse… gardez la gauche ! Je roulais vers un paradis…

Elle ignorait tout de la période Zoug, en dépit de ses question, elle adorait les questions, il noyait le poisson, Ambrose lui servait la version officielle : 68-78 il faut que jeunesse se passe, 81-86 les années Tonton, 86-90 les années Doumeng-Louis Dreyfus, 90-2000 les années biseness, puis rideau. Ambrose, esquivait, très disert sur leurs jeunes années de petits sauvageons campagnards, les années 68, de Marie bien sûr, du temps des frelons de la GP, de leur virée au Chili d’Allende puis des années de plomb en Italie, l’écurie du présidentiable de Conflans, les joyeusetés du déclin de l’Empire Soviétiques puis, rideau… L’Omerta. Elle, fine mouche, au lieu de lui  tirer les vers du nez, s’amusait à le piéger gentiment lorsque, le vin nu aidant, il se laissait aller à lui conter comment Louis négociait avec les oligarques, un maître du jeu de go, la patience, piéger leur ego, les mettre en confiance, les laisser venir sur son terrain, ne jamais se mettre en avant, ni briller, faire apparemment des concessions, déjouer les pièges fiscaux, savoir conclure sur la base d’un protocole gagnant-gagnant… « Et toi mon Ambrose tu étais quoi dans tout ça ?

 

- Le scribe, le porte-plume, nous travaillions à l’ancienne, pas d’ordinateur, d’e-mail, le bon vieux papier…

 

 

- Tu dois avoir plein d’archives dans ton coffre...

 

 

- La Suisse mon bel amour, la Suisse…

 

 

- À Zoug ?

 

 

- Bien sûr, mais dans le duo, j’étais la taupe, invisible mais pas sourd, les discussions se déroulaient en anglais, un très mauvais anglais type Delors, ce qui me permettait, puisque je suis polyglotte, d’entendre et de comprendre ces gros cons lorsqu’ils échangeaient en russe sans se douter que je le comprenais. Avantage déterminant.

 

 

- Tu as appris le russe comment ?

 

 

- Olga !

 

 

- La belle Ukrainienne…

 

 

- Oui !

 

 

L’amour de ta vie…

 

 

- N’exagères pas, amour de jeunesse…

 

 

- La mère de tes enfants…

 

 

- Oui, des enfants que j’ai élevés seul…

 

 

- Pourquoi t’a-t-elle quitté ?

 

 

- Le mal du pays allié à un jeune oligarque…

 

 

- Mon pauvre Ambrose tu es né pour être une mère poule…

 

 

- Moque-toi petite patate, mes 4 filles, pas celles du docteur March, elles sont belles, intelligentes, indépendantes, ma fierté…

 

 

- Tu devrais écrire un traité Ambrose, le pendant de l’éducation des femmes de Choderlos de Laclos qui, loin du conservatisme de Rousseau sur la question de l'éducation des jeunes  filles, dressa un portrait flatteur de la femme naturelle des sociétés  primitives.

 

 

- Tu sais je n’ai fait que reprendre les préceptes de nos mères pour notre élevage, l’école pour les connaissances, à la maison les bases du vivre ensemble, ma liberté s’arrête à celle des autres, portes et fenêtres grandes ouvertes à la créativité, de l’amour, du  respect, bien se nourrir, rire, chanter, danser, lire, même regarder la télé, fuir les psys, se supporter, vivre, aimer, garder un parfum d’enfance, tracer sa route, préférer les chemins de traverse. Mes oiseaux ont quitté le nid presque toutes en même temps, faut dire qu’avec Olga nous avions fait un tir groupé, ça m’a fait tout drôle, mais elles sont toujours là, elles savent que papa réponds toujours présent pour elles. Bref, chouchou, avec la tripotée de mes petits-enfants, c’est le prix Cognacq-Jay qu’il aurait fallu me donner. 

 

 

- Belle tirade mon grand, mais que vas-tu faire à Zoug ?

 

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24 mai 2021 1 24 /05 /mai /2021 08:00

Le dossier d’ADN n’éclairait guère ma lanterne, outre la liste des oligarques russes qui ne m’apprenait rien, il se résumait en un simple feuillet dactylographié sur lequel le Garde, à la suite d’un petit topo, auquel je ne compris goutte, de son humour féroce, il me conseillait, sic, de dépiauter l’affaire Lawyer X, avant d’aller respirer le bon air de Zug ! Le jeu de piste de ce bougre d’homme prenait l’allure d’un rébus.

 

L’affaire Lawyer X était partie du Conteneur 1250218 bloqué, le 22 juillet 2007, sur le port de Melbourne par les douanes. Celui-ci contenait une cargaison de métham-phétamines, plus connu sous le nom d’ecstasy, d’une valeur de 300 millions d’euros. Les commanditaires, des calabrais de ‘NDRANGHETA, après avoir cru à un simple retard, se rendent à l‘évidence le conteneur n’a pas été découvert par hasard lors d’un contrôle de routine mais ils ont été balancé.

 

Par qui ?

 

Là est toute la question…

 

Les calabrais sont mis à l’ombre le 8 août 2008, dans les procès qui suivirent la version de la police selon laquelle avertis par Europol de La Haye qu’une énorme cargaison, 4 tonnes 4, de drogue devait arriver à Melbourne mais qu’aucune saisie n’avait été prévue le 22 juillet 2007 fatidique.

 

Le hasard !

 

C’est le préposé des douanes, chargé des formalités de routine, qui selon la police avait eu des soupçons à la suite d’une contradiction sur les documents d’expédition, ce qui l’avait conduit à signaler le conteneur aux agents. Donc, pas d’espions ou d’infiltrés parmi les gangsters, pas de coups de téléphone anonymes, pas de fuites : seulement de vulgaires documents mal remplis. Emballé c’est pesé les commanditaires en prirent un maximum.

 

Mais c’était trop bien ficelé pour être vrai, en 2014, une enquête publiée en mars, par le Herald Sun, révèle qu’un pool secret de policiers aurait recruté, payé et accompagné un informateur au sein du groupe d’avocats chargés de défendre les différents parrains criminels de la ville.

 

Lawyer X a violé le secret professionnel pendant des années, affirme le journal, en fournissant à la police des informations confidentielles sur ses clients.

 

Scandale !

 

Les journalistes ne peuvent révéler le nom de l’avocat X en raison du veto imposé par la police, alors que l’État créé une commission d’enquête.

 

C’est la paranoïa : qui est Lawyer X ?

 

Qu’a-t-il fait exactement ?

 

Combien de personnes connaissent son identité ?

 

L’informateur était-il uniquement piloté par la police ou les juges étaient-ils au courant de cette opération illégale ?

 

À ce jour l’affaire Lawyer X n’est pas encore close et pourrait compromettre la carrière de hauts-fonctionnaires de police, d’hommes politiques et de juges.

 

Mais pourquoi diable ADN, avocat pénaliste de profession, me branchait-il sur une affaire n’ayant aucune ramification dans notre doulce France ?

 

Loin de me tranquilliser, cette absence de lien prenait des odeurs d’exemple pour décalque sur un sujet plus gaulois. La connexion avec Zoug me mettait plus encore la puce à l’oreille.

 

Pourquoi Zug ou Zoug ? À l'exception d'une première tour de 18 étages, dont la silhouette en biseau domine la ville, Zoug - 25 000 habitants -, catholique et de langue allemande, garde un charme d'avant-hier. Avec ses demeures du XIVe siècle, sa Zytturm (tour de l'Horloge), et ses rues étroites et tortueuses donnant sur un lac paisible. Mais en se glissant dans le hall des maisons bourgeoises, sous la plaque des avocats et des notaires s'alignent quelque 200 000 noms d'entreprises du monde entier.

 

« La spécialité de Zoug, c'est moins son lac, son marché aux taureaux et son alcool de cerises que ses privilèges fiscaux aux sociétés holdings. Leur capital n'y est taxé qu'à 0,02 pour mille. « Quant à l'impôt sur les bénéfices, les sociétés ne le payent que sur le chiffre d'affaires réalisé en Suisse. Comme elles gagnent essentiellement leur argent à l'étranger, elles ne payent rien, ou presque, à Zoug », constate Josef Lang. Historien de renom, il n'a curieusement pas trouvé de travail à Zoug, et doit enseigner à Zurich.

 

Glencore, le numéro un mondial des matières premières, qui emploie plus de 50 000 salariés dans le monde, est ainsi domicilié à Baar, une bourgade à côté de Zoug. Apparemment, les managers ne se réunissent pas très souvent au siège social : Baar ne compte qu'un modeste hôtel deux étoiles, donnant sur la gare... Même la Fraternité Saint-Pie X, fondée par monseigneur Marcel Lefebvre, n'est pas restée insensible à ce paradis fiscal. Elle a établi sa « maison généralice » à Menzingen, un autre village du canton de Zoug. Les offrandes peuvent être déposées à la Zuger Kantonalbank (la banque cantonale de Zoug). »

 

Au XIXe siècle, Zoug, canton presque exclusivement agricole, était l’une des régions les plus pauvres de Suisse. En 1860 encore, le canton présentait la dette par tête la plus élevée du pays et un rendement bien en dessous de la moyenne nationale.  C’est grâce à l’initiative d’entrepreneurs que Zoug a progressivement relevé la tête. En 1834, Wolfgang Henggeler construit la première fabrique du canton, une filature de coton à Unteraegeri, et en 1866, l’Américain George Ham Page implante à Cham la première usine de lait condensé en Europe. A la même époque Zoug est relié au réseau de chemins de fer, permettant au canton de se développer.

 

C’est cependant à partir des années 1950 que la région commence véritablement à prendre son envol. En 1956, dix ans après l’adoption d’une nouvelle loi fiscale, l’opérateur financier Philipp Brothers s’installe à Zoug. Un établissement qui est le premier d’une longue série; un taux d’imposition favorable ainsi que la proximité de l’aéroport de Zurich transforment alors Zoug en un centre financier et de courtage.

 

De nos jours, Zoug est le canton le plus riche de Suisse avec un taux de chômage d’à peine 1,9% et un produit intérieur brut que l’institut de recherches conjoncturelles BAK estimait à 117'000 francs par tête à la fin 2010.

 

Situé à 30 minutes du centre des affaires de Zurich et du pôle touristique que représente Lucerne, Zoug est depuis de nombreuses années stable, tant au niveau économique que politique, social et financier. Ses habitants ont en moyenne moins de 40 ans et plus de 10% sont au bénéfice d’un titre universitaire, un record suisse selon l’Office fédéral de la statistique.

 

Ce n’est pas par hasard si, Louis et Ambrose, lorsqu’ils décidèrent, dans les années fric, de se mettre à leur compte, firent de Zoug,  le « siège social » de leur petite entreprise qui ne connut pas la crise mais en profita. Des guillemets à siège social, l’affaire ne reposait sur aucun statut mais sur une enseigne : la galerie d’Art Contemporain de Clotilde Aebischer-Brändli domiciliée à Zoug, dont le chiffre d’affaires se générait essentiellement à Londres, Hong-Kong, Los Angeles. Le jour où, Clotilde Aebischer-Brändli et Louis convolèrent en 1986, un discret mariage civil, blanc comme la neige du Schnebelhorn, ils se firent mitonner par un cabinet de notaires franco-suisse un contrat de mariage aux petits oignons, qui se révéla fort utile en 1990 pour bâtir les fondations de la petite entreprise de Louis&Ambrose, sans objet social affiché, normal puisqu’il s’agissait de faire pour le duo « le sale boulot fait proprement ».Depuis qu’ils s’étaient rangés des voitures, Clotilde-Louis, résidaient 6 mois par an, les beaux jours, à Zoug.

 

Les dés roulaient sur le tapis vert du Craps, Ambrose savait pertinemment qu’il se fourrait dans un fichu guêpier, rien ne l’y obligeait, il pouvait laisser tomber, il ne devait rien à ADN,  du côté de Louis il en était moins sûr, l’injonction du Garde de se rendre à Zug confirmait cette crainte. Reconstitution de ligue dissoute, besoin d’adrénaline, folle envie de se remettre en tandem avec Louis, le poussaient inexorablement vers les emmerdements. Ambrose, prenait à son compte le « Peu me chaut !» que lançait Louis à ceux qui lui criaient casse-cou. Il pianota sur son smartphone « Chouchou, je pars à Zoug ! »

 

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23 mai 2021 7 23 /05 /mai /2021 08:00

Interno - Photo de LE PIED DE FOUET, Paris - Tripadvisor

Le lieu était minuscule, bas de plafond, la cantine d’Ambrose depuis son arrivée à Paris avant la révolution ratée, son rond de serviette, son statut d’habitué auprès d’Andrée, petite bonne femme, poitevine, qui régentait le client : pas de réservation, on ne fume pas, on prend son café au bar, on se déplace si ça arrangeait la patronne pour placer de nouveaux arrivants. Tout le monde obtempérait dans la bonne humeur, certains étrangers en redemandaient. Au bar Martial le patron, placide, souriant, belge, forçant un peu sur le litron de Gamay de Marionnet, en cuisine, le chef un pays de la patronne, Hamid le plongeur algérien, officiaient dans 4 ou 5 m2. Le frichti familial, abondant, de qualité, goûteux, l'addition légère. On faisait la queue sur le trottoir. Je m’y sentis bien, comme un parfum d’enfance même si je ne pouvais s’empêcher de penser que le lieu aurait plu à Marie. Ambrose avait dû briffer la patronne, elle me traita comme un grand brûlé.

 

Ambrose ne me laissa pas le temps de souffler « Mon grand tu t’inscris en 3e année à Panthéon-Sorbonne…

 

- Moi je me serais bien vu à Vincennes…

 

- T’es louf, ça va être un repaire de chevelus, un dépotoir, une poubelle pour sociologues…

 

Tu as sans doute raison mais pour te faire plaisir je m’inscris aux deux…

 

Au lendemain du  « joli » mois de mai 1968, alors que les carcasses de voitures et les pavés parisiens jonchaient encore les artères du quartier latin, de Gaulle décida de réformer l’Université. Soucieux de ne plus voir son trône vaciller et son mandat présidentiel sclérosé par le mouvement estudiantin, le chef de l’État confia à son nouveau ministre de l’Éducation nationale, le sémillant et zozotant Edgar Faure, la rude tâche de gérer l’après mai. À commencer par l’éloignement des étudiants de gauche du centre de Paris et de ses ruelles propices à l’insurrection.

 

Décision prise de construire de nouvelles universités aux portes de la capitale pour accueillir les premières générations de baby-boomers et les « perturbateurs » gauchistes des facultés parisiennes. Résultat, en quelques semaines, sortirent de terre des milliers de mètres carrés de salles, d’amphis, de cafétérias, au cœur du bois de Vincennes. Cette faculté d’un nouveau genre, baptisée « centre expérimental » fut lancée avec l’appui du doyen éclairé de la Sorbonne Raymond Las Vergnas et sous l’impulsion d’Hélène Cixous, alors professeure à l’université de Nanterre2. « La contestation de Mai 68 était nécessaire, mais je savais qu’elle ne durerait pas. Qu’il faudrait que cela débouche sur quelque chose de durable. J’avais ce projet d’université en tête depuis quelque temps. Mai 68 a été l’occasion de le faire et du coup, avec l’aide de Jacques Derrida, j’ai créé Paris-VIII. » Ainsi, sous l’égide de cette spécialiste de la littérature comparée, une équipe d’une trentaine d’enseignants est bientôt constituée. Avec comme leitmotiv, rassembler ceux qui, au sein de l’université française, souhaitent un changement. « Les gens se connaissaient, on savait ce que pensaient les uns, les autres. Mais ils étaient disséminés un peu partout. Il fallait donc les réunir dans un même lieu et ça a été Vincennes. »

 

Ce n’était là que le hors-d’œuvre d’Ambrose, alors que nous attaquions le poulet au vinaigre, plat culte de la maison, il aborda la question cruciale de l’intendance, en prenant soin de ne pas me brusquer « Tout est réglé…

 

- Qu’est-ce qui est réglé ?

 

- Nous avons de quoi vivre sans soucis…

 

- Comprends pas…

 

- Tu me fais confiance ?

 

- Bien sûr que je te fais confiance !

 

- J’exécute les volontés du père de Marie…

 

- Qui sont ?

 

- Marie étant sa seule fille, il avait fait d’elle la présidente de sa fondation…

 

- Je sais.

 

- C’est toi qui la remplace.

 

- Pourquoi ?

 

- C’était la volonté de Marie.

 

- Elle avait prévu de mourir.

 

- T’es con, je voulais dire que ce serait la volonté de Marie.

 

- Encore une combine montée avec le papa…

 

- Et alors, tu as quelque chose contre ?

 

- Pas vraiment, j’accepte à une seule condition : c’est toi qui t’occupe de tout.

 

- Ça va de soi mon grand.

 

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22 mai 2021 6 22 /05 /mai /2021 08:00

Campagne à Paris

Notre périple sous terre, tels des lombrics entrelacés, teintait d'un plaisir malsain mon blues matinal. Ici, dans cette ville grouillante, indifférente, me fondre dans son magma serait un jeu d'enfant. Ma nouvelle vie de merde se présentait sous les meilleurs auspices. Pour la première fois depuis notre arrivée je souriais. Ambrose, ma mère poule, sentait que je me détendais, il en profitait pour m’annoncer : « Nous allons porte de Bagnolet dans un petit village au coeur de Paris. Tu vas voir nous t’avons préparé une belle surprise. » Je ne relevai ni le nous, ni l'indication de notre point de chute, ça m'importait peu, tel un Giovanni Drogo vieillissant face à la frontière d'où nuls envahisseurs n'avaient jamais surgi, je me sentais las. Aurais-je encore le courage de me colleter à la vie ? De le faire sans complaisance ni masochisme. De le faire, tout simplement, n’être qu’une insignifiante trace dans ces années de fric corrupteur. « T'es bien trop petit mon ami » chantait le pépé Louis. Une irrésistible envie d'envoyer valdinguer tout ce fatras de souvenirs me saisissait. Sortir ! Ne pas céder à la lassitude. Voir des gens. Les sentir. Les entendre. Leur parler. Avoir de nouveau la sensation d'être vivant.

 

Moche la porte de Bagnolet, rien qu’un nœud de bitume plein de bagnoles, de bruit, de pestilence sulfurée, Ambrose sur son petit nuage, me guidait, dissertait : « Oui mon ami, difficile de croire que nous sommes dans le XXe arrondissement, même si ça t’étonne, la Campagne à Paris, c’est bien le nom du quartier perché sur les hauteurs où nous allons nous installer ; un petit village créé, sur l’ancienne commune de Charonne, en une vingtaine d’années, au début du XXe siècle, un  îlot situé sur des anciennes carrières souterraines et composé d’une demi-douzaine de jolies ruelles, à l’origine organisé en coopérative : il permettait à la classe ouvrière d’accéder à une centaine de pavillons construits spécialement pour eux et proposés à des prix abordables. Feu la classe ouvrière ! Bien avant les bobos, comme à la Mouzaïa, ce fut le nec plus ultra des nouveaux bourgeois intellos parigots... » Nous montions des escaliers, une fois en haut des ruelles pavées, des petites maisons en brique ou en meulière, jardinets fleuris et verdoyants. Tout ce je trouvai à dire « C’est une annexe de la grande muette, y’a plein de capitaines : Ferber, Marchal… » Ambrose me prit par les épaules « Nous allons rue Jules Siegfried, un industriel havrais, préoccupé par le sort des plus pauvres qui chercha à promouvoir l’habitat social. Ainsi, la « loi Siegfried » du 30 novembre 1894 encourage la création d’organismes d’habitations à bon marché. C’est auprès de cet homme politique influent, « le plus représentatif de l’esprit havrais » selon René Coty, que ce dernier entama sa carrière politique. » Ambrose est ainsi, le roi du  détail, le champion de la logistique.

 

La surprise d’Ambrose : le père de Marie se tenait sur le perron d’un charmant pavillon, il m’enveloppa de ses grands bras « Mon fils : bienvenue au logis de Marie, c’était ma dot, comme on le dit chez les bourgeois, voici les clés, ce n’est pas un mausolée, Marie c’était mon bébé, l’amour de ma vie, un rayon  de soleil que tu as su capter, foin d’émotion mon garçon, gardes-là dans ton cœur c’est un ordre ! » Je balbutiai je ne sais plus trop quoi, Ambrose rayonnait « Comme tu es le roi de la brocante nous allons chiner pour la meubler » Nous fîmes le tour du propriétaire, le père de Marie et Ambrose s’entendaient comme deux larrons en foire, je planais. « En attendant votre installation je vous héberge ! » Nous repartîmes dans sa vieille Jaguar Mk2, aux fragrances de vieux cuir et de havane, conduite à  droite, éphèbe café crème à la manœuvre, moi à la place du mort, les deux comploteurs sirotant sur la banquette arrière un Cognac Delamain hors d’âge.

 

En pénétrant dans le grand penthouse de l’avenue de Breteuil, elle, partout, son rire, ses taquineries, ses allures de gazelle, son lit de jeune fille, des photos d’elle sur les murs blancs, je tanguais. Le grand homme, prévenant, flanqué d’un Ambrose plus mère poule que jamais, m’encadraient, silencieux. Se ressaisir. « Je vais prendre une douche… » Mon jeans, mon tee-shirt me collaient à la peau, mes Clarks cocotaient. Je les flanquais à la poubelle. Nu comme un ver je farfouillais dans ma maigre garde-robe, un pantalon ample de lin, un sweet-shirt, des tennis blanches. En m'enfournant dans le futal la rouille de mes genoux me rappelait à l'ordre. Je marmonnais « Si tu continues, mec, t'es bon pour Saint-Anne. Bouge ton cul ! » Le miroir de la salle de bains confirmait le diagnostic, en pire. Le désastre fondait sur moi. Un vrai naufrage. Me récurer. Tailler dans le poil. Sentir bon. Ambrose, au sortir de la salle de bains, ne me laissa pas le choix « Je t’invite à dîner au Pied de Fouet, nous avons à causer mon grand… » C’était à deux pas, au cul du jardin de l’hôtel Matignon, nous nous y rendîmes à pied.

© tasogareningen / Instagram

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21 mai 2021 5 21 /05 /mai /2021 08:00

L7 - Rame Sprague entrant en Station

Notre arrivée gare Montparnasse me reconnectait violemment avec Paris, cette pute fardée, soupe au lait, délurée et populacière, dangereuse, que la grande écrémeuse immobilière, tournant à plein régime, vidait de son petit peuple et des nouveaux venus. Cap au nord, toujours plus loin dans les champs de betteraves, empilés. Montparnasse où nous échouions ne serait plus bientôt le bassin déversoir des crottés de l'Ouest, filles et garçons, émigrés de l'intérieur, bonniches et manœuvres, rien que des bras. Les cafés du bord des gares, même au petit matin, puent la sueur des voyageurs en transit. Ils sont crasseux de trop servir. Les garçons douteux. Les sandwiches mous. La bière tiède et les cafés amers. Dans le nôtre, les croissants rassis et le lait aigre, allaient bien aux ongles noirs et aux cheveux gras du serveur et les effluves froides et graillonneuses de croque-monsieur rehaussaient le charme gaulois du patron : bedaine sur ceinture et moustache balai de chiottes. Depuis l'instant où j'avais posé le pied sur le quai je distillais un coaltar léger. Tout ce gris, ce sale, cette laideur incrustée, loin de m'agresser, m'enrobaient d'un cocon protecteur. Ma bogue se refermait et j'appréciais. Dans ce décor, seule mon Ambrose échappait au désastre. Indifférent à mon mutisme il me couvait. S'imposait comme le seul ancrage à ma molle dérive. Je me ressentais fœtus, ça m'allait bien.

 

Quand nous nous sommes enfournés dans la bouche du métro, la glue poisseuse des mal-éveillés giclant de toute part nous a dégluti, absorbé, digéré. Des fourmis aveugles, programmées, progressaient en files denses, se croisaient sans se voir. Portés par elles, dissous puis coagulés, étrons parmi les étrons, nous prenions place dans le troupeau. Ce grouillement souterrain, malodorant, informe, chaîne de résignés, de regards vides, bizarrement me rassurait. La quête têtue et empressée du bétail à se fondre, à n'être qu'anonyme, correspondait bien à mes aspirations du moment. Je collais aux basques d’Ambrose, armoire à glaces, il progressait, tel une barge de débarquement, au droit, fendant la foule. Notre absence de mots, mon silence obstiné pour être honnête, lui laissait l'entière initiative. Ambrose s'en fichait, me portait, ne laissait rien au hasard. Au débouché d'un couloir en coude nous nous retrouvions compressés tout contre les battants d'un portillon métallique. Dans mon dos le cheptel renâclait. Je m'arc-boutais.

 

Le portillon s’ouvrit, nous nous essaimèrent sur le quai. Brève attente, la face plate de la rame Sprague débouchait du tunnel et, comme nous étions en tête de ligne elle venait s'immobiliser dans un crissement aigu de freins à notre hauteur. La rame dégueulait ses encagés sous les regards impatients de ceux qui allaient les remplacer. Le chef de train, un long voûté, dominait la masse, et sa tronche renfrognée sous sa casquette ridicule ressemblait à un bouchon ballotté par la houle. Ambrose me tirait par la manche, s'encoignait près de la porte. Tout près de nous, les corps cherchaient des espaces, des mains agrippaient les hampes centrales, sans un mot, têtes baissées, les moutons trouvaient leur place dans la bétaillère. Le signal sonore couinait. Les loquets des portes claquaient. La rame s'ébranlait. Mon allergie pour le métro naissait.

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20 mai 2021 4 20 /05 /mai /2021 08:00

1969 - Vie et mort de la gare Montparnasse - Paris Unplugged

À mon retour à Nantes, avec l'argent de Jean, mon dû, une poignée de billets fripés – si je l'avais écouté il m'aurait donné tout le liquide du coffre – je louais une chambre, pour une semaine, dans un hôtel miteux du quai de la Fosse. La patronne, déjà intriguée par ma dégaine de mal rasé et mon étrange balluchon, me regardait d'un drôle d'air quand j'insistai pour payer d'avance en petites coupures. Pour l'amadouer je lui souriais. Ma tronche de chien battu devait la rassurer. Elle me tendait une fiche de police que je remplissais. Son parfum de pacotille, mêlé au suif de sa peau, épandait des remugles fades. Elle me donnait une grosse clé pendue à une étoile de bronze « la 18 est au premier gauche... » L'escalier recouvert d'un tapis élimé grimpait sec. Les immeubles du quai, étroits et de guingois, empilaient des pièces hautes de plafond. Ma chambre, qui donnait sur une cour intérieure, n'échappait pas à la règle. Je tirais les doubles rideaux jaune pisseux. La lumière les traversait sans peine tant ils étaient élimés. Je m'allongeais tout habillé sur le lit recouvert d'un dessus de lit d'un blanc douteux. Le plâtre du plafond, bouffé par le salpêtre, partait par larges plaques en lambeaux. Je pleurais. Je pleurais doucement, en silence, les yeux rivés sur un petit tableau aux couleurs défraîchies.

 

Ambrose est venu me rejoindre, nous avons décidé de monter à Paris le dimanche soir, un train, bourré de bidasses remontant vers l'est, empestait la chaussette sale, le tabac froid et la pisse rance. Les départs, dans mes rêves d'enfant, revêtaient des allures princières, bagages en cuir patiné convoyés par des porteurs en blouses, uniformes impeccables des hommes de la Compagnie des Wagons-Lits, voyageurs empressés, grappes de ceux qui resteraient à quai, à mon bras une femme mariée que je venais d'enlever aux rets de son sinistre époux, visage caché sous une voilette, des nappes bleutées de vapeur enveloppaient la locomotive, le compartiment du sleeping en partance pour l'Orient, avec ses parures en loupe d'orme, allait abriter mes amours clandestins. Ce soir, dans l'inconfort de ce train de nuit ordinaire, à vingt ans, je prenais pleine conscience que je m'enfonçais dans une vie ordinaire où le tous les jours ne m'apporterait qu'ennui, tristesse et chagrin. Ma belle vie, mon bel avenir, tout ce bel édifice que j'abandonnais sans regret, ma famille, mon pays, mes amis, Marie, je les enfouissais tel un magot désormais inutile. Mémé Marie disait de moi que j'étais un garçon délicat. Pour elle c'était un compliment. Moi je savais bien que c'était mon tendon d'Achille. Il me fallait forcer ma nature, me rendre insensible au regard des autres, n'être qu'un gris parmi la cohorte des gris.

 

Montparnasse, le terminus, la vieille gare de l'Ouest, sentait le sapin. Elle vivait ses derniers jours car bientôt les promoteurs et les bétonneurs allaient l'araser, l'enfouir, damer son empreinte pour couler le socle du plus haut phallus pompidolien, la Tour, bite d'amarrage plantée loin des effluves de l'Atlantique, totem des ambitions pharaoniques des nouveaux friqués, doigt d'honneur pointé au flux de bagnoles craché par la future pénétrante Vercingétorix. Tout devenait possible, les vannes s'ouvraient, le fric dégoulinait, on jetait un tablier de bitume sur les quais de la Rive droite, on charcutait le futur Chinatown, on excavait le ventre de Paris, on décidait d'édifier Beaubourg, les derniers feux des années dites Glorieuses rougeoyaient. Qui aujourd'hui se souvient de Christian de la Malène, de la Garantie Foncière, du Patrimoine Foncier, de Gabriel Aranda, de Robert Boulin, des petits et gros aigrefins, des prête-noms, des stipendiés, des corrupteurs et des corrompus, des fortunes météoriques, de cette cohorte de personnages troubles dont on aurait cru qu'ils sortaient d'un film de Claude Sautet ?

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19 mai 2021 3 19 /05 /mai /2021 08:00

 

Je lâchai prise, coupai tous les ponts, mais sans fuir. Sonné, KO debout, je me laissai glisser, comme ça, sans réagir, doucement, les yeux grands ouverts. Ce fut une glissade un peu raide mais toujours contrôlée, bien maîtrisée. Je savais ce que je voulais, mourir, mais à petit feu. Mon but : aller au bout de mon chemin, sans contrarier la nature, en me contentant de survivre, de perdurer. Simple spectateur de ma vie. Emmuré dans le chagrin, mes yeux restaient secs. Pleurer c'était prendre le risque de fendre ma carapace, de m'exposer à la compassion. Pour tenir je devais faire bonne figure. Alors, j'allais et venais, affrontant l'intendance qui suit la mort avec le courage ordinaire de ceux qui assument les accidents de la vie. Mon masque de douleur muette, souriante même, me permettait de cacher, qu'à l'intérieur je n'étais plus que cendres. La mort rassemble. Autour de la grande table chez Jean, le soir, nous parlions. Nous parlions même d'elle. J'acceptais même de parler d'elle. Nous buvions aussi. Le vin délie les langues et allège le coeur. À aucun moment nous n’étions tristes. Marie, couchée dans le grand lit de Jean, nous imposait son silence éternel.

 

On prit mon emmurement serein pour du courage. Aux yeux des autres, mes proches, mes amis, ceux de Marie, ses parents, j'étais admirable. Non, j'étais déjà mort. Seul Jean pressentait mon délitement intérieur. Il bougonnait, tournait en rond, maudissait le ciel et me pistait comme un vieux chien fidèle. Les mots des autres filaient sur moi sans y laisser de traces, alors que les miens, précis, menaient leur dernier combat. On me laissait faire. Avec Jean, nous décidions de porter nous-mêmes Marie en terre au cimetière de Port-Joinville. Qu'elle restât sur notre île, sans fleurs ni couronnes, relevait pour nous de la pure évidence. Ça ne se discutait pas. Le maire obtempérait, et c'est dans notre C4, au petit matin, avec Achille coincé entre nous deux, que nous sommes allés jusqu'au trou béant. De la terre remuée et ce ciel pur, cette boîte en chêne vernis à poignées argentées, un moment j'aurais voulu qu'on chantât le Dies Irae. Des mains serrées, quelques pelletées, des baisers, des étreintes, des sanglots étouffés, encore des mots échangés et nous sommes allé au café. Là, j'aurais bien voulu pleurer.

 

Sur la dalle de ciment, avec Jean, nous avions fixé une petite plaque émaillée - c'est un de nos amis, potier, qui nous l'avait confectionné - où j'avais écrit Marie fleur de mai. Quand ils étaient tous repartis, au bateau du soir, même le regard implorant de maman n'avait pu ébranler ma détermination. Ma survie en dépendait. Je voulais vivre dans ma plaie ouverte. Jamais elle ne devait cicatriser. Ne croyez pas que c'était pour me complaire dans le malheur. Je n'étais pas malheureux. Je n'étais plus rien. Reprendre le cours d'une vraie vie sans Marie était au-dessus de mes forces. Me restait à vivre une vie de merde, y patauger, m'y souiller, m'y perdre pour que l'oubli, ce grand laminoir impitoyable, ne puisse jamais m'atteindre et m'essorer de ma vie d'avec Marie. Avant de partir je suis allé sur la lande cueillir une brassée de fleurs. Jean m'attendait devant le portail du cimetière avec un grand vase rouge. Nous avons offert à Marie ce bouquet puis nous sommes descendus nous bourrer la gueule au port. Les marins piquaient le nez dans leurs verres. C'était l'un des leurs qui avait écrasé Marie.

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18 mai 2021 2 18 /05 /mai /2021 08:00

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Les affaires de Jean prenaient de l'ampleur, les clients affluaient, achetaient, si nous n'y prenions garde nous allions manquer de marchandise. Notre originalité, la patte de mon patron farfelu, tenait à ce que, à la Ferme des 3 Moulins, voisinaient des meubles et des objets de brocanteur, à des prix raisonnables, et des pièces rares dignes des meilleurs antiquaires. Ma bonne gestion des finances nous avait permis de financer de belles acquisitions à des prix de marchands. La revente, coup sur coup, d'un compotier en vieux Rouen et d'une adorable petite commode signée d'André Charles Boulle - une merveille bien achetée à une vieille originale et très bien vendue à un industriel du Nord - nous donnait capacité à aller draguer sur le continent des confrères moins bien lotis que nous. Le stock de fin de saison est l'ennemi du brocanteur. Il lui faut de la fraîche pour se livrer à son plaisir favori : acheter. Jean pouvait partir en chasse. Sans conteste, avec son allure de Pierrot lunaire, ses fringues pourries et ses sandales en plastoche, il était l'un des meilleurs de la place, surtout auprès des vieilles dames grosses pourvoyeuses de notre biseness. Il les embobinait, en grommelant des tirades incompréhensibles tout en grignotant des gâteaux secs et en sirotant des petits verres de vin doux. Le seul problème était de le laisser battre la campagne avec autant de liquide en poche. Marie, fine mouche, trouvait la solution : Button. « Il vous servira de chauffeur et de banquier... » et d'ajouter « C'est plus prudent » sans préciser s'il elle faisait allusion à sa conduite automobile approximative ou à son côté panier percé.

 

Avec Marie nous évoquions, pour la rentrée, notre installation. Mon pécule gagné sur l'île, plus la petite rente que lui versait son père, nous permettraient de louer soit un studio, soit un petit deux pièces dans la partie populaire de Nantes. Pour vivre ensuite, les petits boulots ne manquaient pas. Nous aviserions. La perspective d'entamer notre vie commune, rien que tous les deux, nous rendaient plus amoureux encore. Marie me rendait simple. Je ne fabriquais plus de nœuds. Depuis notre première jour, à aucun moment, nous nous étions livré au ballet traditionnel du je me présente sous mon meilleur jour et je me garde bien de remarquer, les grandes et les petites choses, qui m'agacent chez l'autre. Pour ce qui me concerne, ça tenait de l'exploit. Avant elle c'était mon mode fonctionnement exclusif. Quant à Marie, comment le dire sans paraître prétentieux, elle me dispensait, à doses quasi égales, ce qu'il me fallait, et d'admiration, et de franchise. Avec son petit air pince sans rire, et sans jamais me faire la morale, elle mettait le doigt sur mes si nombreuses contradictions. Elle me rendait léger. Nous aimions être ensemble. Nous aimions nous retrouver. Je ne lui cachais pas son soleil et elle me donnait sa lumière.

 

Ce lundi-là, le père de Marie, ce cher maître, annonçait par téléphone son arrivée sur l'île pour le lendemain. Branle-bas de combat pour Marie, il lui fallait mettre la villa en ordre de marche. Bien sûr, il ne venait pas seul, une cour de beaux jeunes gens l'accompagnait. Pendant toute la journée Marie vaqua. Le soir venu, j'allai la chercher pour que nous dînions à la Ferme des 3 Moulins. La pauvre était fourbue. Pour lui redonner des forces je lui fis des spaghettis à la carbonara. Marie tombait de sommeil. Comme elle devait rentrer à la villa je lui proposais de la raccompagner. « Non, non me répondait-elle, je prends le solex, ça m'oxygénera et toi tu dois attendre le coup de fil de Jean... » En effet, celui-ci, qui était toujours sur le continent m'appelait tous les soirs au téléphone aux alentours de minuit. Je bougonnai que Jean pouvait attendre. Marie me faisait les grands bras « Je suis une grande fille mon amour, les loups garous ne vont pas me manger en chemin. Tu sais bien que si tu n'es pas au bout du fil quand il appellera, grand zig va paniquer... » De mauvaise grâce je cédai. Avant qu'elle n'enfourche le mini-solex je la serrai fort. La nuit était claire. Le lit grand et froid. Comme ce cher maître refusait d'installer le téléphone dans la villa, je ne pouvais même pas appeler Marie. Le sommeil me précipitait dans une nuit agitée. On tambourinait à la porte d'entrée. J'étais en nage. Dans l'encadrement, sous la lumière jaune du lumignon, le capitaine de gendarmerie Thouzeau, en se tordant les mains me disait d'une voix enrouée «  Il vaut mieux que je vous le dise tout de suite monsieur, elle est morte. C'est encore un de ces fichus poivrots... »

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17 mai 2021 1 17 /05 /mai /2021 08:00

Monbazillac 1940 - Au droit de bouchon

Le « Tu peux monter vos affaires dans ta chambre... » fut le sésame de maman. Après le dîner nous prîmes le frais dans le jardin. Comme je l'avais prévu, mon mendésiste de père, prenait un malin plaisir à mettre Marie sur le grill en la prenant à témoin de la légèreté et de l'inconsistance du mouvement de mai. Pratiquant à merveille le billard à bandes c'est moi qu'il visait. Pour lui, avec ce qu'il me reconnaissait de talent, j'avais joué au révolutionnaire, par pur plaisir esthétique et romantique. Moi et mes petits camarades gauchistes, avec le soutien objectif des communistes, en nous contentant de psalmodier notre vulgate révolutionnaire, nous venions de priver la gauche réformiste, celle de PMF, la seule capable de tenir ferme le gouvernail et de moderniser la France, d'une éclatante victoire dans les urnes. En ressoudant aux gaullistes, la droite rentière des Indépendants, et celle encore bien planquée, sans leader, mais toujours chevillée à une part de la France xénophobe, nous avions fait le lit de Mitterrand. L'ambiguë de Jarnac saurait lui, le Florentin, s'asseoir sur le PCF pour mieux l'étouffer. Marie bichait. Elle virevoltait pour le plus grand plaisir de mon séducteur de père.

 

Avoir Marie à mes côtés dans mon lit d'enfant ravivait les souvenirs de mes soirées passées, sous la tente de mon drap, à ériger mes cathédrales, à imaginer tout ce qu'allait m'apporter mon bel avenir. Dans l'obscurité, Marie, me chuchotait « Je suis bien mon amour. Ici je me sens toi. Toute à toi. Je t'aime... » Comme nous ne galvaudions pas les je t'aime, ceux de ce soir-là, mêlés à nos caresses, à notre osmose, nous haussaient en des espaces qui donnaient à l'amour un goût d'éternité. Amour sensuel, accord parfait, nous ne nous sommes même pas aperçu que, ce n'est qu'aux premières lueurs de l'aurore, que nous nous sommes endormis. La maisonnée s'était donné le mot pour que notre grasse matinée ne soit pas troublée par la préparation du déjeuner. À notre éveil, vers dix heures, ils étaient tous partis à la grand-messe. Dans la cuisine, où notre petit déjeuner nous attendait, la logistique du repas de midi impressionnait Marie. Tout était en place, le clan des femmes, mobilisé et efficace, avait donné le meilleur de lui-même. La brioche de Jean-François était mousseuse à souhait. Maman nous avait préparé un cacao ; plus exactement le cacao qu'elle préparait chaque matin pour son écolier de fils.

 

Le service était assuré par la femme du cousin Neau lui-même préposé aux vins. Alida, la laveuse de linge, assurait la plonge. Maman, qui avait fait la cuisine, orchestrait l'ensemble avec autorité et doigté. A l'apéritif, Banyuls pour tout le monde, on disait vin cuit en cette Vendée ignare. Le menu : vol au vent financier, colin au beurre blanc, salade, de la chicorée – mon père avait droit à une préparation personnelle avec croutons aïllés – fromages : du Brie de Meaux et du Gruyère, et en dessert : un savarin crème Chantilly, évitait à mon cordon bleu de mère de passer trop de temps devant ses fourneaux. Le seul moment grave, bien sûr, avait consisté à monter le beurre blanc. En l'absence de maman, son époux facétieux informa Marie que sa Madeleine de femme avait des doigts de fée. Du côté des vins, du Muscadet sur lie, un Gevrey-Chambertin et du Monbazillac. Je haïssais le Monbazillac qui m'empâtait la langue. Tout atteignait l'excellence, même le café que maman passait dans une cafetière à boule de verre qu'elle ne sortait que pour les grandes occasions. Papa nous empesta avec ses affreux petits cigares de la Régie. Les yeux de Marie brillaient. Nous étions heureux.

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16 mai 2021 7 16 /05 /mai /2021 08:00

 

Au cours de la traversée nous découvrîmes, blotti dans un rond de cordages, notre Achille un peu penaud. Comment s'était-il faufilé sur le bateau sans éveiller l'attention de l'équipage, lui seul le savait ? Très, le chien d'Alexandre le Bienheureux, il nous la jouait regard implorant et queue qui frétille. Marie ne cédait pas au chantage de notre astucieux bâtard, à l'arrivée elle le confiait à Antoine Turbé, le charcutier de Port-Joinville, qui rapatriait ses carcasses de cochons dans sa fourgonnette frigorifique. À Fromentine, Lucien Buton, le menuisier qui rafistolait nos meubles, nous attendait. C'est lui qui, à la demande expresse de Jean, faisait office de chauffeur. J'avais eu beau protester, Jean n'avait rien voulu savoir. Je compris pourquoi lorsque ce tordu, alors que je m'apprêtais à grimper sur le bateau, m'avait marmonné pipe éteinte au bec « Tu me diras au retour ce que tu penses de Buton. Ce n’est pas une lumière mais il est sérieux. Tu comprends, ça me ferait un bon associé ». J'avais balancé de lui répondre « Vieux salaud de gauchiste, quand tu veux, tu sais où sont tes intérêts... » mais je m'étais contenté d'un « Tu peux compter sur moi » très professionnel.

 

En traversant le bourg de St Julien-des-Landes un détail d'intendance s'installait dans ma petite tête : maman allait-elle nous proposer de faire chambre à part ? Au lieu de m'inquiéter, cette question, qui peut vous paraître saugrenue aujourd'hui, mais qui en août 1968, aux confins du bocage vendéen, sentait le péché, déclenchait chez moi un irrépressible fou rire. Entre deux hoquets, afin de ne pas vexer le brave Lucien Buton qui s'échinait à entretenir la conversation avec Marie sur des sujets aussi importants que le nombre de voitures d'estivants qui passaient devant chez lui depuis que son voisin avait ouvert un camping dans son pré ou le prix de l'essence qui avait augmenté à cause des événements, je dis à Marie « Je repense à l'histoire que tu m'as racontée hier au soir... » Et, c'était la plus belle expression de notre complicité, même si elle n'y comprenait goutte, à son tour elle partait dans son grand rire clair. Buton, bon prince, sans poser de questions, affichait le contentement du type qui a la chance de côtoyer des gens qui ne sont pas de son monde.

 

La maisonnée nous attendait en faisant comme si de rien n'était. Maman cousait. La mémé Marie égrenait son rosaire pendant que la tante Valentine lisait Le Pèlerin, sans lunettes. Papa, avec le cousin Neau et mon frère, s'affairaient autour de la moissonneuse-batteuse. Ma sœur n'était pas là, bien sûr, puisqu'elle s'était mariée en 65. Entre la voiture de Buton et la maison j'avais affranchi Marie de la raison de mon fou-rire. Très pince sans rire elle me répondait du tac au tac « Tu sais je n'avais pas l'intention de partager ton lit cette nuit. Je ne suis pas une Marie couches-toi là mon petit Louis en sucre… » Mon soupir et mon haussement d'épaules la faisaient s'accrocher à mon bras « Ne t'inquiètes pas nous ferons comme ta maman voudra... » Au premier coup d'oeil sur maman je sus que la partie était gagnée. Marie était digne de son fils chéri. Papa, l’œil coquin, fut le premier à l'embrasser. Dans son coin, la mémé Marie, devait en direct adresser, à la Vierge du même nom, un Je vous Salue Marie de satisfaction. Même la tante Valentine, d'ordinaire avare de compliments, dodelinait de la tête pour marquer son assentiment. 

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