Avec juillet va débuter la grande migration des gens du nord, rosbifs compris, vers le sud, le soleil et la mer, sexe and sun quoi. Même que, dans notre vieux pays qui aime tant marcher de place en place ou autour du bassin de l’Arsenal, les manifestants vont ranger leurs banderoles et troquer leurs bourgerons et leurs grosses groles pour un bermuda à fleurs et des tongs.
En attendant la fameuse rentrée de septembre, souvent qualifiée de chaude, votre serviteur, graphomane invétéré, se dit qu’il va lui falloir, lui aussi, lever le pied, façon de parler.
Pour alléger mon labeur, sans pour autant vous proposer du « light » j’ai décidé de piocher dans les écrits divers qui ont émaillés mes longues années de chroniqueur.
Ce sera donc le pot-pourri de l’été.
La création de l’ENA par Michel Debré, allait amplifier la mainmise de la haute-fonction publique qui est difficilement achetable mais qui a l’échine souple…
En juillet 2009 j’écrivais dans mon petit roman :
La IVe, avec ses gouvernements éphémères, souvent nés d’improbables combinaisons parlementaires, laissait, car le temps était à la reconstruction, les mains libres aux hauts fonctionnaires des grands corps d’Ingénieurs de l’Etat, ces grands planificateurs détenaient, bien plus que les industriels du CNPF, les manettes du pouvoir économique.
L’avènement du gaullisme, avec ses désirs de grandeur, d’indépendance nationale allait, avec la création de l’ENA par Michel Debré, amplifier cette mainmise et surtout ouvrir grandes les portes du politique à des palanquées de hauts fonctionnaires issus des cabinets ministériels. L’accélération des carrières, le pantouflage dans les entreprises nationales, les parachutages dans de bonnes circonscriptions parlementaires, conférait à l’école de la rue des Saints Pères une aura sans précédent.
L’énarque généraliste, s’attribuant le droit de tout faire tout en ne sachant rien faire de très précis, allait s’engouffrer dans tous les plis du pays, tout contrôler, tenir l’Etat avec une froide détermination et un esprit de corps indéfectible. Aux réseaux de l’après-guerre, nés de la Résistance, des conflits coloniaux, où se mêlaient baroudeurs, condottieres, têtes brulées, fils de famille en rupture de ban, aventuriers de haut vol ou de petit calibre se substituaient ceux de nos grandes écoles méritocrates, monstres froids, calculateurs, sans expérience de la vraie vie, qui allaient mailler le monde des affaires et de la politique et le verrouiller.
Dans un Ministère comme celui de l’Equipement et du Logement où seule une petite poignée de hauts-fonctionnaires détiennent les codes permettant de pénétrer dans l’imposant arsenal juridique des ZAC, des COS, des DUP et autres machines infernales, la proximité politique avec le Ministre et son entourage ne suffit pas pour décrocher la manne des grands travaux et des grands chantiers, des HLM, il est nécessaire d’entrer dans une forme de connivence avec eux.
Officiellement, pour garantir l’égalité des entreprises face aux appels d’offre, le code des marchés publics déploie des digues, présumées solides et sans la moindre fissure. Les fissures se sont les hommes. La haute-fonction publique française est difficilement achetable mais elle a l’échine souple et un sens aigu de ses intérêts collectifs, alors tout doit être mis en œuvre pour la contourner, pour qu’elle ferme les yeux en se pinçant les narines.
Le Ministre et ses conseillers influents jouent donc un rôle déterminant dans la sape des dispositifs jugés sans faille. Comme ce sont des politiques, émanations d’une majorité parlementaire qui, par la grâce du scrutin d’arrondissement, se transforme facilement en porte-paroles de ses électeurs, surtout ceux dont le portefeuille peut être sollicité pour financer les campagnes électorales, la proximité est naturelle. Les pompes à finances, les bureaux d’études liés aux partis politiques, les enveloppes ou valises de billets, émanant de marchés publics et, quelques années plus tard, des autorisations d’implantation de grandes surfaces par les commissions d’urbanisme commercial nées de la loi Royer, vont alimenter les grosses machines électorales des petits comme des grands politiques.
Les Français de toutes conditions, même s’ils s’en défendent, restent toujours fascinés par la « pompe » du pouvoir. Être reçu par le Ministre en personne constitue une faveur suprême dont les récipiendaires font état dans les salons ou les dîners en ville avec des trémolos dans la voix. Ça en impose aux pékins, aux concurrents, aux relations, et surtout ça met le Préfet et ses services dans une position inconfortable lorsqu’il s’agit pour eux d’appliquer la loi.
Tout ce petit monde se tient par la barbichette avec plus ou moins de force. Du côté des hauts-fonctionnaires le maître mot est avancement, plus précisément le tableau d’avancement. La confection de celui-ci est entre les mains du Chef du Corps, mais la décision finale revient au ministre, c’est-à-dire dans la majorité des cas à son directeur de cabinet. Celui-ci étant la plupart du temps lui-même issu du sérail des Grands Corps de l’État nos têtes d’œufs sauront être attentives à ses humeurs et à sa volonté d’arranger des affaires réservées concernant ses amis politiques.
L’esprit de sérieux prévaut, ces gens sont d’un triste et d’un convenu fascinant. Leur capacité à avaler des couleuvres est proportionnelle à leur désir de marier compréhension et efficacité sur les dossiers épineux qui sont les plus sûrs gages d’une future nomination en Conseil des Ministres. Les Ministres savent reconnaître les bons domestiques. Ils adorent leur accrocher aux revers de leurs costumes trois pièces des médailles avec de beaux rubans.
Le général de Gaulle et la création de l'ENA ICI