« J´ai sauté la barrière, Hop! Là » chantait Johnny Hess en 1938 alors, lorsqu’Emmanuel Giraud me convoqua du côté de l’Eglise de Pantin dans le neuf3, moi qui ne saute guère le périphérique, qui enserre Paris sur l’ancien tracé des fortifications, je me suis dit toi mon coco tu vas t’y rendre en métro. Ce que je fis.
Emmanuel adore les lisières, les lieux improbables, là, dans une salle blanche du restaurant Le Relais, au 61 rue Victor Hugo, à Pantin, derrière une table, elle aussi juponnée de blanc, Ingrid Astier & Jacques Genin allaient, nous avait-il déclaré pour nous appâter, nous interpréter : « Noir c'est noir... », une drôle d’histoire, sans « angle mort », entre une conteuse d’histoires et un fondeur de chocolat. Moi, comme le disait ironiquement Chaissac à propos de Dubuffet lorsqu’il parla d’art brut, captant l’œuvre de l’Hippobosque du bocage » je n’avais pas envie de rester chocolat en plein neuf3.
Ben oui, je n’en menais pas large, car, dans son superbe ouvrage « cuisine inspirée » publié en 2007, Ingrid Astier avait portraituré Henri-Gagey et j’en avais outrageusement profité tel Dubuffet. Voir ICI link et ICI link. Faut me comprendre car notre passionnée de mets et de mots ces derniers temps fait dans le polar en 2009 elle a publié « Quai des enfers » dans la prestigieuse collection Série Noire : une révélation qui a obtenu de nombreux prix. Son dernier roman, « Angle Mort », vient de paraître aux éditions Gallimard
Restait pour me sauver d’une mise en examen que Jacques Genin le fondeur en chocolat. « Chocolatier, pâtissier, caramélier, confiseur : à travers ses créations, il se montre avant tout rêveur il a ouvert en 2008 une chocolaterie 133 rue de Turenne, à Paris www.jacquesgenin.fr « où l’on se bouscule pour les guimauves tendres comme des nuages, les caramels aux reflets d’ambre, le vitrail des pâtes de fruits et le défilé des chocolats » nous dit Emmanuel.
J’ai donc été sage comme une image, bu les paroles et le chocolat chaud de Jacques Genin, mais je n’ai pas pu m’empêcher de ramener ma fraise en rappelant que pour moi le chocolat c’était celui qu’émiettait mémé Marie sur ma tartine beurrée pour mon goûter d’écolier et celui, à cuire, qui nappait le riz au lait de la tante Valentine. Bien sûr, du Menier mais Jacques Genin a pu ainsi rappeler que « Antoine Brutus Menier qui fonda en 1816, l’entreprise chocolatière qui porta son nom. À l’origine, celle-ci qui installée dans le quartier du Marais à Paris (rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie), vendait des produits pharmaceutiques, mit en vente des médicaments à base de chocolat aux vertus thérapeutiques. En 1825, la firme déménage à Noisiel, sur le site de l’ancien moulin. Puis, en 1836 est la première à créer la tablette de chocolat. »
Bref, comme j’étais pressé par le temps, votre Taulier est tellement sollicité, et que Pantin c’est le bout du monde j’ai dû m’éclipser avant la fin des festivités. Pour me faire pardonner je n’ai rien trouvé de mieux que de vous offrir des morceaux choisis du portrait de Jacques Genin un confiseur chocolatier qui ne laisse pas de marbre d’Ingrid Astier dans « cuisine inspirée »
« L’évidence fausse parfois la perception : Jacques ne fut pas toujours chocolatier (on l’aurait pourtant volontiers vu naître dans un cacaoyer comme d’autres élisent les roses. Chef affairé autour de dressages salés et sucrés, il commence par ravir les palais ; et abandonna au seuil de la première étoile, fier d’une certitude : le chocolat méritait l’exercice de toute une vie. Maurice Bernachon lui insuffla l’envie de travailler le chocolat, Michel Chaudin lui montra l’exemple. »
« Travailler le chocolat » c’est pour lui « travailler l’élément féminin » Sentimentalité, douceur, sensualité, doivent accompagner chaque geste : « le chocolat ne fait que renvoyer ce que tu lui donnes, si tu bâcles ton travail, c’est toi-même que tu agresses » Respecter, toucher, caresser : « sentir le produit, lui donner ton âme au moment où tu travailles, lui infuser des sentiments et de la confiance », sont pour Jacques la clé de voûte du chocolatier. »
« Les couvertures de Jacques sont au contraire uniformes, brillantes, coruscantes. On dirait de sombres galets vernis par une bruine. »
« Je veux restituer les goûts de ceux qui fabriquent mes couvertures, être fidèle à l’esprit de perfection : on ne doit pas abîmer les produits par de la nonchalance. »
Mais pouvais-je en rester à la simple aventure des mots sans mettre sous leurs couvertures – j’aime ce nom – la douceur, la sensualité du chocolat en situation ? J’en rêvais, je l’ai fait. Enfourchant ma flèche d’argent je me suis porté tout au haut de la rue de Turenne pour entrer dans l’antre du fondeur de chocolat qui s’élance vers le ciel telle une proue de navire. Calme et sérénité, beauté et pureté des matières brutes, tout porte au recueillement gourmand. Je m’assois, seul gaulois dans ce temple du chocolat. Mon choix est fait ce sera un Mille-Feuilles au chocolat, double péché assumé, revendiqué, sans besoin de contrition, pire en me tapissant la bouche de l’onction tendre du chocolat je m’imagine, une fois atteint les lisières de la petite mort gustative, basculant dans une douce ivresse impulsée par la vivacité pure du brut nature de Georges Laval www.georgeslaval.com. Amen ! Jacques Genin, fondeur tentateur n’est pas de ceux qui permettront au péché de gourmandise d’être rayé de sitôt de la liste des 7 péchés capitaux car avec lui on frôle la luxure, qu’il en soit remercié.
« Les beaux yeux de ma voisine
Me rivaient soir et matin
Près de la haie de glycines
Tout au bout de mon jardin
Ah! Ces yeux
Ces cheveux
Ah! Ce cou
Quel bijou!...