" En juillet dernier, rue du Pas-de-la-Mule, j'ai assisté au départ de trois autobus de TCRP (Transports en Commun de la Région Parisienne) remplis de familles juives que des agents avaient tirés de leurs logements. Incroyable ! Sur le trottoir était parqué un dernier ramassage en attente d'un prochain transport. Je connaissais de vue presque tout le monde, puisque nous vivons dans le même quartier. Une femme, qui avait servi de remplaçante à la concierge pendant les vacances, me fit signe d'approcher. " Emmenez ma petite fille, madame. avec vous elle n'aura pas peur de me quitter. Je ne veux pas qu'elle connaisse ce que je pressens qui nous conduira vers la mort. " L'enfant ma prit la main et me suivit à la maison.
- Vous avez pris une grosse responsabilité, et aussi un grand risque, lui dis-je.
- Mais, répondit-elle, je ne pouvais pas faire autrement.
Mon amie, arrivée entre temps, ajouta : " Ca allait de soi."
Ceci est l'histoire de Madame Collin et de sa fille institutrice, relatée par Lucie Aubrac.
La photo ci-dessus est celle de Daniel Trocmé, le cousin du pasteur Trocmé, l'une des 19 victimes de la rafle de la maison des Roches, mort au camp de Maïdanek en avril 1944
" Ca allait de soi..." phrase d'une simplicité lumineuse, expression du courage anonyme des gens de peu. Moi, enfant de l'après-guerre, très tôt, la période grise du régime de Vichy, absente des livres d'histoire, ce temps de la collaboration, des délateurs, mais aussi de la résistance, me troublait au plus profond. Aurais-je saisi cette main ? ou comme le montrait si bien le film document d'Harris et Sédouy " Le chagrin et la pitié " me serais-je réfugié dans un attentisme frileux comme la grande majorité de nos concitoyens ?
Le courage est la vertu du commencement nous dit Jankélévitch. " Or commencer - commencer de lutter, commencer de résister - non seulement ne va pas de soi, mais peut aller aussi contre soi-même, malgré soi. Malgré la peur, malgré l'inertie, malgré ce qui nous permet et pousse aux douces lâchetés, aux serviles abandons..." écrit Michel Klein dans la préface du numéro d'Autrement Le courage février 1992. Nous les enfants de la paix, retrouvons humilité et modestie face au courage des humbles, tous ces " justes parmi les nations ", reconnus ou anonymes. Inclinons nous face au courage du pasteur Trocmé répondant au préfet qui lui annonçait un recensement des juifs sur le plateau de Chambon : " Nous ignorons ce qu'est un juif, nous ne connaissons que des hommes ". Avec lui, tout le village de Chambon-sur-Lignon et ses alentours a sauvé des milliers de juifs de la déportation et de la mort. Honneur à eux ! Je me sens tout petit.