Ce livre publié à compte d'auteur au Canada va devenir un best-seller. Publié en France en 2001 par Samuel Brussell chez Anatolia ce livre est resté dans la liste des meilleures ventes de Livres Hebdo durant 72 semaines, et a fait l'objet de plus de 41 réimpressions (700 000 livres vendus). Stephen Vizinczey est un universitaire hongrois qui a émigré en 1956, après la répression du soulèvement de Budapest, au Canada. Il vit maintenant aux USA, dans la Michigan. L'extrait que je vous propose colle parfaitement avec mes tendres années.
" Ainsi, ma résolution de devenir prêtre me posa le problème du renoncement aux femmes avant même que je ne sois en âge de les désirer. Comme j'avais honte de me poser cette question, au bout d'un certain temps, je finis par demander à mon Père confesseur, un homme d'une soixantaine d'années, innocent et gris, si lui-même avait du mal à vivre sans femme. Il me regarda sévèrement et se contenta de me répondre qu'à son avis je ne deviendrais jamais prêtre. Déconcerté par la façon dont il mésestimait ma résolution - alors que je cherchais à connaître l'ampleur du sacrifice - je craignis qu'il n'en m'en aimât moins. Mais son visage s'éclaira de nouveau et il me dit avec un sourire (il ne manquait jamais de m'encourager) qu'il y avait bien des manières de servir Dieu.
J'étais son acolyte à l'autel : il se levait tôt et disait sa messe à six heures du matin, et souvent il n'y avait personne d'autre que lui et moi dans l'immense cathédrale pour sentir la mystérieuse et souveraine présence de Dieu. Bien que je sois maintenant athée, je garde un souvenir ému de ma félicité devant les quatre cierges, dans ce silence et cette fraîcheur de marbre vibrant de mille échos. C'est là que j'acquis le goût du mystère insaisissable - penchant qui est donné aux femmes à la naissance, et auquel les hommes ont parfois la chance de pouvoir accéder.
Si je m'attarde sur ces bribes de souvenirs qui miroitent encore en moi, c'est que j'ai plaisir à y repenser, et aussi parce que je suis convaincu que beaucoup de jeunes garçons gâchent leurs meilleures années - et leur personnalité - en croyant à tort qu'il faut être un dur dans sa prime jeunesse pour devenir un homme. Ils font partie d'une équipe de football ou de hockey pour devenir adulte, alors qu'en fait une église vide ou une route de campagne déserte les aideraient davantage à appréhender le monde et leur propre personne. Les pères franciscains me pardonneraient, je l'espère, de dire que jamais je n'aurais pu si bien comprendre et tant aimer les femmes si l'Eglise ne m'avait appris à connaître la félicité et le respect du sacré.
(...) et je me dis encore parfois que la meilleure façon de vivre serait d'être moine franciscain au milieu d'un harem de femmes de quarante ans. "