Chère Tatie Danièle,
Comme tu le sais, toi qui est experte en la matière, je suis un incorrigible garnement qui n’aime rien tant que papoter sous la tonnelle avec ses copains et ses copines, en sirotant un blanc limé ou un verre d’eau fraîche coupée d’une petite rasade de rouge (Rouge de Plaisir http://www.berthomeau.com/article-21565135.html), en taillant au passage quelques costards, plus ou moins bien coupés, sur le dos de ceux qui passent leur temps à nous donner des conseils, à nous dire qui faut manger-ci avec ça et boire-ça avec ci. On s’en donne à cœur joie, des vraies langues de putes qu’on est, cancaniers et cancanières, rien que des commères, mais, comme nos bavardages restent entre nous, ça ne fait de mal à personne et surtout ça n’empêche pas nos conseilleurs ou dégusteurs point com, de déguster et de conseiller à l’envi envers et contre tout.
Ginette, tu sais celle qui n’a pas sa langue dans sa poche, oui celle qui carbure essentiellement au vin doux et au champagne et qui fait des orgies de Nutella, nous a dit tout à trac l’autre soir, comme ses voisins de palier se shootaient à la sardine grillée et ceux du dessous à la merguez carbonisée, qu’elle avait décidé de lancer un nouveau concept de naturothérapie : le fumage, avec des déclinaisons diverses, à l’ancienne arome feu de cheminée avec bûches de chêne, méditerranéenne arome merguez, vigneronne arome sarments de vigne, orientale arome bois de cèdre, alpine arome raclette, ch’timi arome Maroilles ou boulette d’Avesnes, port de pêche arome maquereaux grillés… liste non limitative bien sûr. Comme c’est une inventive la Ginette et qu’elle fréquente la fine fleur des conseillères gastronomiques, pendant ses séances de fumage elle proposera de déguster des vins de cépages en mini Tétra Pack avec une paille bien sûr. Comme tu le vois Tatie Danièle voilà qu’on se met à faire de la concurrence à nos amis de conseiller point com. C’est dire qu’on n’a vraiment pas grand-chose à faire de notre temps.
Mais y’a un sujet qui nous divise, c’est une histoire de Q. Rassure-toi il ne s’agit pas de celui de l’INAO mais de celui du BBQ : diminutif usité sur conseiller point com pour désigner les étranges machines, icones des résidences secondaires et des pavillons de banlieues, fonctionnant au charbon de bois : les barbecues. Dans cette affaire les clans sont divers et inconciliables. D’abord y’a les végétariens allergiques à la côte de bœuf genre Renaud déguisé en mineur de fond : foulard rouge et taches noires ; mais y’a pire, les végétaliens qui tournent de l’œil à la vue d’un rouget barbet grillé façon martyr chrétien ou qui sont révulsés face à la souffrance de la moule de bouchot dans la braise rougeoyante ; ceux-là y vaut mieux pas les inviter a dit finement Armando qu’est un peu pingre. Ensuite y’a ceux qu'ont peur de tout, qui disent que tout ça c’est cancérigène et que le professeur Dupont a dit que… ; Philippe qui fume comme un pompier, mais des Gitanes filtre à la place du papier maïs, a fait remarquer qu’il ne voyait pas où était le problème. Moins grave y’a les antis bi : ceux qui ne supportent pas la mixité viande-poisson ; c’est un problème culturel a péroré Laetitia la chichiteuse des garrigues qui ne sait pas que le colin est un poisson et le merlan un coiffeur. Reste, les autres, les silencieux, ceux qui souffrent en silence, ceux qui se font royalement « chier » au barbecue du voisin ou à la Garden party de leur belle-mère, ceux qui en ont marre de se consteller de taches de gras ou d’avoir les doigts qui empestent la poiscaille ; c’est pour eux que Ginette à eu ce trait de génie : on devrait lancer SOS-BBQ sur dégustons point com !
Vraiment, tels des paysans éclairés, ces vignerons qui contemplent la queue de leur jument qui tire la charrue, nous labourons vraiment profond Tatie Danièle. Avec nous l’humanité avance. Non, pas le journal des cocos Tatie, mais les larges masses à qui il faut, chaque jour que Dieu fait, montrer le chemin, cohorte d’ignares patentés qui pensent que le Sidi Brahim est une appellation d’origine contrôlée et que la Romanée-Conti une baronne italienne jouée par Sophia Loren dans un film produit par Carlo Ponti. Reste que du côté des breuvages y’a aussi du carnage. En effet, au royaume de l’apéro la bataille fait rage entre les pastisguistes et les antipastaguistes, et dans le clan des adorateurs du pastis les factions rivales : les ricardiens – pas les rocardiens Tatie, les partisans de l’anis de Paul – les pastisciens 51, les pernod 45 iens – pas le Jean-Pierre de TF1 Tatie, celui de Pontarlier – les casaniciens fidèles à la Corse annexée par la Bourgogne, les pastisciens à l’ancienne type Bardouin, et toute la cohorte des anisciens m’ddéistes. Bref, c’est la mêlée et on était à se demander si on ne devrait pas solliciter les dégustateurs point com anonymes pour nous faire une horizontale ou une verticale de vrai Pastis de Marseille. Qu’en penses-tu Tatie Danièle toi qui aime tant les cornichons ?
Je vais m’en tenir là pour aujourd’hui ma chère tante – je sais que tu détestes cette appellation ambiguë – en te demandant instamment de ne pas lire cette belle lettre à tes copines qui vont à la messe et qui disent plein de mal de leur prochain et surtout d’éviter de la publier sur ton blog www.jesuisune-langue-de-vipère.com ça m’éviterait de me faire traiter de ramenard ou de grande gueule par ceux de la corporation des conseils point com. À titre préventif, connaissant ton goût pour l’embrouille Tatie Danièle, je confesse humblement que je consulte les conseils de certains pour choisir mes restaurants, que je ne dédaigne pas de me référer aux avis de vrais dégustateurs pour choisir un millésime, mais que jamais au grand jamais je n’ai besoin qu’on me dise qu’un d’Yquem va avec ceci : genre gras sur gras, ou qu’un La Tâche va avec cela : un grand cru sur du cuit, ou que ce j’aime ne se fait pas. Enfin, chère Tatie, en ce monde qui se dit si policé, si propre sur lui, alors qu’il ne l’est guère dans la réalité, un soupçon d’insolence ne saurait nuire à la notoriété de notre cher nectar. Rien n’est pire pour un amateur de vin que l’eau tiède. Faute avouée étant à demie pardonnée je vais de ce pas relire les "Confessions d'un Anglais mangeur d'opium" de Thomas de Quincey, en 1827, même dans l’Angleterre prévictorienne, on pouvait se permettre de publier un bijou d'humour noir: "De l'assassinat considéré comme un des beaux-arts"; où des érudits devisaient d'affaires criminelles comme s'il s'agissait de chefs d'œuvres et élaboraient les critères "esthétiques" d'un "bon" assassinat.
Reçois, chère Tatie Danièle, une bordée de baisers acidulés.
Ton neveu-fougueux.com