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24 août 2008 7 24 /08 /août /2008 00:04

Comme mon éveil fut bien tardif, en dépit de la même dextérité que Chloé mettait, à piloter sa Norton 750 Commando Fastback sur les départementales menant à Elisabethville, qu’à conduire à fond la caisse la TR4 de sa mère sur les Champs, nous sommes arrivés trop tard aux abords champ de bataille. Le repli, en dépit des ordres, se faisait dans la lenteur et le désordre. Nous ne pouvions que nous en tenir à observer et surtout à éviter de nous faire coincer dans la poche formée par la Seine au nord et la nationale 13 au sud. Deux hélicos tournaient dans le ciel permettant aux phalanges policières de manœuvrer pour couper la retraite à Gamelin, blessé au bras et au visage au cours de l’échauffourée, et à ses troupes elles aussi bien cabossées. Comme j’avais eu la bonne idée de transmettre un petit mémo à ma hiérarchie avant la réunion de « Base Grand » dans lequel je prévoyais l’imminence d’une action punitive à la mémoire de Gilles Tautin, ma crédibilité s’en trouvait renforcée à la condition que je les appelle au plus vite du théâtre des opérations pour justifier que je n’avais pu les prévenir en temps réel. Chloé, pleins gaz, nous sortait de la nasse et me déposait quelques minutes plus tard devant la poste de Bouafle. Le calme du village contrastait avec le charivari que nous venions de quitter. Dans son enclos grillagé la dame des postes m’accueillait, même si je n’étais pas un chevelu, sans aucune aménité. Pour hâter une procédure qu’elle se plaisait à faire traîner en longueur je lui propulsais ma carte de police sous son long nez pointu. Le sourire mauvais qu’elle m’allongea me plut. Pour le renforcer je lui balançai un méchant « bouge ton cul vieille chouette… »

 

Au téléphone mon correspondant se contenta de me donner un numéro, une ligne directe, que je devais appeler immédiatement. Ce que je fis par l’intermédiaire de ma nouvelle collaboratrice qui exécuta la manœuvre avec une hauteur méprisante qui se transforma en étonnement lorsqu’elle obtint mon correspondant. Elle ne put réprimer un « oui monsieur le Ministre… » emprunt de déférence. En regagnant la cabine j’étais moi-même abasourdi. Marcellin soi-même, je flippais un peu. Par bonheur je pus reprendre mes esprits pendant que ce cher homme me servait les paroles qu’on adresse aux types qui en prennent plein la gueule en première ligne. Je me contentais d’onomatopées vaguement approbatrices puis, profitant d’un moment où il reprenait son souffle, je passais en revue toutes les obsessions du bonhomme. Confirmant les liens des enragés de la GP avec l’Internationale terroriste, je revêtais Chloé, sans la citer, mais je me doutais bien que cette enflure devait avoir une fiche sur le SG de l’Elysée, du lourd manteau de grande-prêtresse de la branche italienne que je dépeins sous les traits les plus noirs. Le cher homme buvait du petit lait. Le temps était venu pour moi de porter l’estocade. Sans aucune précaution je lui indiquais que ma couverture prolétarienne d’OS chez Citroën m’entravait et que je serais bien plus efficace si je retrouvais ma liberté de manœuvres. Lourdement j’ajoutais que coucher avec ma belle italienne servait plus les intérêts de la France que de me coltiner des ailes de 2CV ou de faire le con à un poste de soudure à l’étain. Plus c’est gros, plus c’est lourd, plus ça passe. Il m’approuvait et donnait les instructions en ce sens. J’empochais sans remercier en lui signifiant que je devais retourner au front. Les oreilles et la queue, il se confondait en propos élogieux à mon égard.

 

Assise à même le sol Chloé tirait sur sa petite bouiffe et ses yeux pailletés d’or me souriaient l’air de dire : toi aussi mon beau légionnaire tu bouffes à beaucoup de râteliers. Pourquoi la détromper : « la mayonnaise prend ma grande, on va se payer une tranche de bordel intense qui va plaire au père Pompe. Foutre la trouille au bon peuple c’est niquer les cocos et les socialos. Mais pour cela il faut tenir les deux bouts des cordelettes des marionnettes. Bon, on y retourne ou on rentre à Paris ?

-         On peut se mettre des brassards de la Croix Rouge pendant que tu y es mon légionnaire. Laisse-les se démerder ces cons, ils n’ont que ce qu’ils aiment : jouer aux martyrs. Franchement, envahir une usine pour hisser le drapeau rouge, barbouiller le monument de Lefaucheux d’un truc du genre : « vengeons Gilles Tautin », donner des coups de pieds dans les couilles de la maîtrise, casser des dents, manier le manche de pioche sur le dos des permanents CGT, ça ressemble à quoi ? À que dalle ! Ça les fait bander ces cons. Un petit séjour dans les geôles du pouvoir leur fera du bien et, crois-moi, beaucoup d’entre eux commencent déjà à faire sous eux. Viens on va s’offrir du bon temps…

-         T’es sûre ?

-         Ne fais pas l’enfant chœur mon salaud. T’en as rien à cirer de ces branleurs.

Collée à elle sur le biplace de la Norton je me laissais aller à être heureux en me grisant de la morsure de l’air tiède de ce 17 juin 1969
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23 août 2008 6 23 /08 /août /2008 00:09

Je pars en vacances. Je quitte la grisaille parisienne. Cette chronique s'imposait. Mais contrairement à certaines entreprises, la mienne poursuit son activité pendant les vacances. Tous les matins la petite chronique dans la boîte électronique.
Dans le très sérieux journal le Monde, Yves Eudes posait cette très grave question : «Le nu a-t-il de l'avenir en Occident ? Dans la villa Romana del Casale, en Sicile, construite au IIIe siècle, une mosaïque montre une dizaine de jeunes femmes en train de faire du sport et de s'amuser. Toutes portent un bikini, très semblable à celui des femmes occidentales contemporaines. Le grand combat du XXe siècle pour la libération de mœurs aura donc permis aux femmes... de revenir 1 700 ans en arrière. »

Avant de chroniquer sur le bikini quelques notations éparses. En ce temps de célébration du 40ième anniversaire d’un mois de mai 68 creuset de toutes dérives de notre beau pays : triomphe du relativisme, perte des repères, érosion de la valeur travail j’en passe et des meilleures, faire un retour en arrière sur l’hédonisme d’après-guerre qui accouchera des seins nus et d’une nouvelle religion celle du corps : salle de fitness, musculation, aquagym, massage… Tout serait donc parti des fameux congés payés jetant sur les plages les masses travailleuses. Le non-travail on y prend goût surtout sous la caresse des rayons du soleil et la trempette. On commence par se sécher et on finit par bronzer. Normal que petit à petit les aoûtiens et les juillettistes veuillent offrir un maximum de surface au Dieu Soleil. Pourtant, à l’origine, les chantres de « l’homme nouveau » n’y trouvait rien à redire : « Je rebronzerai une jeunesse veule et confinée, son corps et son caractère par le sport, ses risques et même ses excès. » Nos joggeurs, marathoniens de New-York, sauteurs à l’élastique, adeptes du canyonning, en sont les héritiers : faut bien qu’ils s’occupent pendant leur RTT ! Alors pourquoi diable sommes-nous devenus un « peuple d’amollis » ?

Pour les tenants de l’ordre moral, les émergés comme les planqués, la réponse est évidente : c’est la faute des femmes !

Alors que dans les années 20 le maillot de bain féminin ne découvrait que les bras celui du début des années 30 dénudait les épaules et remontait jusqu’à mi-cuisse alors qu’à la fin de celles-ci il poussait volontiers jusqu’au haut des cuisses et escamotait les bretelles. De jersey épais il évoluera vers le jersey de laine fin, puis de soie, épousant de plus en plus les formes. Moulant ! Le début de la fin. Le ver était dans le fruit : en 1932 le couturier parisien Jacques Heim présentait dans sa collection un maillot de bain deux-pièces baptisé « Atome » 

Le bikini moderne, en effet, fut officiellement inventé en 1946, modèle déposé par Louis Réard (ci-desssu) sous le nom de l’atoll où eut lieu le premier essai nucléaire américain, qui récidivera en 1964 en popularisant le  topless swimsuit : le monokini créé par le styliste allemand Rudi Gernreich. De nombreux pays, dont l'Italie, interdirent son port sur leurs plages : « les Siciliennes devront attendre une douzaine d'années avant d'avoir le droit de s'habiller comme leurs ancêtres. Dans l'euphorie de l'après-guerre, le bikini s'impose alors dans tout l'Occident, et au-delà. Arrive ensuite le monokini, sans soutien-gorge, puis le string à la brésilienne, pesant entre 5 et 9 grammes. » note Yves Eudes. Le nu intégral alors ? Non, on assiste même à un retour en arrière sous l’impact de la tyrannie des beaux seins. Alors comme le dit Valérie Delafosse, directrice artistique de la marque Eres, le bikini n’est pas mort "Trois petits triangles qui épousent parfaitement le corps de la femme, c'est souvent le plus simple qui dure le plus longtemps. En plus, le bikini est flatteur, il s'adapte à presque toutes les morphologies." L'innovation, selon elle, viendra des nouveaux tissus synthétiques : "des matières très douces, à l'élasticité ultra précise, qui vont sculpter le corps, un peu comme une gaine, mais sans comprimer ni alourdir".
















Triomphe des pères la pudeur ? J’en doute mais il me semble certain que, sous la pression du communautarisme religieux, des effets de la crise économique dans les sociétés développées, de l’irruption de 2 nouveaux grands : la Chine et l’Inde, l’on va assister à une forme de privatisation de l’exposition des corps pour mieux jeter au petit peuple « une nouvelle forme de puritanisme »…

Pour le monokini et pour de  rire - allez jusqu'au bout c'est court - une petite vidéo :


http://www.kewego.fr/video/iLyROoaftEqy.html

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22 août 2008 5 22 /08 /août /2008 00:04

Lorsque mémé Marie disait : « elle a eu des bessons ou des bessonnes » je croyais que c’était un mot de notre patois vendéen et tel ne fut pas mon étonnement de découvrir en lisant le superbe roman de Michel Tournier, le roi des Aulnes, que c’était du vieux français : « les bessons sortent l’un après l’autre, si semblables qu’on dirait que le même enfant par deux fois se courbe et saute sur le pavé ». Pour la prononciation du nom besson – dans ma Vendée natale – on dit be son alors que pour le patronyme Besson on dit bê son. Bref, ce détour par nos jumeaux et jumelles me permet de vous faire une petite chronique sur les Besson. J’en ai choisi 5, pas un compte rond, par pur esprit de contradiction : 2 paires de 2 : Éric et Luc, les Besson médiatiques ; Colette et Louis, les Besson sympathiques ; et pour faire bon poids, le dernier, Patrick, médiatique et sympathique à la fois (par pour tout le monde bien sûr).

 

Comme je suis un paresseux j’ai ce matin, pour 3 des Besson, appelé à la rescousse Bertrand de Saint Vincent qui, d’une plume acérée, vient de commettre  un revigorant « Fragments d’impertinence » : La France au crible chez Plon, très remake de La Bruyère. Il est journaliste, et même rédachef  au Figaro. J’adore les journalistes du Figaro car ils ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils écrivent ailleurs que dans leur canard. Au temps de 68 l’éditorialiste du Figaro se dénommait Louis-Gabriel Robinet et nous l’avions surnommé : Robinet d’eau tiède. Facile mais l’esprit de Beaumarchais a depuis fort longtemps déserté le Figaro.

 

Premier couple de Besson : les médiatiques par B de Saint Vincent

1)    Éric : Secrétaire national du PS, chargé de coordonner une virulente plaquette anti-Sarkozy, il fut nommé, quatre mois plus tard, secrétaire d’État par ce dernier ; c’est l’homme qui tire plus vite que son ombre. Mais sur elle.

2)   Luc : producteur réalisateur phare du cinéma français, Luc Besson compte beaucoup. Surtout les spectateurs et les millions d’euros. Pour le reste, son apport au septième art reste mince. Depuis Le Grand Bleu, sa pensée tient dans une bulle.

Pour le premier j’ajoute, sans le victimiser, qu’il est un pur dégât collatéral de Ségolène Royal ; pour le second, nous lui devons, sans doute, le non choix des membres du CIO de la candidature de Paris aux JO.

 

Second couple de Besson : les sympathiques par moi.

1)    Colette : elle avait des nœuds rouges dans ses cheveux longs et, dans la dernière ligne droite du 400 mètres olympique sur le stade Aztèque de Mexico, un soir d’octobre 1968, au nez et à la barbe – pas très galant comme expression – des favorites elle coupe le fil la première. Elle a pleuré sur la plus haute marche du podium, ça a ému le Général qui l’a reçu à l’Elysée. Celle qu’Antoine Blondin avait surnommé « la petite fiancée de la France » pour sa « dernière ligne droite triomphale, qui avait l’exubérance d’une révolution mexicaine » Une belle et grande championne, simple et sympathique qui nous a quitté en 2005, à 59 ans, mon âge lorsque j'ai écrit cette chronique.

2)   Louis : pour beaucoup c’est la loi Besson, avec des initiales SRU forts connues. C’est un savoyard, discret, dévoué, travailleur, que pas grand monde connaît. Pour moi une crème d’homme, de ceux qui donnent envie de faire de la politique. Rare donc.

 

Le dernier des Besson à nouveau par B de Saint Vincent puis moi.

1)    Patrick : polémiste, ce faux paresseux écrit tout le temps, partout sur tous les sujets : des romans, des essais, des récits, des souvenirs, des pamphlets, des portraits, des chroniques. Des dialogues de film. Des pièces pour la radio.

        Un vrai concierge de l’époque.

       Intronisé à vingt ans grand espoir de sa génération, chaque automne, depuis lors, il rate le Goncourt. C’est bon pour la rage. Ses victimes sont innombrables ; chanteurs, homonymes, écrivains, mannequins, philosophes, présentateurs de télévision, hommes politiques, il y en a pour tous les goûts. Elles le poursuivent.

       Les balles sifflent. Besson aussi. Quand ses ennemis le collent de trop près, il change d’éditeur, d’opinion, de journal, d’ami, de femme ; bref, il sacrifie l’un des siens.

        Sa cause est indéfendable, mais il la défend sacrément bien.

   2) le même par moi : adulé par les amateurs de notre nectar depuis sa chronique dans le Point : Sot d’eau à propos des écrits du repenti médiatique Hervé Chabalier.

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21 août 2008 4 21 /08 /août /2008 00:04

Alors qu’à la vieille du grand pont du 15 août je baguenaudais dans les travées de la Grande Épicerie du Bon Marché à la recherche de fraises des bois, zigzaguant entre des paquets d’américaines gloussantes et une famille de touristes français recherchant pour la petite dernière une Tour Eiffel (sic) je suis tombé en arrêt face à une belle enfilade de rosés. Croissance à deux chiffres, confirmation de la tendance vin d’initiation, de l’envie de vin facile, c’est la déferlante. Je lèche la vitrine comme un chaland lambda avant d’être accroché par une chouette petite étiquette : isa Vin de Pays des Côtes de Thongue 2007. Je la tripote. Elle me plaît, alliance intelligente d’un graphisme contemporain et d’ustensiles anciens. Je lis : Les Chemins de Bassac et je note que les raisins sont issus de l’agriculture biologique.

 

Comme vous le savez sans doute je suis un fan absolu des Côtes de Thongue alors je me tâte : achat or not achat. Je suis bien pourvu en rosé. J’hésite. Je matte le dos de la belle. Qu’y lis-je ? Que ce rosé est un assemblage de Grenache, de Syrah et de Mourvèdre. Fort bien ! Suis un texte : « La robe est d’un fuchsia très tendre et le nez fin au possible. En bouche, on a une mini explosion d’arômes de petits fruits rouges grillés et épicés. Le vin est charnu, sans excès, heureusement tapissé par un joli fond de fraîcheur, de petites notes poivrées et la fin de bouche est nette. À boire sans trop de retenue sur des salades modérément vinaigrées, des entrées légères et exotiques, des fromages de chèvre frais. »

Signé Michel Smith – Auteur et journaliste.

 

J’achète heureux d’avoir trouvé une nouvelle catégorie de vin : Vin de lecteur.

 

Celui-ci est l’œuvre d’Isabelle et Rémi Ducellier à Puimesson 34 480

 

Tiens j’ai fait court ce matin, c’est sans doute parce que je vais partir en vacances à la fin de la semaine : à marquer d’une pierre blanche cette chronique.

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20 août 2008 3 20 /08 /août /2008 00:03

En ces temps olympiques rappeler que Claude Piquemal fut médaillé de bronze olympique au relais 4 x 100 m en 1964 avec Genevay, Laidebeur et Delecour et 1968 avec Fenouil, Delecour et Bambuck en 38"4, c’est évoquer un temps où les athlètes couraient le 100 mètres au-dessus des 10’’ et ressemblaient à des gens normaux. Excellent vireur, ce merveilleux troisième relayeur, fin et élégant, portait les couleurs ciel et azur du Racing Club de France et, dans mon petit club des sportifs que j’admirais, Claude Piquemal occupait une place privilégiée car l’athlétisme en général, et le sprint en particulier, me fascinaient.

Aujourd’hui si vous tapez Piquemal sur Google la première rubrique qui s’affiche est : Domaine Piquemal et ça va me permettre de vous raconter ma petite histoire catalane du jour. Lorsque je débarquai en août 1998 à Perpignan en tant que médiateur de la crise des Vins doux naturels, la sortie de crise ne me semblait ni évidente, ni surtout rapide. Mes séances de psychothérapie collective salle Pams ajoutaient à ma perplexité. Le préfet Dartout soulagé du fardeau me choyait. Le président du CG me gonflait. L’Indépendant de Perpignan m’élevait au rang de vedette de l’été. Sur France Info Perpignan Louis Monich le rédacteur en chef – qui sera assassiné en fin septembre 2005 – suivait avec gourmandise mes pérégrinations. Guy Bringuier le DDAF se régalait. Je ressentais de plus en plus le besoin d’aller humer l’air des vignes, de prendre le pouls de vignerons que j’aurais choisi. Jacques Fite du CIVDN, un matin à l’heure du café me dit « tu devrais aller voir Pierre Piquemal, lui a tout compris… » Rendez-vous est pris. Avec ma petite auto direction Espira-de-l’Agly en fin de journée. Pierre Piquemal me reçoit avec simplicité et franchise. Le courant passe. Je l’écoute avec attention. Son histoire, à lui et à Annie son épouse, est exemplaire. Alors qu’ils auraient pu, comme tant d’autres dans ce beau département, se laisser bercer par la petite musique de la petite rente des Vins Doux, ils ont choisi une autre voie celle de devenir des vignerons à part entière. Voie difficile, la vigne, le vin, vendre le vin, autant de métiers différents et prenants. Se faire connaître, reconnaître, les salons, les concours, parcours du combattant, beaucoup de temps passé. C’est toujours avec grand plaisir que je retrouve Pierre et Annie Piquemal lors de Vinisud ou du salon des caves particulières, toujours avenant et souriant. La réussite ne leur a pas tourné la tête. Moi je leur dois un grand merci, ils m’ont beaucoup appris. Comme je le dis souvent à mon ami Eric, pour moi un vrai vigneron-indépendant c’est l’équivalent d’un boulanger-artisan qui fait du bon pain et Pierre et Annie Piquemal, et maintenant leurs enfants, en sont l’image-type.


Ce matin j’ai choisi Les Terres Grillées 2003 rouge signés des enfants : Marie-Pierre et de Franck Piquemal, c’est un Côtes du Roussillon Villages

Fiche technique :

Cépages : Assemblage de Grenache noir (35 %), de Carignan Vieilles Vignes (35 %) et de Syrah (30%)

Terroir : Sélection de schistes en coteaux.

Vinification : Traditionnelle en rouge. Vendanges éraflées. Cuvaison de trois semaines.
Macération carbonique pour le Carignan. Pigeage et délestage alternés.

Elevage : En fût de chêne pour la Syrah ; traditionnel en cuve pour le Grenache et le Carignan.

Titre alcoolmétrique : 14 % vol.


Comme vous le savez j’ai assez peu de goût pour la description des vins, avec son vocabulaire convenu, très fleurs et fruits, parfois cocasse : l’autre jour c’était goudron et colle très goûtu ces petites choses, car je m’y sens à l’étroit, bridé et surtout je trouve que les mots expriment souvent mal les sensations que procure la consommation de notre divin nectar. Je suis un amateur pas un dégustateur mais je vous dois quand même de m’expliquer sur les raisons de mon choix de ce matin. En faisant une pirouette je pourrais écrire que c’est pour la beauté du titre : de l’ocre de la cendrée au rubis des Terres Grillées mais ce serait trop facile et peu respectueux. Mon choix est esthétique. Mes amis catalans aiment à cultiver une image très proche du rugby pratiqué par l’USAP, disons rude. Terres Grillées pour moi c’est un costaud qui n’exhibe pas ses biscotos. Il ne roule pas des mécaniques. Il allie l’ampleur, la grâce et la finesse, à la manière de l’écossais Sean Connery dans les premiers James Bond : classe british avec juste ce qu’il faut de force mâle. Œil de velours et Aston-Martin, pour moi c’est un vin qui plaît aux femmes qui aiment les hommes. Propos peu orthodoxes que je complète par un commentaire trouvé sur le Net Apprécié pour « son magnifique parfum de cassis, de garrigue, de confit, de musc et de grillé. Des tanins soyeux étayent une matière ample et généreuse en bouche, laissant en finale une impression de noblesse gourmande sur des notes de cerise à l'eau de vie et cacao. »

 

 

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19 août 2008 2 19 /08 /août /2008 00:08

Quand on s’appelle Goudeau, en un temps, l’après guerre de 1870, où les clubs littéraires fleurissaient dans les villes, et que l’esprit bohème régnait dans les cabarets, créer le club des hydropathes (étymologiquement : ceux que l'eau rend malades) allait de soi. Ce cercle connaîtra un grand succès dès sa première séance en octobre 1878, soixante-quinze personnes, et au faîte de sa gloire lorsqu’il se réunira au Chat Noir de Rodolphe Salis à Montmartre il comptera jusqu’à trois cent cinquante participants. On y célébrait la littérature et tout particulièrement la poésie : les participants déclamaient leurs vers ou leur prose à haute voix devant l'assistance lors des séances du vendredi soir. Mais les membres professaient également le rejet de l'eau comme boisson au bénéfice du vin. Charles Cros écrivit :

Hydropathes, chantons en cœur

La noble chanson des liqueurs

L’intérêt de ce club, au-delà bien sûr de son « militantisme » affiché pour le vin, tenait à ce qu’il permettait, sous le couvert du bel esprit, de déraper vers des sujets plus contestataires. Nos hydropathes inaugurèrent l’esprit « fumiste » et leur club, même s’il disparut en 1880, au travers de la Revue Les Hydropathes – qui compta trente deux numéros entre 1879 et mai 1880 – permirent de mettre au jour à chacun de ses numéros, des talents non-conformistes : une personnalité proche du groupe d’André Gill à Sarah Bernhardt et de Charles Cros à Alphonse Allais. De nombreux jeunes artistes : Léon Bloy cousin d’Emile Goudeau, Paul Bourget, François Coppée, Guy de Maupassant, furent membres du club.

Autre temps autres mœurs mais, sans vanter les délices de l’ivresse ou le border line de ceux qui goûtaient sans modération aux fruits défendus – position politiquement incorrecte dans nos sociétés propre sur elles et cultivant le culte de l’immortalité et du risque zéro – ce qui me frappe dans ce joyeux cocktail liberto-littéraire c’est que le vin était de plain pied dans son époque. Certes, il y était avec les débordements du fléau de l’alcoolisme liés aux conditions économiques et sociales de l’époque (voir le rapport Villermé Tableau de l'état physique et moral des ouvriers dans les fabriques de coton, de laine, et de soie, (1840) mais l’hypocrisie n’était pas de mise : si les ouvriers, les classes dangereuses, claquaient dans les bistros le peu d’argent du ménage c’était pour supporter une condition inhumaine. L’ivrognerie d’ailleurs régnait aussi dans les campagnes où la condition des journaliers n’avait rien à envier à celle des ouvriers urbains.

Pour être encore plus précis, alors que le vin, boisson alimentaire, est un produit en voie de disparition, qui laisse la place à un produit festif, statutaire et ludique, les tenants de l’hygiénisme, nos penseurs de la santé publique, devraient réviser leurs fondamentaux, appliquer à notre époque une nouvelle stratégie. La pure stigmatisation, l’interdit pur et simple dans une société où tout ou presque est a portée de mains, relève d’une méconnaissance grave des ressorts de ceux qui se ruent vers les boissons alcoolisées, dans lesquelles d’ailleurs le vin ne tient plus une place prédominante. C’est d’un labour profond dont nous avons besoin non d’une cosmétique fondée sur des campagnes de communication.

Enfin, je voudrais m’adresser aux gens du vin en France pour leur dire qu’ils ont aussi, d’une certaine manière, participé au mouvement de mise hors la vie du vin en le cantonnant dans le Saint des saints des amateurs, produit d’élite pour les élites, tout en continuant de vivre dans un vignoble de masse produisant des nectars bien moins prestigieux. La distorsion entre l’élitisme et la production de masse est évidente mais jamais reconnue alors que nos voisins dits du Nouveau Monde, eux, ne s’embarrassent pas de nos scories historiques. Face à la mondialisation de la consommation ils sont en train d’imposer leur modèle dans les pays nouveaux consommateurs. En être est-il péché mortel ? Est-ce participer à la « corruption » du monde que de proposer nos petits vins ? La réponse est non. La stratégie de ligne Maginot, comme celle adoptée vis-à-vis de l’Internet, relève de la bêtise la plus noire. Comme si nous claquemurer dans notre hexagone allait faire stopper à des frontières, qui n’existent plus physiquement, le flux des informations de la Toile en provenance du Monde.

Alors que notre grand ami, le médiatique Hervé Chabalier, va voir son best-seller : «  Le Dernier pour la route » être le sujet d’un film produit par Philippe Godeau, je ne peux m’empêcher d’écrire que ce sont toujours ceux qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, dérapent qui viennent faire la morale à ceux qui « tiennent la route ». Nous avons une culture des repentis et des « ce n’est pas de ma faute » ça émeut les chaumières, ça fait pleurer Margot. Les « Sots d’eau » (1) ne me tirent aucune larme...   


(1) Sot d'eau
"Tout le monde critique Hervé Chabalier. Mais moi je le comprends. ...
L'une des meilleures choses sur terre est le vin et Hervé n'a plus le droit d'en boire.
Ce serait supportable pour lui si personne n'en buvait."...
"Pour Hervé, tout verre de vin est mauvais car il le mènerait à la bouteille, puis à la caisse, puis à la cave, puis au cercueil.
Il ne lui viendrait pas à l'esprit que nous n'avons pas ce problème-là avec l'alcool. Que lorsque nous buvons une slivovica le matin, nous sommes au thé le soir.
Que le vin arrose nos meilleurs déjeuners de copains mais que l'eau ruisselle sur nos adorables dîners familiaux. ...
"S'il a eu la faiblesse de se laisser ligoter par l'alcool au point d'être aujourd'hui condamné à la sobriété pour le restant de ses jours, il n'y a aucune raison pour que nous, qui avons su conserver notre liberté face à la boisson, nous devions matin, midi et soir baigner notre bouche heureuse, notre langue délicate et notre palais sensible dans l'eau et uniquement dans l'eau."...
"Les gens qui boivent de l'eau vivent plus vieux que les gens qui boivent du vin, mais moi je ne veux pas vivre vieux dans un pays où les anciens alcooliques exigent que tout le monde boive de l'eau.
Il y a un génie dans le vin et il est mauvais, comme tous les génies. Dans l'eau, il n'y a rien de mauvais, car il n'y a rien." (...)

Patrick Besson

 

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18 août 2008 1 18 /08 /août /2008 00:00

L’anecdote est tirée du manga du vin vu par les japonais, best-seller absolu Les Gouttes de Dieu tome 1. Elle est très caractéristique de l’extrême érudition des auteurs, une érudition pointilleuse, très attachée à une forme de lecture du vin à la fois descriptive et lyrique, très pédagogique aussi. Les protagonistes sont pour la plupart des œnologues et non des œnophiles marquant ainsi la primauté d’une approche très technique sans pour autant brider l’inventivité des commentaires et les références les plus inattendues : l’Angélus de Millet pour un château Mouton-Rothschild 1982 je cite : « C’est là que se révèle la légère muscade et la figue mûre… Le grain de poivre et autres arômes matures… » « C’est là que la terre ouvre les yeux après un long sommeil… «  « Ce vin est un tableau. Avec des traits de pinceaux qui rappellent la terre labourée, pinceau qu’il a fait repasser sur la toile en plusieurs couches telle la charrue dans le sillon… » « C’est la tableau le plus connu de Jean-François Millet… » « L’ANGÉLUS ! » Ça peut prêter à sourire mais ça fonctionne auprès des lecteurs c’est donc que ça leur parle. C’est l’essentiel. Une telle adéquation devrait nous amener à réfléchir sur la façon dont nous transmettons auprès des jeunes générations la culture du vin. Conjuguer la tradition avec les codes des jeunes, leur raconter des histoires sur leurs supports favoris, les intéresser, les captiver, n’est pas chose facile mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faille s’y atteler. Sur mon petit blog je m’y essaie en élargissant le cadre, en sortant de la vision du seul dégustateur, en tentant à ma manière de conter des histoires et de toucher un éventail le plus large possible de lecteurs.

 

Le héros de l’histoire Shizuku Kansaki fils d’un célèbre œnologue qui vient de décéder, dégoûté par lui du vin par une éducation entièrement tournée vers la connaissance de la dégustation est confronté aux dernières volontés de son père et il engage un parcours difficile. L’épisode qui suit est très caractéristique de ce manga. Pour obtenir l’aide d’un étrange clochard Monsieur Robert connaisseur de vin Shizuku accompagné d’une apprentie sommelière Miyabi doit élucider une énigme. Je vous livre le script :

Monsieur Robert : « jeune demoiselle connais-tu ces deux vins ?

Miyabi : « Oui, ils sont issus de l’un des plus célèbres domaines de Bourgogne, celui de Jean Gros. Le domaine Gros frère et sœur.

« Vosne-Romanée Village » 2001 et…

L’un des meilleurs Grands Crus  « Échezeaux » 2002.

Monsieur Robert : « Bah, un imbécile le saurait, il suffit de lire l’étiquette. Cependant…après avoir bus, en saurez-vous autant ? C’est un tout autre problème.

N’est-ce pas très chers ?

Monsieur Robert : « Essayez de savoir en les dégustant… pourquoi j’ai choisi ces deux Vins. »

Shizuku : « C’et équitable. Le temps presse alors… allons-y !

Celui-ci c’est l’Échezeaux. Commençons par le Grand Cru.
Ooh…Bien sûr délicieux. Bon au suivant »

Miyabi intriguée pense « Pourquoi a-t-il parlé d’énigme ? Un « Village » et un Grand Cru sont censés être aussi différents que le jour et la nuit en matière de goût et de bouquet…

Qu’est-ce qu’il pourrait y avoir de plus ? »

Shizuku goûtant le « Village » intrigué « Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Celui-ci est…

Miyabi parmi les Bourgogne, un Village et un Grand Cru sont censés être totalement différents, n’est-ce pas ? »

Miyabi « Hein ? Oui en effet, si je me souviens bien… un Village de Gros frère et sœur coûte dans les 3000 yens*… et le très en vogue Grand Cru « Échezeaux » par contre… coûte plus du double au moins. » * 19 euros

Shizuku « Je me fiche du prix. Explique-moi avec des mots pas des chiffres.

Miyabi « O… OK !

Ce qui fait un Grand Cru, c’est que tout l’environnement du vignoble… la qualité de la terre, l’ensoleillement, le drainage sont reconnus comme de qualité supérieure… Le vin produit à partir du raisin qui y est récolté exprime cette qualité dans son goût et son arôme… On appelle tout ceci, autrement dit la qualité de la terre et de l’environnement de la vigne : LE TERROIR.

Par contre pour les Village soit on mélange des raisins récoltés en différents endroits de la commune… soit on emploie des raisins de moins bonne qualité et les caractéristiques du terroir ne se ressentent en fin de compte pas bien dans le vin.

Shizuku « Je vois…

J’ai l’impression que la robe de l’Échezeaux est légèrement plus épaisse… C’est peut-être dû à la différence de millésime… La récolte de raisin de 2002 a été bonne en Bourgogne, ce qui en fait une « grande année » et les vins riches y sont nombreux… 2001 n’était pas aussi bonne…

Shizuku se concentre, se parle intérieurement «  Ne pas avoir d’à priori sinon je ne résoudrai jamais l’énigme qu’ils posent…

Un verger entouré de fleurs rouges… sous mes pieds de la menthe et de la cannelle… et bien d’autres herbes déploient leurs feuilles.

Entre mes mains je tiens des cerises noires, des prunes, des fraises mûres… et je sens la fragrance très légère d’une sorte d’orange… dans ma main droite comme dans la gauche, je sens exactement les mêmes poids en arômes et goûts de fruits… Je ne vois aucune différence… Je m’en doutais… ces deux vins sont…

Monsieur Robert  « Tu as fini ? »

Shizuku « Oui… »

Monsieur Robert  « Alors je te repose la question… Quelle est l’énigme de ces deux vins ? »

Shizuku « Dans les deux bouteilles… il y a le même vin. »

Miyabi« Mais… Qu’est-ce que tu racontes Shizuku ! C’est impossible ! Regarde les étiquettes ! Là, un Village ! et là un Grand Cru Échezeaux ! Deux rangs de différence ! Le producteur a beau être le même, ce ne peut être le même vin ! »

Shizuku « Je ne me trompe pas. Ils viennent du même vignoble. Ils sont sublimes tous les deux… Mais en les buvant maintenant je trouve le 2001 meilleur, le goût fruité ne l’alourdit pas… il est mature et juste à point pour être bu. Par contre, comme tu l’as dit, le Grand Cru de 2002 a été une bonne récolte mais… c’est pour ça que j’y sens davantage de lourdeur. »

Miyabi «  Oh ! »

Shizuku «  Je persiste et je signe. Ces deux vins viennent du même vignoble. Ce sont des frères d’âge différents. »

Monsieur Robert  « Ha, ha, ha, ha! Tu es drôle toi ¡ Vraiment très drôle ! Alors que tu n’as aucun savoir théorique sur le vin… en matière de nez et de goût, tu es aussi doué qu’un vétéran avec 20 ans d’expérience ! »

Miyabi «  Hein ! Mais alors il aurait… »

Monsieur Robert  « Oui ces deux vins ont été faits à partir de raisins venant de la même vigne, celle d’Échezeaux. Bien que la différence de prix entre les deux soit de plus du double… ce sont bien des « frères ».

Miyabi « Comment cela est-il possible monsieur Robert ? »

Monsieur Robert  « À cause des principes du producteur Bernard Gros. Il était d’une famille de fameux viticulteurs… Le fils cade de Jean Gros. Le vignoble où l’on récolte le raisin pour le Village faisait au départ partie de la parcelle du Grand Cru Échezeaux. Parce qu’il trouvait que trop peu de temps s’était écoulé depuis le replantage des ceps. Il a décidé de se contenter de l’appellation Village jusqu’en 2001. »

Miyabi « Ça alors…C’est si radical… »

Monsieur Robert  « Les vrais vignerons se soucient peu de leur bénéfice… Tout ce qu’ils veulent, c’est pouvoir proposer de bons vins dont ils sont fiers. »

Shizuku « Mais pourquoi une vigne jeune est-elle dédaignée ? »

Monsieur Robert  « Pff… Il y a plusieurs raisons… La première c’est que les racines d’un jeune cep ne plongent pas assez profondément… pour  pouvoir aller puiser la force qui dort au cœur de la terre… et n’ont donc pas assez de minéraux et d’aliments pour se nourrir au mieux. »

Shizuku «  Je vois… »

Miyabi « C’est pour cela que tu as senti la différence de millésime. Lae Village te semblait plus léger. »

Monsieur Robert « Shizuku…

Shizuku « Ou… Oui ?

Monsieur Robert  « Rappelle-toi toujours…ce que tu viens de ressentir… C’EST LE TERROIR ! »

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17 août 2008 7 17 /08 /août /2008 00:07

Je dois dégager un magnétisme particulier qui pousse les filles aux confidences car nous nous assîmes, côte à côte, en tailleur, face à la flamme du Soldat Inconnu et Chloé, après avoir posé sa tête sur mon épaule, entamait un long monologue. « Moi ce type, qui repose-là, broyé par les shrapnells allemands au fond de sa tranchée pourrie, bouffé par la vermine, shooté à la gnole, et qui voit maintenant défiler autour de sa tombe les culottes de peau qui l’ont envoyé à l’abattoir, comme de la chair à canon, anonyme, reproductible, simple paysan ou ouvrier, brave mec, plus con que la moyenne, il s’est sacrifié pour que moi fille de putain de luxe je vive le cul dans la soie. Ça me donne envie de gerber mon beau légionnaire. Toi, j’en suis sûr, t’es pur comme de l’eau de roche alors que moi je suis de l’eau vaisselle maquillée en n°5 de Chanel. Madame ma mère, intrigante de haut vol, après s’être vautrée dans le pieu des dignitaires du Grand Conseil fasciste de Benito s’est recyclée avec aisance et sang froid dans celui d’un général américain de l’état-major allié. Je suis le fruit de cette copulation rédemptrice entre une grande brute blonde du Middle-West et d’une catin pur sang bleu de l’aristocratie florentine. Comme ça tu comprendras mieux, mon beau légionnaire, que j’ai une envie folle que toute cette pourriture, maquillée sous le vernis aristocratique, leur pète à la gueule… »

 

Chloé, pour reprendre son souffle, se roulait une minuscule cigarette. La flamme de so briquet vacillait sous le souffle léger d’une brise tiède. Moi, la bière ça me coupe les pattes et ça me donne envie de dormir. Je luttais pour ne pas me laisser choir sur le flanc et me recroqueviller dans ma position fœtale favorite. La bouiffe de Chloé exhalait une douceur odeur d’herbe qui me poussait plus encore à m’abandonner au sommeil. Je me sentais, comme lorsque j’étais enfant, étendu sous la peau de la mer, les yeux encore plein des pépites du soleil éteint, prêt à me laisser engloutir dans les abysses. Chloé me tendait son mini pétard. J’en tirais quelques bouffées qui me réanimaient. La voix rauque de Chloé, en contrepoint, me maintenait dans une conscience molle. « En Italie, tout naturellement je me suis retrouvée à la Sinistra Proletaria qui n’a rien à voir avec les enculeurs de mouches d’ici. Là-bas ce sont de vrais durs. Des brutes. Je suis sûre qu’ils iront au bout de leurs idées. Moi je suis une pétocharde, une goutte de sang et je m’évanouis, alors les amours de ma traînée de mère m’ont bien servi : Paris a des douceurs inestimables. Jamais à Milan je n’aurais trouvé un aussi beau légionnaire. Je veux dire jamais je n’en aurais trouvé un qui n’a pas envie de se foutre du sang sur les mains. Toi, je le sens, tu es là par je ne sais quel hasard, et j’ai la certitude que tu ne leur ressembles pas. Comme tout le monde tu caches quelque chose mais je m’en fous mon beau légionnaire. Je vais profiter de ton corps avant que tu me jettes dehors… »

 

Après je ne sais plus ce qui s’est passé parce que j’ai basculé comme une masse dans un sommeil de béton. Tout ce dont je me souviens c’est que j’ai rêvé de Marie. Jamais plus depuis mon départ de Nantes je n’avais rêvée de Marie. Elle se promenait pieds-nus sur une plage de sable fin, tout au bord de l’ourlet mousseux qu’inlassablement les vagues dessinaient en venant mourir sur la grève. À ses côtés, Achille, le chien de Jean gambadait en pataugeant dans des flaques qui ressemblaient à des continents. Dans mon rêve cerné d’un cadre noir je me sentais extérieur à l’image, tel un spectateur dans une salle obscure. Le souffle d’une légère brise de mer, que je sentais lécher mes épaules nues, gonflait le vêtement immaculé de Marie. Tout mon corps semblait désassemblé, flasque, tel une poupée de son aux membres désarticulés, pendouillant, incapables d’assumer leurs fonctions : ni marcher, ni étreindre. Ma rage impuissante consumait toute l’énergie que fabriquait ma volonté. Je n’étais plus qu’une chaudière au bord de l’implosion, incandescente, pleine d’une fureur inutile. Je luttais. Dans ma bouche sèche je sentais du goût du sel. Mes lèvres articulaient des mots que je n’entendais pas. Supplice atroce, lent, inexorable, les pas de Marie ne marquaient pas le sable mais je ne voulais pas admettre ma défaite. Il me suffisait de garder cette image froide, de la tenir dans les rets de ma volonté. Cette fois-ci Marie tu ne m’échapperas pas. Je te garderai à tout jamais. Mes doigts, soudain, s’agrippaient. Je prenais peur. M’éveillait. Chloé, assise sur son céans, me contemplait avec des yeux de mère. « Mon beau légionnaire, qu’est-ce que tu as du l’aimer cette Marie…     

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16 août 2008 6 16 /08 /août /2008 00:02

 

Le Nouveau Parisien boit son vin au verre et son eau en bouteille

 

Dans mes références comme on dit, culturelles, je conserve une prédilection pour le cinéma italien des Monstres et des Nouveaux Monstres : Vittorio Gassman, Alberto Sordi, Ugo Tognazzi, grands moments d’autodérision comme seuls les italiens savent le faire dans la démesure et la gesticulation, la tendresse aussi. Le texte d’Alain Schifres sur le Nouveau Parisien participe de cet état d’esprit de toile émeri plus que de brosse à reluire qui semble être la marque de fabrique de beaucoup de nos plumitifs contemporains. Avant d’en terminer, hier j’ai omis une brève du Canard Enchaîné qui en dit long sur la facilité dans laquelle se vautre notre monde mondialisé « Les jeunes n’étaient pas légion dans les maigres foules qui ont défilé devant la dépouille d’Alexandre Soljenitsyne, mais le correspondant du « Monde » (7/8) en a tout de même déniché une, « une étudiante de 19 ans » dénommée Olga Ovdeeva, qui confesse : « Parmi mes amis, tous savent qui est Soljenitsyne, bien sûr, mais très peu l’on lu. Peut-être parce que nous vivons à une époque plus facile, on ne veut pas ressasser le passé et l’on préfère lire Beigbeder (traduit en russe et très populaire auprès des jeunes). C’est dommage… » D’autant que ça fait du tort à Houellebecq… »

 

« Le Nouveau Parisien a la chair plus ferme, les naseaux dorés, le poil ras et brillant. Il sent l’hygiène corporelle. Il est trait régulièrement, par prélèvement automatique. Il s’abreuve dans des wines bars. (Le Nouveau Parisien boit son vin au verre et son eau en bouteille) Il assaisonne son café avec des sucrettes. Il s’habille en sportswear. Il a 40 ans et les aura longtemps. Il a divorcé au bout de cinq ans, c’est ici le délai de rigueur : les mariages d’aujourd’hui ont la durée des fiançailles d’autrefois.

Sa rage de distinction est insatiable. Tout va si vite, il ne veut rien laisser perdre. C’est un déraciné du cervelet, il se remplit d’informations à mesure qu’il se vide de pensée. Arrivé par le train ou par le mérite, ou par les deux, il est terrassé par la hantise de  « faire plouc ».

Le Nouveau Parisien, c’est la chapelure qui rêve au gratin. Son Paris intime : il a le dada des lieux de mémoire. Il est prêt à mourir pour la piscine Molitor ou le Fouquet’s, Léo Mallet ou l’Hôtel du Nord.

Il aime aussi les ambiances jazzy et les cafés conceptuels. Il signe des pétitions pour l’environnement. Il est fou d’opéra, mais seulement à écouter. Il vote à gauche pour emmerder Chirac. Il vote écolo pour emmerder la gauche. Il découpe les articles de Baudrillard.

Il rit aux films de Woody Allen même quand c’est pas drôle. Il se gondole de confiance. Woody est une garantie, comme la Woolmark.

Il a une réédition de la chaise longue du Corbusier. Il dit : Corbu. Il explique que c’est du contemporain intemporel.

Il achète des surgelés dans des magasins qui ressemblent à des nécropoles, avec leurs tombeaux vitrés qui pourraient abriter des filets de Lénine aussi bien que la dépouille d’un cabillaud. Il raffole des restaurants latinos (à l’heure où j’écris ces lignes) comment il adorait trois ans plus tôt les Delikatessen. Il a son réseau d’épiceries orientales, d’employées lusitaniennes et de « petits boulots au noir ».

Le Nouveau Parisien se reproduit assez peu. Le mâle a fait un ou deux petits à ce qui n’était pas encore son exe, puis un autre, sur le tard, à une jeune femelle sevrée qui pourrait être la sœur de sa fille aînée : avoir des enfants, cela va bien un peu, ce qu’il veut maintenant, c’est avoir des bébés.

Une variété intéressante du Nouveau Parisien est le faubourgeois à poil raide. Le faubourgeois est un de ces pionniers qui, au nord et à l’est, disputent l’espace aux faubouriens. C’est qu’il ne veut pas vivre chez les bourges (le voudrait-il, il n’en a pas les moyens). Les bourges sont chiants, leurs femmes ont de petits sacs avec une chaîne dorée.

Le rêve du faubourgeois est d’habiter un vrai quartier populaire – à l’intérieur d’un entrepôt si possible, retapé entre potes dans le genre cargo (coursives et passerelles), avec le concours du copain architecte, ou « quelqu’un qui magouille dans l’immobilier », est essentiel à la vie du faubourgeois). Il voit son environnement comme un trésor de Trauner.

À mesure qu’avance le faubourgeois, hélas, le faubourien recule. C’est que l’animal fait monter les prix comme il respire. Il est à la recherche du fameux tissu urbain, mais la ville se démaille à son approche. L’endroit tourne au vrai-faux, avec ses lampadaires assez ridicules, des arbres nains, des immeubles couleurs d’escalope, des pavages en demi-lune, une clarté d’halogène. Cette sorte d’ambiance qu’on appelle le cachet.

Des ouvre-portes à code sont visés à la hâte. Dans les bureaux de tabac, on installe des caves à cigares.

Un bourgeois des années 30 ne donnerait pas deux sous au faubourgeois d’élite. Son allure est celle d’un insomniaque sorti acheter des cigarettes. Il porte une barbe de trois jours soigneusement épilée tous les matins. Il se coiffe à la Rourke*. Elle se maquille à la Dalle*. Ils sont en noir. Ils ressemblent à des croque-morts mondains dans un cimetière branché. Par les nuits sans lune, ils sortent avec des lunettes de soleil. Ce sont des inconnus qui préservent leur anonymat. »

 

  • - Le people vieillit vite vous êtes donc prié de consulter les revues spécialisées pour opérer la substitution à ces patronymes quasiment tombés dans l’oubli.

  • - Bien sûr depuis ces temps héroïques Paris s’est enrichi de Paris-plage, du Vélib, du non-fumeur total dans les lieux publics, d’un tramway, d’un musée des Arts Premiers, de pleins de couloirs de bus made in Vert ; Tonton est monté au ciel, Chirac loge sur les quais, Nicolas est là, Bertrand a repiqué au truc en espérant mieux, et bien sûr les Parisiens sont à un degré très élevé des addicts du cellulaire, du Black Berry et dans leurs rêves fous les bobos pensent qu’ils ont presque gagné la partie…
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15 août 2008 5 15 /08 /août /2008 00:06

Le creux du mois d’août à Paris, le 15 août, l’Assomption de Marie, comme je suis un mécréant j’ai écrit à une amie qu’avec ce temps la Vierge aurait du mal à décoller cette année même du Jardin André Citroën. Je range mes papiers. Parfois je relis des textes découpés dans des magazines et je me dis que si pour les vins on parle de vins de garde, ceux qui doivent attendre pour exprimer leur plénitude, pour les textes qui traitent de l’air du temps, le temps peut-être redoutable. Moi qui suit plus un rat de bibliothèque qu’un rat de cave j’aimerais que de nos merveilles en bouteilles on puisse dire : vins de demain et, pour ceux qui sont le bonheur d’un jour : vins d’aujourd’hui. Ainsi, en opposition avec les nouveaux riches et les parvenus qui achètent des bibliothèques au mètre, et des vins à la cote Parker, les esthètes et monsieur et madame tout le monde pourraient s’y retrouver : d’un côté les vins de bibliothèque, valeur de toujours, de l’autre les vins Google, pressés, évanescents et turbulents.

 

Alors en ce début de pont je vous propose pour aujourd’hui et pour demain, deux textes du même auteur : Alain Schifres, tiré d’un livre de 1990 « Les Parisiens » chez Lattès. Ils n’ont pris aucune ride. Je vous les offre. Vous pouvez les consommer sans aucune modération.

 

« PARIS est une entrecôte. Tous les garçons bouchers qui l’ont survolé en ULM vous diront que c’est sa forme, vu d’en haut. Au moins la ville a-t-elle une forme, cela n’est pas donné à n’importe qui chez les capitales.

Paris est un endroit où il n’y a pas de placards. Ou alors, vous aurez des cuisines dedans. En revanche, il y a des entresols, comme des étages clandestins : on s’est moins soucié de ranger les choses que de serrer les gens. C’est une cité horizontale, grise et beige, selon des nuances qui vont du café crème avec beaucoup de lait au torchon sale.

C’est une ville franche, pas du tout perverse, qui sent l’hygiène sociale en dépit de ses rubicoins populistes où le balai n’a pas accès. Elle plafonne à vingt mètres environ sous une carapace de zinc et de plomb, avec des tours qui percent par endroits, des petits Manhattan arrogants sur les bords, des parcs et des jardins, des théâtres fin XIXe, des arbres malades, des plaques aux gardiens de la paix tombés en 1944, des passages qui ressemblent à des traboules, des logements de la Ville de Paris réservés aux copains sur présentation de leur carte de copinage, des Grands Travaux du Président, des églises vides et des bistrots pleins, des cours, des impasses et des villas pavées qui font dire aux New-Yorkais mais c’est la campagne ici, des Palais nationaux et un Palais des Sports où on fait de tout sauf du sport et ce n’est qu’un exemple : on peut voir à Paris des musées dans des gares, des boîtes de nuit dans des établissements de bain, des boucheries transformées en boutiques, des bureaux dans des garages changés en bureaux, des ateliers d’ébéniste changés en appartements, sans parler des appartements changés en ateliers de confection, bizarres comme la rencontre d’un Tamoul et d’une machine à coudre dans un salon XVIIIe.

Ma cité, on notera que j’en parle comme d’un être humain. C’est une habitude ici. Les gens disent : « Paris est terriblement nerveux ce matin » ; « Paris commence à me courir » ; « Paris en a marre d’être coincé tous les soirs au volant sous les guichets du Louvre ».

 

à suivre demain avec Le Nouveau Parisien

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