Le début d’après-midi de ce dimanche, près de l’église d’Auteuil baignait dans une douce atmosphère d’été indien. Enfin ! Affublé de canes anglaises, mon genou gauche de cycliste impénitent ayant rendu l’âme, je progressais clopin-clopant, entre les stands d’une brocante très XVIe arrondissement, lorsque mon regard acéré fut accroché par une affiche à éclipse déroulant son visuel sur un grand panneau Decaux. « Tendez vers la différence… » le slogan m’intriguait. Objurgation au parfum moral, avoir un but, une fin, s’en approcher, tendre vers avec volonté et effort, je croyais entendre un « Bossuet » moderne m’apostropher. Oui mais, dans le cas présent, c’est la différence que je me devais de viser. Voilà bien une cible mouvante, car « se distinguer », sortir du lot, créer un écart entre soi-même et les autres est une entreprise malaisée, surtout en ce monde où l’uniformisation du plus grand nombre est la règle. Bref, je ne vais pas philosopher mais me mettre, un instant, dans la peau d’un pékin du XVIe, sortant le caniche frisé de son épouse permanentée, face à cette invite, et m’interroger : mais qu’est-ce donc ce JP Chenet avec ses 3 petites bouteilles au col incliné ?
Le fond de l’affiche, très stylisé, n’éclairait guère ma lanterne. Alors ce nom Chenet qui fleure bon le feu de cheminée allait-il me guider vers le terroir profond ? Est-ce un vigneron ? À la réflexion, alors que le toutou las d’arroser le même tronc d’arbre tire sur la laisse, j’écarte cette hypothèse : les vignerons en France sont tous petits et ils n’ont pas les moyens de s’offrir de la réclame dans les quartiers huppés de la capitale. Quand aux châtelains de Bordeaux ils me disent en ce moment, sur d’autres panneaux, que je peux pour le prix d’une de leur bouteille, m’offrir un château. Et décrypter les initiales du prénom : Jean-Paul, Jean-Pierre, Jean-Philippe, Jean-Pascal… ne m’avançait à rien. Le clébard pomponné de ma digne épouse, au bord de l’asphyxie, me rappelait à mes devoirs. Revenu dans mon 200 m2 je confiais mes soucis à ma petite dernière, Marie-Antoinette, qui me pouffait au nez. Je m’offusquais de cette hilarité. La petite effrontée pour calmer mon courroux me dit de sa jolie voix flutée : « Père, si vous voulez tout savoir sur JP Chenet vous n’avez qu’à aller consulter le blog le mieux informé de la Toile : Vin&Cie l’espace de liberté. » Guidé par mon petit génie de fille qui joue aussi bien du clavier que du piano je me rendis donc sur le site du dénommé Berthomeau.
Que lis-je alors chez cet Ostrogoth de la Toile ? Que JP Chenet est la première marque de vin français exporté. Diantre, j’ignorais déjà que notre cher jaja puisse être marqueté. Dans mon souvenir, le Gévéor, le Kiravi, le vin des Rochers étaient le velours des estomacs populaires à jamais disparus. Certes, à quelques encablures de chez moi, survit un Nicolas qui livrait autrefois de bien belles bouteilles. Bref, que ce fusse ce roturier de Chenet qui porta au plus haut la bannière de notre doulce France du vin en terres étrangères me laissait coi. Qui plus est, ajoutant à ma confusion, ce manant logeait ses Grands Chais de France aux confins de l’Est en un lieu au nom imprononçable : Petersbach. Pour moi, seul le négoce bordelais pouvait exporter nos grands vins : le quai des Chartrons, les goélettes, les caisses bois, les lords anglais… Ouf, ce manant à des établissements à Bordeaux : Dulong, Calvet, un grand « centre d’embouteillage (étrange appellation) à Landiras et quelques châteaux. Ces Grands Chais étendent leurs rets dans tous les beaux vignobles de France : Val de Loire, Languedoc, Jura etc. et de cet étrange et mystérieux Chenet ils vendent 95 millions de cols (ça me rappelle les cols durs de mon père). Estomaqué je hèle Marie-Chantal mon épouse légitime pour lui faire part de ce déluge de cols et, que l’entends-je me répondre ? Tout bonnement qu’avec son amie Nicole elles se sont sifflées du Chenet dans un bistro de la place du Marché St Honoré en picorant dans leurs salades. Du Cinsault-Grenache rosé me précise-t-elle en avalant ses sushis. Pour moi c’est la fin d’un monde : si nos femmes se piquent de connaître le vin que nous reste-t-il, à nous, sexe fort ? Mais d’où vient ce fleuve de vin ? Pour le blanc, 20%, de Gascogne, moi qui pensais que le Gers était la patrie de l’Armagnac, pour le rouge, 80%, d’Oc, j‘ignorais cette nouvelle baronnie des vins de pays. Tout change, comme c’est étrange ! Et pour clore mon ébahissement ce Chenet séduit dans 160 pays…
Mais alors me dis-je pourquoi ne pas nous l’avoir dit sur sa belle affiche ? Moi j’aurais été fier d’apprendre qu’un challenger français guerroyait avec succès contre les barbares du Nouveau Monde. Un winner frenchie c’est si rare en ces temps difficiles que cette fichue différence vers qui la réclame me dit de tendre elle est dans ce défi relevé. Quand Renault vend beaucoup de Clio il le dit. Il en est fier. Alors, que JP Chenet au col cassé affiche la couleur des vainqueurs. Vous êtes un vin d’un nouveau type, qui bouscule les vieux principes, balaie les idées reçues, un vin qui tire notre Languedoc bougon, lui redonne de l’allant alors, sans rouler des mécaniques, affichez ces différences, ne jouez pas dans la même cour que les autres. Peu connu si vous voulez séduire de nouveaux consommateurs ou détourner certains de leurs habitudes pourquoi ne pas décliner votre pedigree. Que les bouches en cul de poule ne vous aimassent point, peu importe. Pour sortir de votre relatif anonymat ce qui importe c’est d’affirmer votre savoir-faire internationalement reconnu, dire que vous aussi vous avez des racines, que ce vin roturier, bien fait, a aussi sa place dans le quotidien des français. Mais, comme dirait ma concierge, les conseilleurs ne sont pas les payeurs, alors tout ce que je viens d’écrire ne sont que les élucubrations d’un paisible bourgeois du XVIe arrondissement un peu dépassé par les évènements.