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lundi 10 août 2009

Enfin une polémique sanitaire d'un genre nouveau! Il ne s'agit plus cette fois de s'empoigner à propos des antennes portables, des radiations ionisantes ou des organismes végétaux génétiquement modifiés. Il ne s'agit pas de tenter d'évaluer les effets nocifs sur le corps humain de telle ou telle activité humaine: il s'agit de mesurer les effets positifs pour la santé des aliments qualifiés de «biologiques».

Qui, jusqu'à ces derniers jours, aurait eu le courage de contester les vertus de ces aliments issus d'une agriculture plus respectueuse de notre environnement que l'agriculture nourrie, depuis un demi-siècle, de substances chimiques? Comment une agriculture mécanisée ne respectant plus ni la terre ni les équilibres naturels pourrait-elle produire des aliments d'une qualité  équivalente à ceux infiniment plus proches de la Nature?

Or voici qu'une très sérieuse étude britannique vient, si l'on ose écrire, de mettre les pieds dans le plat  en concluant en substance que, s'ils existent, les avantages nutritionnels des aliments «bio» (produits sans  engrais chimiques ni pesticides) étaient négligeables. Ce travail a été effectué pour le compte de la Food Standards Agency (FSA), l'agence britannique en charge de l'élaboration normes alimentaires créée après le drame de l'affaire de la vache folle. Il a été mené  par des chercheurs de la très réputée  Ecole d'hygiène et de médecine tropicale de Londres. Et sa toute récente publication dans l'American Journal of Clinical Nutrition fait déjà grand bruit.  

Il s'agit ici d'une méta-analyse, c'est à dire d'une démarche statistique consistant à analyser les résultats d'une série d'études indépendantes ayant déjà été menées sur un thème donné. Cette pratique  permet une analyse plus précise et plus puissante grâce à l'augmentation du nombre de cas étudiés.  Cette démarche est largement utilisée en médecine pour l'interprétation globale d'études aux résultats parfois contradictoires. Les chercheurs britanniques ont ainsi, dans un premier temps, pris en compte quelque 90.000 études scientifiques publiées sur ce thème depuis 50 ans. Puis ils ont finalement décidé de n'en retenir que 162 qu'ils ont jugé comme étant les plus fiables d'un point de vue méthodologique. Puis ils ont enfin focalisé leurs travaux sur 55 de ces 162 études.

Pour le Pr Alan Dangour, principal auteur de ce travail, les choses sont on ne peut plus claires: «Du point de vue de la nutrition, il n'y a actuellement aucun élément en faveur du choix de produits bio plutôt que d'aliments produits de manière conventionnelle». De légères différences ont certes bien été relevées ici ou là mais elles ne sont pas statistiquement significatives et, selon le Pr Dangour, ne sauraient avoir un quelconque impact en termes de santé publique.

On peut rappeler qu'en 2003 l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) était, dans son habituel jargon, parvenue  à des concluions similaires: «Les faibles écarts ou tendances pris individuellement, qui ont pu être mis en évidence pour quelques nutriments et dans certaines études entre la composition chimique et la valeur nutritionnelle des produits issus de l'agriculture biologique ou de l'agriculture conventionnelle, n'apparaissent pas significatifs en termes d'apports nutritionnels».

Outre-Manche, du côté de la FSA on aimerait calmer le jeu. «L'étude ne dit pas aux gens de ne plus acheter d'aliments bio,  explique-t-on. Mais il est absolument essentiel de fournir au public des informations précises lui permettant de choisir ce qu'il mange en toute connaissance de cause.»

L'affaire est d'importance en Grande Bretagne où l'intérêt pour les «organic foods» va croissant, générant plus de deux milliards d'euros de ventes et un chiffre d'affaires qui a doublé au cours des cinq dernières années. Certains accusent la FSA  de défendre les intérêts des organisations paysannes traditionnelles et des gros producteurs. La Soil Association, qui représente les producteurs de bio au Royaume-Uni est particulièrement véhémente. Elle accuse notamment les auteurs de cette étude de ne pas avoir tenu compte de l'impact des pesticides, des herbicides sur l'environnement et la pollution des rivières; sans parler du bien-être animal. Et elle accuse d'autre part la  FSA d'avoir hâté la publication de ce travail dans l'American Journal of Clinical Nutrition en sachant qu'une autre publication européenne sur le même thème était programmée; une étude qui conclurait à la plus grande présence de substances antioxydantes (bénéfiques pour la santé) dans les produits issus de l'agriculture biologique.

L'affaire commence aussi à faire des vagues en France où le marché des aliments bio (majoritairement importés) est passé de 1,6 à 2,5 milliards d'euros en trois ans. «Les conclusions de ces deux études [la britannique et celle de l'Afssa] sont très orientées, s'insurge Cécile Frissur, déléguée générale de Synabio, le Syndicat national des transformateurs de la filière bio dans les colonnes du Figaro. Elle reproche aux chercheurs de n'avoir pas tenu compte «des méthodes de l'agriculture biologique respectueuses de l'environnement et donc in fine de la santé des consommateurs».

«C'est la énième étude qui arrive à cette conclusion, du fait qu'elle se limite à l'analyse des nutriments,  explique, dans Le Monde, Claude Aubert, ingénieur agronome et consultant en agriculture biologique. Les produits bio contiennent beaucoup plus d'acides gras oméga 3, car les vaches bio mangent plus d'herbe et moins de céréales que les vaches conventionnelles. En outre ils contiennent plus de polyphénols, ces substances qui n'ont pas de valeur nutritionnelle mais qui nous protègent des maladies- cardio-vasculaires et de certains cancers. Mais, surtout, les produits bio ne contiennent pas de pesticides.»

Ce dernier point ne peut être sous-estimé notamment après le lien récemment établi en France entre l'exposition aux pesticides et le risque de maladie de Parkinson. Au total que faire? L'absence totale ou presque de pesticides justifie-t-elle de payer notablement plus cher les aliments du quotidien? Faut-il accepter la différence de prix en postulant que les végétaux bios recèlent plus de magnésium, de zinc ou de polyphénols que ceux issus des cultures intensives et grassement azotées? Peut-on considérer que le surcoût du bio est une forme de contribution volontaire, militante et citoyenne au respect général de notre environnement? Si oui, être écologique c'est, avant toute chose, savoir se serrer la ceinture.

Jean-Yves Nau

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