De Gaulle, l’appel du 18 juin, Pétain, la poignée de mains de Montoire, la Résistance, les FFI, les FFL l’Occupation, la Milice, la Libération, l’épuration, l’amnistie, une période noire de notre Histoire qui m’a depuis mon plus jeune âge passionné.
Avant le confinement, saison 2, j’ai acquis :
Français, on ne vous a rien caché: La Résistance, Vichy, notre mémoire par François Azouvi
Une croyance règne en France, depuis maintenant un demi-siècle : de Gaulle aurait été un "grand mystificateur" qui, avec l'aide des communistes, aurait menti aux Français à la Libération ; il leur aurait fait croire qu'ils avaient tous été de vaillants résistants, que Vichy avait à peine existé, que la collaboration avait été le seul fait d'une poignée d'égarés et que "l'État français" n'était pour rien dans la déportation des Juifs. Bref, communistes et gaullistes auraient administré à un peuple qui ne demandait qu'à être dupé le baume consolateur de mensonges édifiants. Faut-il vraiment penser que l'héroïsme des résistants et des Français libres n'a été qu'une valeur de contrebande destinée à faire oublier toutes les réalités fâcheuses des années noires ? Faut-il croire que les pouvoirs ont soigneusement scellé pendant vingt-cinq ans la vérité et que les Français ont cru à ces illusions réparatrices ? Il faut le dire nettement : cette croyance en un mensonge consolateur est un mythe, et le présent livre montre comment et quand celui-ci s'est construit, quelle part de vérité il contient et quelle histoire a écrit la mémoire de la Résistance, cet événement hors du commun. Contrairement à ce que l'on pense, tout a été mis tout de suite sur la table ; les Français ont pu savoir tout ce qu'ils désiraient apprendre et aucune censure n'a empêché quiconque le souhaitait de regarder en face les années noires. Et les Français de l'après-guerre ne s'en sont pas privés.
Dès que j’en aurai terminé la lecture je vous en reparlerai, pour l’heure j’ai envie de vous confier ma joie d’y retrouver mon ami Alain Bancaud.
Nadine et Alain Bancaud sont des amis connus à Constantine lors de mon Service National à la Faculté de Droit de cette ville. Ils ont traversé lors de leur retour à Paris une lourde épreuve, souvenir de consoler Alain au Pied-de-Fouet. Et puis la vie fait que la roue tourne et que nous nous sommes perdus de vue. Alain était chercheur au CNRS (en 1993). - Juriste et sociologue. - Rattaché à l'Institut d'histoire du temps présent (en 2002). Alain est aussi un bon photographe.
Donc page 256 du livre de François Azouvi je lis :
Alain Bancaud cite cette note du CGE (Comité Général d’études d’Alger) à la date du 5 septembre 1943 : « Quoi que l’on puisse penser de la légalité du gouvernement de Vichy, il a été au moins un gouvernement de fait, qui a donné des ordres, et auquel les fonctionnaires et les particuliers ont pu obéir. Ils vont être punis pour des faits qui n’étaient évidemment pas punissables au moment où ils les commettaient. »
Est-ce bien mon Alain Bancaud, je file à la biblio, et sans aucun doute c’est lui.
Vite le Web !
Alain Bancaud, Une exception ordinaire. La magistrature en France (1930–1950)
Gallimard, coll. « NRF Essais », Paris, 2002 (528 p.)
Jean-Michel Belorgey
p. 409-411 ICI
Référence(s) :
« Exception ordinaire » ; « banalisation de l’exception » ; « obéissance banale » ; « exercice extraordinaire d’un art ordinaire » ; « des juges trop ordinaires » ; « le corps judiciaire... formidable machine à banaliser..., à légitimer, mais aussi à rabattre l’extraordinaire politique à l’ordinaire juridique ». Le message qu’Alain Bancaud désire faire entendre, il peut, comme l’ethnographe de Jorge Luis Borges (1) l’énoncer « de cent façons différentes, et même contradictoires ». Mais c’est toujours autour de ces deux pôles, l’ordinaire, ou le banal et l’extraordinaire que gravite son effort pour mesurer et dire comment le quotidien judiciaire a, dans « une conjoncture » — Vichy — mais pas ou à peine plus que dans d’autres — l’avènement de la République, la lutte contre l’anarchisme, la Libération, la décolonisation —, absorbé, sans révulsion, tantôt avec gourmandise, tantôt avec détachement, et non sans, hors de toute ostentation, « en prendre et en laisser », un nouvel ordre juridique et social.
Ce livre, qui, malgré le soin méticuleux avec lequel il exploite d’innombrables sources — archives de juridictions, correspondances entre la Chancellerie et les Parquets, rapports de l’Inspection des affaires judiciaires —, n’est jamais ennuyeux, tout au contraire, tant les textes sélectionnés par l’auteur sont, par-delà leur portée historique et sociologique, littérairement et psychologiquement savoureux, peut naturellement être regardé comme pendable. Et ce n’est pas sa conclusion (« l’ébranlement différé d’une tradition ») qui l’innocentera aux yeux de ceux qui, malgré les vagues de fond, n’ont pas rompu avec « l’habitus judiciaire » dont il décrit les dogmes, les pesanteurs, et les vertus. Il n’est pas rare, en effet, qu’il donne le frisson. Car le respect imperturbable de la loi, du seul fait qu’elle est la loi, qui constitue l’un des éléments de cet habitus — ceci ne vaut plus, de la même manière, mais tout de même encore un peu, en un temps de contrôle de constitutionnalité et de conventionalité —, alimente évidemment différentes sortes d’horreur ; leur fixe aussi quelques limites, incertaines.
A. Bancaud rend compte, chemin faisant, de l’extrême précarité, pendant la période étudiée, de la condition matérielle des juges (des traitements de misère) ; du poids des hiérarchies (Chancellerie, chefs de cours) ; du rôle déterminant dans les promotions des protections et recommandations politiques ou notabliaires, tantôt plus notabilaires que politiques, tantôt franchement politiques (au point que les alternances politiques ont pu être regardées, dans le milieu judiciaire, comme des « successions d’opportunités »). Tout cela alimentant non seulement une « soumission à la fois résignée et revendiquée » à la volonté du législateur, telle qu’expressément formulée dans la loi, mais une propension au zèle dans la mise en œuvre des normes légales conformément à l’esprit du temps. Situation de « dépendance à la fois imposée et appelée, subie et construite » reposant sur la conviction que ce n’est que dans la « déférence d’État » que la magistrature peut s’adjuger un statut.
A. Bancaud qui prend grand soin de ne citer, sinon aucun nom, du moins le moins de noms possibles, (...)
La période de Vichy n’est, dans ce contexte, aux yeux d’A. Bancaud, qu’un moment singulier. Sans doute est-elle marquée par une exacerbation des préoccupations répressives (à l’égard des juifs, des francs-maçons, des communistes, des résistants, des étrangers, mais à l’égard, aussi, du marché noir, de l’avortement, de l’homosexualité, de l’adultère, de la petite délinquance), y compris sans texte, ou sous le signe de la rétroactivité de ceux-ci, et le plus souvent dans le cadre de procédures systématiquement allégées faisant la part belle au Parquet. Sans doute le gouvernement de la France occupée manifeste-t-il une obsession supérieure encore à celle de ses prédécesseurs de tout « suivre », de tout contrôler, quitte à avoir recours, en cas de défaut d’aboutissement des poursuites judiciaires, à des mesures administratives (internement) auxquelles le juge est requis de prêter la main. Mais il en ira de même, avec des cibles différentes, il arrivera même que cela soit pire, l’auteur le démontre crédiblement, au lendemain de la Libération. Et si la magistrature n’est alors que faiblement épurée, bien qu’elle n’ait compté dans ses rangs que peu de résistants, faute, en partie sans doute, d’organisation professionnelle se prêtant à des concertations appropriées, c’est qu’on ne songera pas, sauf exception, à lui faire reproche d’une obéissance, d’une « fermeté » (vertu hautement appréciée par les pouvoirs), que le nouveau régime sollicitera et obtiendra d’elle à son tour. D’elle en général, et de quelques-uns en particulier, un certain nombre de magistrats ayant requis, ou condamné, tant dans le cadre des juridictions ordinaires que dans celui des juridictions d’exception de la France occupée, intervenant de fait, et avec la même efficacité, le même allant2, quelquefois (plus rarement) les mêmes prudences, dans les procès pour faits de collaboration.
Cela étant, il n’est pas exclu, suggère A. Bancaud, qu’entre la magistrature et l’ordre social que le gouvernement de la France occupée songeait à promouvoir, il y ait pu avoir, sur fond de commune phobie du chaos, de commune culture de l’autorité, de commune exécration du doute, comme une connivence naturelle. Ce n’est pas celle de ses analyses qui le rendra le plus populaire. On lui saura sans doute davantage gré de faire valoir que la magistrature de la France occupée n’a pas, au total, commis beaucoup plus d’excès que ceux auxquels la conviait, sans qu’elle put lui résister, un législateur trépignant ; et encore que la crédibilité de la répression conduite par les juridictions françaises était d’évidence la condition pour que celles-ci ne soient pas davantage qu’elles ne l’étaient déjà dépossédées par les juridictions de l’occupant.
On a trop vite oublié L. Casamayor (Les juges, Le temps qui court, Seuil, Paris, 1956 ; Si j’étais (...)
Là encore, A. Bancaud est bien un autre ethnographe de J.L. Borges. Le sens aigu du contradictoire qui anime son propos fait partie des raisons pour lesquelles il faut le lire, et le relire, en se reportant aux auteurs qu’il cite (Marc-Olivier Baruch, le Procureur général Besson, Antoine Garapon), et à ceux qu’il ne cite pas (Louis Casamayor, Gérard Guicheteau, Giorgio Agamben).
Pour tenter de discerner ce que vaut, en des circonstances d’exception, la « continuité de l’État », Justice comprise. Que faut-il, en effet, en pareil cas, tenir pour pire : la poursuite d’une gestion professionnelle, technique et bureaucratique de régulations sociales, certes marquées au coin de la passion politique, ou la disparition de toute magistrature (au sens large du terme), le justitium de G. Agamben ? L’État d’exception n’est plus, sinon au sens de G. Agamben, à l’ordre du jour. Et la tradition a — A. Bancaud a raison — été, serait-ce tardivement, et seulement pour partie, sérieusement ébranlée. Mais quid des étrangers, des différentes sortes de demandeurs d’asile, du droit qui leur appliqué, et de leurs juges ?
Notes
1 J.L. Borges : « L’ethnographe » dans « Éloge de l’ombre », publié avec « L’or des tigres », Gallimard, Paris, 1976.
2 A. Bancaud qui prend grand soin de ne citer, sinon aucun nom, du moins le moins de noms possibles, en cite néanmoins quelques-uns à ce sujet. On en trouvera d’autres à propos des procès contre Robert Brasillach, Henri Beraud, Abel Hermant, etc., dans le récent Dictionnaire des écrivains français sous l’Occupation de Paul Sérant (Éditions Grancher, Paris, 2002) qui, pour être politiquement situé, n’en est pas moins serein et instructif.
3 On a trop vite oublié L. Casamayor (Les juges, Le temps qui court, Seuil, Paris, 1956 ; Si j’étais juge, Arthaud, Paris, 1970) ; G. Guicheteau pose dans Papon Maurice ou la continuité de l’État (Éditions Mille et une nuits, Paris, 1999), des questions voisines de celles posées par A. Bancaud. G. Agamben vient de donner un livre utile bien que décevant L’État d’exception (Seuil, Paris, 2003).
Auteur : encore un ami qui a pesé lourd dans ma vie professionnelle
Jean-Michel Belorgey
Conseil d’État, Section du Rapport et des Études, Palais Royal, 75100 Paris 01 SP, France
nicole.fouret@conseil-etat.fr
Bien évidemment je commande chez Gallimard le livre d’Alain…