Désolé pour cette publication intempestive d'une vieille chronique ce sont les mystères des petites machines qui n'en font qu'à leur tête... ou alors c'est Bruno qui avait envie de revenir sur mon espace de liberté...
Au temps de ma mission Rivesaltes, l’AFED, par l’entremise de son délégué général, ne me facilitait guère la tâche, nous pataugions dans un inextricable contentieux communautaire qu’il avait provoqué. Bref, vous me connaissez, j’étais très remonté. Et puis, il y eut mon rapport qui « trouva grâce » auprès des chefs de cette organisation qui se positionnait sur un créneau « libéral » et je fus auditionné rue d’Anjou en présence des grands chefs : Joseph, Jean-Louis et le jovial André Lacheteau président de l’AFED. Bruno Kessler, jeune homme fringant et souriant, développait la doctrine de l’AFED avec une conviction communicative et un savoir-faire reconnu. Il énervait un peu les caciques, y compris ceux de l’AFED, mais fort de la dynamique des Grands Chais de France, tous reconnaissaient que ses idées, dérangeantes et en rupture avec l’inertie ambiante, marquaient une réelle rupture dans le métier de négociant. Nos rapports toujours emprunts d’un respect mutuel se sont toujours placés sur le terrain de la franchise décapante et du débat privilégiant l’intelligence.
Oenologue diplômé de la Faculté de Reims en 1986, Bruno Kessler a commencé sa carrière en Californie, chez Piper Sonoma, avant de s'installer comme vigneron dans son Anjou natale au château de Cheman. Il retourne vers le négoce chez Louis Eschenauer où il découvre Bordeaux et ses grands crus, puis plus tard chez Lacheteau/Vinival où il développe déjà des caves de vinifications. En 1994, il participe, en tant que directeur des achats et de l’œnologie, à la métamorphose de Grands Chais de France, entreprise qui devient championne de l'exportation dans 160 pays, il met en place le sourcing de la première marque de vin français JP CHENET. À partir de juin 2009 sa carrière va prendre une nouvelle orientation : « Bruno se met à son compte. » Président de l’AFED, vice-président de l’AGEV, membre de Vinifhlor, Bruno Kessler met aussi la main à la lourde pâte du débat interprofessionnel en défendant une « libéralisation encadrée de la réglementation viticole et une œnologie moderne adaptée à l'élaboration et au sourcing des vins de marque d'aujourd'hui et de demain »
Question N°1 : Supposons que je sois un jeune bachelier passionné par le vin. Je cherche ma voie Sur le site du CIDJ je lis « L’œnologue, grâce à ses connaissances scientifiques et techniques, accompagne et supervise l’élaboration des vins et des produits dérivés du raisin. Sa principale activité concerne la vinification. Il conseille les viticulteurs dans le choix des cépages et la plantation des vignes. Il surveille les fermentations en cave, le traitement des vins et leur conditionnement. Il effectue des analyses et procède à des recherches technologiques visant à l’amélioration des cépages. L’œnologue peut également être chargé de la distillation ou fabrication des alcools à partir des marcs de raisins. Enfin, connaisseur et expert en dégustation, il participe à la commercialisation des vins en France et à l’étranger. En raison de la concurrence rencontrée désormais par la production française de vin sur le marché mondial, l’œnologue remplit une fonction stratégique pour le maintien ou l’amélioration de la qualité des produits de la viticulture française. »
Présenteriez-vous ainsi votre métier à une jeune pousse Bruno Kessler ?
Réponse de Bruno Kessler : J’ignorais qu’une pareille définition exista encore au CIDJ !!! Il ya tellement à dire sur cette vision trop académique…
Tout d’abord en vérité l’œnologue travaille surtout chez des négociants ou pour des négociants !!! Il est avant tout au quotidien un homme de production qui doit répondre efficacement à des demandes de plus en plus complexes de la distribution mondiale et de ses clients.
Notre métier est en profonde mutation, la formation d’œnologue nécessiterait d’être remise à jour pour répondre aux besoins de l’industrie vinicole…Une commission essaye de s’y appliquer mais avec un pas de sénateur… L’œnologue ne doit pas se laisser enfermer dans son diplôme car le vrai « métier » c’est l’expertise et pas seulement en dégustation… l’expertise la vraie c’est trouver des réponses à une problématique générale, comment maintenir la croissance durable de la consommation des produits issus du raisin, dans le Monde.
Le coté passionnant du métier c’est de comprendre la demande des clients de la traduire en raisins et en process de vinification ou en assemblage de cuvées pour mettre en place un « sourcing » adapté aux gouts et aux budgets des consommateurs. Cette capacité demande de plus en plus une réelle sensibilité créatrice, une vision qui permet d’assurer le succès commercial de grandes entreprises … la compétence technico commerciale est le cœur du métier de « sourceur ».
Le métier de l’œnologue de demain sera de concevoir des produits adaptés aux besoins des marchés en partant des raisins et de participer à la mise en place de filières durables.
C’est cette expertise en « sourcing » moderne et innovant que je trouve passionnante et que je vente aux jeunes pousses… tout comme le chef fait ses courses, l’œnologue choisit ses raisins et les « cuisines » selon les gouts et les moyens des consommateurs.
Pour moi le vin est divers, c’est ce qui fait son universalité et ce qui fait naitre la passion.
Question N°2 : « Monsieur Seignelet, qui avait assis Bertrand face à lui, donnait à mi voix des leçons d’œnologie, récitait des châteaux, des climats, des millésimes, émettait des jugements, prononçait du vocabulaire : puis il voulut enseigner à son fils aîné le rite grave de la dégustation. » Tony Duvert « L’île Atlantique » éditions de Minuit 2005. Dans le fameux manga « Les Gouttes de Dieu » « Le héros est présenté comme œnologue alors que manifestement c’est plutôt un œnophile doué et cultivé.
Quel est votre sentiment sur ce glissement sémantique Bruno Kessler?
Réponse de Bruno Kessler : Bon je l’avoue ça m’agace toujours … Je le confesse c’est un problème d’égo sans doute … Mais c’est grâce à cette confusion entre le métier de la dégustation et celui de l’expertise de l’œnologue définit ci-dessus que l’on est sorti du cliché blouse blanche et laboratoire… Ainsi j’ai le plaisir d’avoir des nouvelles de mes amis le samedi pour savoir quelle divine bouteille leur procurera du plaisir avec tel met préparé avec passion.
Par contre je regrette que l’expertise technico « dégustative » ne soit pas plus souvent utilisée par nos grands clients … Un vin peut être bon mais encore faudrait il s’assurer qu’il le restera dans le temps … la nécessaire connaissance intime du vin s’imposerait alors compte tenu des enjeux financiers… confier les choix à une simple dégustation aussi précise et détaillée soit elle ne suffit pas pour apporter les garanties de l’expertise d’un œnologue… Aux œnologues de trouver les moyens de se « stariser » un peu plus !!!
Les anglo-saxons ont mis en place des concours valorisants les compétences de leurs winemakers … à quand le concours du meilleur œnologue de l’année…
Question N°3 : Moi qui ne suis qu’un pur amateur aussi bien pour le vin, que pour la musique ou la peinture je place ma confiance non dans les critiques mais plutôt dans ma perception au travers de l’œuvre du génie du compositeur ou du peintre. Pour le vin l’affaire est plus complexe entre l’origine, le terroir, le vigneron, le vinificateur, le concepteur du vin, l’exécution est à plusieurs mains. La mise en avant de l’œnologue, une certaine starification, correspondant par ailleurs avec l’esprit du temps, à une forme de marketing du vin, ne risque-t-elle pas de nous priver d’une forme de référence objective, celle de l’homme de l’art, nous aidant à mieux comprendre l’esprit d’un vin ?
Réponse de Bruno Kessler : Le gout du vin est bien plus subjectif que celui de l’art. Le gout est par essence subjectif. La perception du vin à travers une image starisée ou pas contribue à cette subjectivité qui sublime nos sensations et nous apporte plus de plaisir …
La valorisation de certains vins ET de leurs clients est de plus en plus liée à des critères marketés…
On peut le regretter mais c’est aussi ce qui attire tant et a permis la révolution de la consommation que nous vivons. Le vin produit de luxe starisé c’est quand même un phénomène récent. Je comprends que cela fascine ou énerve, en tout cas c’est grâce au développement des «F1 du vin » que la qualité moyenne des vins ne cesse de monter avec tous les bénéfices que peuvent en tirer tous les consommateurs et les producteurs…
Le plaisir du vin doit certes être instinctif et amené à la portée de tous … Mon frère Mathieu qui est un esthète Nietzschéen s’investit depuis des années pour que « l’art » soit à la portée de tous, je crois aussi à la démocratisation du plaisir bachique…Mais ce plaisir est aussi lié au rêve et, les vins starisés en sont les ambassadeurs…
Et puis c’est aussi pourquoi j’adore les dégustations à l’aveugle… il faut demeurer humble et simple devant les bouteilles…