De bon matin, plein de bonnes résolutions de rentrée, pas la scolaire, non celle de Vin&Cie l'espace de liberté ma petite entreprise de presse au long cours, j'ai décidé de vous proposer pour la semaine qui s'ouvre un fil rouge pour mes chroniques, un fil rouge répondant au doux nom de : beaucoup de bruit pour une histoire de pompes... J'entends déjà dans les campagnes, entre les rangs de vigne, monter la rumeur : " c'est grave docteur, voilà maintenant que ce pauvre Berthomeau ce met à nous raconter des histoires de godasses. L'a pas d'autres choses à faire ce garçon..." Méfiez-vous, comme le disait la SNCF d'avant : attention un train peut en cacher un autre...
" Quand j'étais petit(nous parlons de la fin des années 60) il y avait le jour où l'on allait acheter les chaussures de sport(...) En ce temps-là, quand il fallait acheter des chaussures de sport, le choix était pratiquement limité à : Superga beige et Superga bleues. Enfin : dans ma famille c'était comme ça. En réalité, d'autres possibilités, il y en avaient, du moins en théorie. Les plus chicos et/ou riches achetaient les mythiques Adidas, trois bandes sur le côté, semelle profilée, renfort devant et derrière. Il y en avait de quatre sortes : je me souviens que j'étais dingue d'un modèle qui s'appelait Rom. Adidas Rom. Ou bien Room ? Je ne sais plus. En tout cas j'en étais dingue. Plus élitistes encore, les Puma : très peu en avaient, et elles étaient regardées avec un grand respect mais aussi avec une pointe de méfiance (elles étaient considérées comme les rivales des Adidas, ce qui ne témoignait pas en leur faveur). Et pour finir, les All Star, mais elles étaient vraiment rarissimes : ce qui nous plaisait c'est qu'il y en avait aussi des rouges, mais en gros elles étaient vues comme des chaussures de blaireau, elles étaient très difficiles à trouver, les seuls pratiquement qui en avaient c'étaient ceux qui jouaient au basket. En dessous de cet Olympe on trouvait les nulles. C'étaient des chaussures avec des noms spirituels genre Tall Star, Luma, Addas. Elles tentaient le coup. Sans aucune pudeur, elles affichaient les bandes mythiques sur le côté : sauf qu'il y en avait quatre, ou deux. Elles ne coûtaient pas cher, et elles se vendaient au marché (...) Il faut rappeler aussi que les chaussures de sport se mettaient quand on allait faire de la gymnastique, et pas à d'autres occasions (pourquoi les abîmer ?).
Je me rappelle que puisque tout le monde avait des Superga, et que dans la salle de gym on était tous là avec les mêmes chaussures comme si on était des Chinois, à part deux ou trois privilégiés avec des Adidas ou des Puma, mais il y en avait peu, les autres c'était tous les mêmes - bref, je me rappelle que certains d'entre nous, les plus originaux, un peu rebelles, ceux qui étaient les plus éveillés, n'arrivaient pas à accepter ça, qu'on soit tous pareils, et alors, pour essayer d'être différents, pour vaincre la monoculture de la chaussure, ils décidaient de se rebeller, et ce qu'ils faisaient, justement, c'était : dessiner quelque chose au stylo-bille sur leurs Superga. Ou peut-être une inscription. Ou des petits coeurs, des fleurs, des choses de ce genre. Dans ce monde-là, pour inventer tes propres chaussures, tout ce que tu pouvais faire c'était dessiner dessus au stylo bille.
Bon. Et maintenant un grand saut dans la machine du temps. Imaginez que vous avez un fils d'une douzaine d'années et que vous l'emmenez acheter des chaussures de sport. Janvier 2002. "
Cet extrait est tiré d'un petit livre sur la globalisation et le monde à venir d'Alessandro Barrico " Next " chez Albin Michel et comme vous vous en doutez il se place comme le nez de Cyrano au milieu de la figure de nos chers promoteurs de la campagne Vinplissime : les dragueurs des " jeunes urbains désinvestis " A demain pour la suite de cette plongée dans l'étrange univers de la consommation dans lequel notre antique nectar culturel est balloté tel une bouteille à la mer...