La nouvelle est tombée sur les télescripteurs relayée par la Confpé, j'en suis encore tout boulversifié : suite à une étude "ethnographique" (sic) sur un échantillon de 100 consommateurs de vin de moins de 35 ans commandé par les as du marketing de la société Castel, eux-même saisis de stupéfaction, le constat est sans appel : les jeunes plébiscitent la tradition. Foin des étiquettes pleines de paillettes, vive le tire-bouchon, le vin reste un produit de vieux cons, pardon c'est le vin bouché de pépé ou le nectar du pater, même les nénettes estiment que c'est un truc de mecs, donc faut rester dans le sélect. Je chambre certes, mais un petit détail : ce petit échantillon est composé exclusivement de buveurs de vin, alors est-il si étonnant que, par un effet mirroir, ils soient le reflet du discours dominant : le vin est un produit avant tout culturel, artisanal, synonyme d'art de vivre à la française, et bien sûr c'est un élément de notre patrimoine - une sorte de chef d'oeuvre en péril quoi ! Plaisanterie mise à part, je ne vois rien de très décoiffant dans cette étude. Nos jeunes buveurs de vin sont formatés, pourquoi diable réclameraient-ils autre chose que ce qu'on leur présente comme le nec plus ultra. Pour être original il faut être en mesure de transgresser les codes, et comme les codes du vin sont complexes les candidats ne se bousculent pas pour ruer dans les brancards. D'ailleurs, dans le jargonage propre à ce genre d'étude, le vin y est décrit comme une boisson sociale et impliquante, qui expose au jugement et à la critique. Pour acheter du vin et le boire faut faire parti des initiés. Tiens donc !
Alors que cherche-t-on puisque la plus grande part de l'offre française de vin colle parfaitement à cette demande ? La bouteille de 75 cl, bouchée liège avec étiquette classique est la reine du marché. Et pendant ce temps-là la consommation de vin, surtout dans cette tranche d'âge pique du nez, c'est donc que la stratégie de mise en marché du produit est la bonne. Je charrie encore, mais tout de même dans cette affaire j'ai le sentiment qu'on parle beaucoup du contenant et peu du contenu. Et le vin dans tout ça ! Ce n'est pas parce qu'on l'autoproclame artisanal qu'il correspond aux attentes de ceux qui en consomment ou qu'il soit en mesure de séduire de nouveaux consommateurs. La bombe est lâchée : mais ils sont où ces jeunes qui n'en boivent pas ? Ailleurs ! Hors jeu... Pour eux le vin n'est pas de leur temps. Et les gens du vin continuent à faire en sorte qu'il ne le soit pas. Pour autant, je ne suis pas de ceux qui pensent qu'on puisse transformer une équipe de bras cassés en équipe qui gagne en se contentant de changer les maillots ou en la dotant des dernières godasses top d'Adidas. Le packaging n'a jamais transformé un produit médiocre ou indigent en nectar. Pour reprendre mon image sportive : une grande équipe, ça se battit sur du solide. En football l'exemple de l'OL, de son président JM Aulas en sont l'illustration. En contre-point, la faillite du FC Nantes montre qu'on peut détruire une réussite de plus 50 ans en quelques années. Au vin quotidien de nos parents nous n'avons pas trouvé de produit de substitution. Nous nous contentons de présenter à ceux qui n'ont pas le portefeuille épais, et les moins de 35 ans y sont bien représentés, de pâles copies de notre beau patrimoine.
Alors que faire pour replacer le vin dans l'air du temps ? Tout d'abord cesser d'opposer tradition et modernité, artisanat et industrie, vin de propriété et vin de négoce, pour nous concentrer sur la ressource. Tant que nous produirons des vins inadaptés, en dehors des faiseurs de miracles, nous n'aurons guère d'atouts à mettre en avant pour proposer des vins qui collent à la demande. L'absence de rigueur en amont est notre tendon d'Achille. Tous les petits génies du marketing peuvent bien se décarcasser, le liquide reste la base indispensable à la réusssite du produit. Ensuite, arrêtons de parler des jeunes, des femmes, qui ne sont pas des catégories sociales et dont les comportements ne sont pas liés qu'à leur âge ou qu'à leur sexe. Mettons un bémol sur nos vieilles rengaines qui n'intéressent que nous. Cessons de réinventer l'eau chaude et observons ce que font, soit des boissons concurrentes ou d'autres produits consommés à table ou dans des moments ludiques de consommation. Enfin, utilisons comme les entreprises d'autres secteurs, des outils d'analyse des grandes tendances de nos sociétés issus d'études sérieuses, menées avec une méthodologie rigoureuse, pour mieux comprendre nos consommateurs.
NB. N'ayant pas eu accès à l'étude, je me contente de réagir à la dépêche d'Agra Presse du 17 février. En France le but essentiel du jeu de nos metteurs en marché consiste à piquer des parts de marché à leurs concurrents français : c'est un jeu à somme négative pour l'ensemble du marché...