Au lendemain de mai 68, la Fac de Droit de Nantes, après avoir coupé le cordon ombilical avec celle de Rennes et s'être délestée de ses mandarins, tournait la page en accueillant un jeune universitaire dont elle allait faire son doyen : Yves Prats. L'homme avait une allure austère illuminé par un regard rieur. Précis, exigeant, ouvert au monde sans les concessions de son prédécesseur, d'une intelligence fine et subtile, il ne pouvait que séduire le petit chose que j'étais. Lorsque je suis allé le solliciter pour qu'il soit mon directeur de thèse, Yves Prats me réserva un accueil bienveillant. Avec le sujet que je lui proposais : les interventions de l'Etat dans la filière Porc, je m'attendais de sa part à un soupçon d'ironie. Pas très accadémique, très branché sur le réel, loin de ses préoccupations de grand juriste, et pourtant il me prit tout de suite au sérieux. Au cours des deux années où je me consacrai à ce travail il me reçut des samedi après-midi entiers dans le salon de sa belle maison de Nantes. Je pataugeais grave. Le formalisme de la thèse me cassait les burettes. Il me ramenait dans le droit chemin. Cette thèse, première expérience d'écriture, ressemblait à un gros bloc de pierre mal équarri. Qu'importe, elle a été ma première clé pour m'ouvrir à la vie professionnelle.
Entre Yves Prats et moi, un lien s'était créé. Je crois qu'il avait décelé en moi ce goût d'agir, de dénouer les dossiers complexes, de plonger les mains dans le cambouis. Tout le contraire du grand universitaire qu'il était. Pendant mon séjour en Algérie, lui étant alors professeur à Aix-en-Provence, à chaque fois que je revenais en France, il m'accueillait dans sa superbe demeure de la Blaque. Au tout début 1981, Yves Prats nous offrit, à Anne-Cécile et moi, pour des petites vacances, l'hospitalité. Au cours de ce séjour nous sommes allés pique-niquer à la St Victoire. Quelle splendeur ! Un temps superbe, le plaisir du poulet froid et d'un rosé de Provence arrivé au sommet dans sa fraîcheur. Nous nous sommes revus à Paris. Toujours la même attention, et un petit air de dire : si vous en êtes-là c'est un peu grâce à moi. Et c'est vrai. Merci Yves Prats de ce tuteurage ferme et souriant. Votre dignité, dans les épreuves, je le sais, est à l'image de l'homme qui m'a guidé.
La vie a toujours des raccourcis saisissants. En 1980, le directeur de l'ONIVINS, PML, énarque de son état, organisa pour un petit paquet d'entre-eux, promotion Michel de l'Hospital je crois, un séminaire sur la viticulture française, agrémenté de trois visites de vignobles. Bordeaux en était bien sûr. Comme j'étais l'homme de l'intendance c'est moi qui m'occupais de la petite troupe de futurs technocrates. Nous fûmes reçus dans les grands châteaux : Palmer, Laffite et d'autres dont je n'ai plus souvenir, et le soir l'Union des Grands Crus Classés nous recevait à Cos d'Estournel. C'est là où je connus Bruno Prats. La soirée fut somptueuse. Nos énarques un peu gris. La tradition voulant qu'un d'entre-eux fît un discours pour remercier nos hôtes, ce soir-là ce fut Jean-Louis Bourlanges - bien connu des plateaux de TV comme chantre du Bayrou du Béarn, quitté depuis - qui s'y colla. Les effets des grands nectars aidants, notre normalien fut encore plus lyrique que d'ordinaire, limite ironique. Le lendemain matin il s'enquit auprès de moi des effets de ses propos échevelés. Je le rassurai même si, dans mon fors intérieur, je pensais que notre Bourlanges multidiplomé était de l'étoffe de ces énarques qui tombent vite dans la marmite politique. Il y tomba. Le arpport coût des études sur retour sur investissement pour l'administration française se révélait très mince. Par la suite, alors que je gérais la cave du Président de l'AN, Bruno Prats contribua largement à me dégrossir en m'initiant aux charmes des grands châteaux bordelais. Comme la roue tourne, aujourd'hui c'est Jean-Guillaume Prats qui est l'un des membres fondateurs de "Sans Interdit"...