Quand je consulte les résultats des élections législatives j'ai toujours un oeil ému pour les résultats de Wallis-et-Futuna. En 1988, suite aux accords de Matignon, j'ai accompagné H.Nallet en Nouvelle-Calédonie. Avant de nous y rendre nous avons poussé jusqu'à Wallis-et-Futuna pour aller soutenir le candidat radical de gauche aux législatives : Camillo Gata qui fut élu. 33 heures d'avion : Paris-Nouméa avec UTA, puis Nouméa-Mata-Utu avec un Transaal de l'armée de l'air. Dix heures de décalage horaire, l'autre bout de la terre.
A notre arrivée dans une atmosphère d'étuve, la journée commençait. L'administrateur supérieur nous attendait en uniforme blanc impeccable sur le tarmak. Son chauffeur, un imposant Wallisien conduisait la R25 climatisée pieds nus. Pour respecter la coutume nous sommes allés rendre visite au roi d'Uvéa, le lavelua, chef de la hiérarchie coutumière, Tomasi Kulimoetoke II, et sacrifié à la cérémonie du kava, la boisson traditionnelle élaborée à partir de racines de plantes.
Nous étions assis en tailleur, face au roi entouré de toute la chefferie, sous l'auvent du palais. La préparation du dit kava, dans un récipient en bois, n'avait rien de ragoûtant. En effet, le préposé plongeait ses grands battoirs dans le récipient puis essorait les racines comme si c'était une serpillière.
A mon côté l'attachée de presse du Ministre me serrait le bras
" on ne va pas boire ça ?
" Entre les dents je lui murmurai " Si ! "
Je crus qu'elle allait tomber dans les pommes. La dégustation commença (Perrico devrait s'y coller un jour) par le Ministre. On lui tendit une coque de noix emplie d'un liquide brunâtre. Il s'acquitta avec dignité de ce geste rituel de bienvenue. Jean-François, l'homme de Rocard, me tapota sur l'épaule, " on dit que c'est un aphrodisiaque..." Quand vint mon tour j'y suis allé avec le sourire. Le breuvage était amer et la suite me prouva que ses effets étaient purement diurétiques. L'attachée de presse se fit porter pâle. La journée fut épuisante et le soir au dîner chez l'administrateur supérieur certains piquaient du nez dans leur assiette. Pas moi qui ramait pour entretenir le minimum syndical de conversation.
Wallis-et-Futuna est composée de trois îles principales : Wallis avec la préfecture Mata-Utu, Futuna et Alofi. Cet archipel de 96 km2, peuplé de plus de 14000 habitants, est situé à 16000 km de Paris. Les royaumes d'Uvéa à Wallis, d'Alo et de Sigave à Futuna ont signé à la fin du XIXem un traité de protectorat avec la France.
Les monarchies ne sont pas héréditaires mais aristocratiques : ce sont les familles nobles, les alikis, qui élisent ou destituent les rois. Le roi d'Uvéa, le lavelua, est le chef de la hiérarchie coutumière. Il est assisté d'un premier ministre, kivalu, et de 5 ministres. Il nomme sur proposition de la population 3 chefs de district, faipule, qui ont autorité sur 21 chefs de village. Ceux-ci peuvent lever les corvées d'intérêt général. Ils sont plébicités ou destitués au cours d'assemblées, fono, qui ont lieu le dimanche dans la case commune, fale fono.
A Futuna, le Tugaifo à Alo et le Tuisigave à Sigave, disposent aussi de ministres et de pouvoirs équivalents. Les rois disposent pour couvrir leurs frais d'une dotation annuelle de la République. Pour l'administration de l'archipel, qui est une collectivité d'Outre-Mer à statut particulier, il y a une assemblée territoriale élue, un administarteur supérieur ayant rang de préfet, et un député et un sénateur.
Notre meeting électoral se déroula le second soir au rythme d'une fête colorée, pleine de colliers de fleurs, de palabres coutumiers, de danses traditionnelles et d'échanges de cadeaux. Dans ces sociétés traditionnelles le vote est avant tout conditionné par ce que peut apporter le candidat comme bénéfices à la famille, au clan, au village, au royaume.
Du côté gastronomie : cochon grillée - l'île est le royaume de petits cochons noirs - patates douces, ignames, fruits exotiques mais pas de poissons - les missionnaires catholiques, afin d'éviter la fuite des Wallisiens sous d'autres cieux, coupèrent les balanciers des barques de pêche - et comme boisson j'ose l'avouer du Coca Cola. Nous fîmes ensuite un saut à Futuna et nous repartîmes à Nouméa où vivent 16 000 Wallisiens qui forment la main d'oeuvre des entrepreneurs Caldoches. Je crois avoir écrit une chronique sur le Caillou. Bref, au dernier scrutin législatif, les Wallisiens se sont offerts, à la surprise générale, un député socialiste : Albert Likuvalu. Les éléphants du PS et la gazelle devraient aller tenir leur séminaire de réflexion à Wallis, là-bas, coupé du monde, l'Esprit Saint descendrait peut-être sur eux...