Le 10 octobre 2006 je publiais une chronique : " Drôles de cabinets " sur la base d'un article publié dans la revue Pouvoirs en 1986 par un ancien collègue du cabinet Rocard mon ami l'éminent constitutionnaliste Guy Carcassonne. Il y dressait une typologie des cabinets ministériels. Avec l'arrivée d'un nouveau gouvernement j'ai pensé que je me devais d'éclairer vos lanternes en achevant mon oeuvre d'édification. Ainsi, j'égrénerai 4 chroniques sur les 4 grandes catégories de relations entre le Ministre et son cabinet :
- les copains,
- les enfants,
- les valets,
- les lieutenants.
Les copains d'abord...
Le cabinet est majoritairement composé d'amis de plus ou moins longue date, appartenant à peu près à la même génération que leur ministre. Ils l'ont suivi sur tout son parcours ou, à tout le moins, ont toujours entretenu le contact, au point qu'appelé au Gouvernement c'est tout naturellement que leur chef de file fait appel à eux et se promet de constituer une équipe dans laquelle la chaleur des relations, la connaissance mutuelle suppléeront une compétence médiocrement affirmée.
Dans les recrutements complémentaires, la capacité à s'intégrer au groupe sera un critère déterminant, " les copains des copains " étant les premiers sollicités.
Ce type de cabinet atteint le plus haut degré de convivialité. Le tutoiement est de rigueur ou le devient très vite pour les nouveaux venus, chacun s'appelle, ministre compris, par son prénom ; rencontres et repas amicaux débordent les horaires de travail.
Parce qu'ils sont attachés à leur patron, les conseillers changent avec lui, le suivent imperturbablement dans toutes ses fonctions, si peu prédisposés soient-ils à tel ministère.
Dans ce genre de fonctionnement, l'unité de commandement n'est pas toujours assurée. Le directeur de cabinet - généralement le plus proche ou le plus ancien des amis - passe moins de temps à prendre et imposer des décisions qu'à essayer d'être toujours au courant de ce que ministre et conseillers, qui n'ont pas besoin de sa médiation, ont pu évoquer ou définir ensemble.
Le modèle "copain" n'est pas forcément inefficace - et notamment l'information y circule vite - mais il produit des effets à hauts risques. L'exercice du pouvoir n'est pas totalement pris au sérieux, les idées fusent - aucune inhibition n'interdisant d'énoncer même les plus farfelues - et l'on se soucie moins de mettre en oeuvre des réformes soigneusement pensées et expertisées, de se livrer à un travail méticuleux, que de monter des "coups", dont le caractère spectaculaire et enthousiaste est présumé devoir vaincre toutes les réticences. Faire bouger devient un leimotiv et cette manie, si elle crée parfois d'heureuses surprises, provoque ainsi des catastrophes.
Les rapports avec les services dépendent étroitement du goût qu'ils peuvent avoir pour cet avatar du scoutisme. Les fonctionnaires les plus disponibles sont sensibles à ce vent virevoltant, la complicité est contagieuse et insuffle un esprit nouveau. Mais, plus fréquemment, il se heurte au dédain de grands commis qui acceptent mal qu'on traite les dossiers dont ils ont la charge avec ce qu'ils jugent être de la légèreté. Contestant la compétence du cabinet, ils s'autorisent de sa désinvolture pour le court-circuiter et, pensent-ils, sauvegarder les intérêts supérieurs de leur ministère.
Les réputations, individuelles et collectives, se faisant en outre assez vite dans le microcosme gouvernemental, les cabinets de "copains " ne jouissent pas d'une grande crédibilité dans les réunions interministérielles, où on vénère la compétence la plus austère, et en subissent un handicap notamment dans leurs relations avec les représentants du ministère des finances. "
à suivre
Remarque intéressante, ce type de cabinet constitue un bon client pour notre beau secteur dans la mesure où la convivialité s'accompagne d'agapes diverses et variées, de pots multiples pour les anniversaires, les évènements heureux. La popote est un lieu où l'on boit bien et souvent bon. Bref, les "copains" aiment le vin.