Paris le 8 août 2007
Madame la Commissaire,
Je suis déçu. En vous, femme du Nord soucieuse des consommateurs, j'avais placé des espoirs immodérés : j'espérais que votre réforme dégraisserait le mammouth viti-vinicole survivance d'un temps où le vin - le gros rouge colonial puis transalpin - se transportait par pinardiers, trains entiers pour être assemblé en plein coeur de Paris à Bercy. Notre divin nectar y était traité comme un vulgaire boisseau de blé, bref comme une commodité - commodity pour vous chère Mariann - avec ses contrats de stockage à court et long terme, sa garantie de bonne fin et sa palanquée de distillations en tout genre.
Ce fut ensuite la "guerre du vin" menée par une poignée d'irréductibles de notre Midi : Montredon, l'Ampelos à Sète, des morts et, en 1986, un comble pour des vins médecins, du méthanol assassin en provenance d'Italie...
Produire, produire, pour rien, alors nous avons, à Dublin, avec Michel Rocard, décidé de la double peine : l'arrachage et la distillation obligatoire à bacs prix pour les hauts rendements (DO). En clair, on nettoie la base, on brise la productivité, et ce fut le triomphe des VQPRD. Notre Midi releva la tête et le défi.
En 1999, en une douce euphorie, votre prédécesseur Frantz Fichsler, raffina, sembla coller à la nouvelle demande des marchés en expansion. Dans les faits, par une reconversion primée à tout và, il permit à la Mancha et au sud de l'Italie de créer de nouveaux excédents. En France, les Inaoistes se laissèrent aller, sous la houlette d'un président débonnaire et laxiste, à planter, à gonfler les rendements, à faire du vin n'importe comment, à nous amener à demander des aides pour distiller certaines de nos AOC. Je comprends parfaitement que vous disiez stop, c'en est assez et que vous nous demandirez des comptes mais, pour autant, balancer le mammouth à la mer ne me semble pas une réponse adaptée à la situation de la viticulture européenne.
Alors, me direz-vous, de quoi me plains-je ?
Cette OCM n'a jamais été à mon goût et votre réforme met un terme aux débordements, elle passe par-dessus bord, et les hectares, et les distillations, et toute une floppée de règlementations, l'heure est à la libération; à dessein, je n'ai pas écrit à la libéralisation chère madame.
Why ?
Parce que votre dessein n'a pas grand chose à voir avec la réalité et la spécificité de la vigne et du vin : plante pérenne, cycle long, produit alcoolisé non indispensable à la nutrition, stockable, produit défini par son processus d'élaboration, produit à fort contenu d'image, fortement territorialisé (...) Autant de caractéristiques qui ont induit un contenu règlementaire particulier : régime des plantations, aides à l'abandon et à la restructuration, panoplie oenologique restreinte et spécifique à l'UE, la distinction VQPRD et VDT à IG bien avant les AOP-IGP, un règlement étiquetage spécifique traité dans un niveau de Conseil des Ministres différent de l'étiquetage général, réservation des mentions valorisantes aux vins à IG... Cet ensemble, qui a fait ses preuves, et nous ne sommes pas encore à la rue, même s'il touche à ses limites méritait mieux que l'application étroite du catéchisme en vogue dans vos services.
En effet, derrière vous j'aperçois le très sérieux Jean-Luc Demarty, que j'ai pratiqué au temps des socialos-communistes post-81, le patron de la DG VI, un delorien de stricte observance, ce que notre belle administration des Finances fait de mieux en parangon de la rigueur. Lui, et ses services disciples de la vulgate de Milton Friedmann et de ses zélotes, n'ont de cesse de jeter la PAC en général, et l'OCM vin en particulier, par-dessus bord. Notez bien, chère Mariann, que je ne me situe pas dans les défenseurs forcenés de la PAC à la française, puisqu'en 1993 j'ai été de ceux qui ont poussé à son changement de nature (Dieu que mon facétieux Ministre a, en ce temps-là, déclanché de saintes colères de ce cher Jean-Luc qui conseillait, sous la houlette ferme de Pascal Lamy, notre Jacques Delors ami de ce cher Louis Mermaz).
D'accord pour dépenser moins, pour dépenser mieux, mais je doute de la capacité de vos collaborateurs de bien gérer. En effet, ce qui met en joie vos dignes fonctionnaires ce sont les leurres environnementaux (ils se tamponnent comme de leur première chemise de la viticulture durable), le découplage et son sabir Omcéien, la couleur des boîtes : verte, bleue, orange, le relifting du développement rural, l'alourdissement de la contrainte budgétaire, le modèle intégré du Nouveau Monde... Quand je pense qu'à Vinitech, un de vos porte-paroles s'est permis de faire la leçon aux négociants bordelais en les tançant sur leur incapacité à vendre du vin. Faut pas pousser le bouchon trop loin madame la Commissaire...
Alors me direz-vous - je me leurre moi aussi car cette lettre ne recevra jamais de réponse - que me reprochez-vous au juste monsieur le donneur de leçons ?
Rien madame la commissaire, si ce n'est que vous avez amusé la galerie, que vous avez réussi l'exploit de souder le front de tous les conservatismes, que vous n'avez pas su vous appuyer sur une expertise indépendante, que vous vous exonérez trop facilement de la part de responsabilité de vos services dans les dérives de gestion de l'OCM, que vous avez une vision tronquée de l'industrie européenne du vin, qu'en définitive, ce qui compte pour vous c'est de diluer le secteur dans la machine paperassière de Berlaymont avec l'illusion du deuxième pilier, que vous n'avez pas su profiter des perches tendues par certains producteurs pour responsabiliser les régions réservoir d'une ressource vin capable de relever le défi des vins du Nouveau Monde...
Vous confiez les clés de la régulation du marché aux metteurs en marché, ce qui somme toute paraît normal puisque leur fonction est d'être à l'écoute de celui-ci.
En ont-ils les moyens ?
S'en donneront-ils les moyens ?
Je ne le crois pas, leur rentablité n'a pas à se soucier des contraintes sociales et territoriales. De plus, la volatilité des goûts des consommateurs pour des produits où le nouveau vieilli vite provoquera des ajustements douloureux, des tensions brutales et débouchera sur un affrontement de type producteurs de matière première et multinationales.
Belle avancée pour le Vieux Monde que de copier une viticulture intégrée cousine germaine de l'agriculture productiviste tant décriée. Sans vous offenser, chère Mariann, une telle orientation méritait mieux qu'une pseudo-réflexion, que des colloques fumeux et de beaux discours. Dans mon beau pays, qui adore donner la leçon au monde entier, j'ai fait l'expérience, à l'instar de nos grands concurrents, de l'animation d'une réflexion stratégique. Pour du beurre, certes, mais vous où est-elle votre réflexion stratégique pour l'industrie européenne du vin ?
Nulle part, car c'est plus commode pour justifier des politiques malthusiennes. Le contrat et la responsabilité sont des gros mots pour vos fonctionnaires si tatillons lorsqu'il s'agit de leur propre paperasse. En son temps, le commissaire Lamy, négociateur à l'OMC, m'avait cuisiné toute une matinée sur le sujet vin, pour comprendre me disait-il (sous entendu ce que lui racontait la DG VI ne le convainquait pas). Ce qui me navre c'est que vous, et vos dignes fonctionnaires, semblez ne rien comprendre ou pire, que vous nous anesthésiez pour mieux faire passer votre potion amère.
L'heure est à la négociation au sein du Conseil agricole. Qu'en sortira-t-il ?
Je ne sais !
Mais, ce dont je suis certain, madame la Commissaire, c'est que les occasions perdues ne se retrouvent jamais : " Trop tard ! " comme disait Mac Arthur. Par vos méthodes vous renforcez le clan des eurosceptiques, vous alimentez les populistes de tout poils, vous ne faites rien pour rendre au politique - car vous êtes une politique chère Mariann - une aura perdue.
Le secteur du vin dans l'Union est une grande affaire qui méritait mieux que l'agitation d'un chiffon rouge : l'arrachage, la mise aux normes de la doctrine de la nouvelle PAC et des économies de bout de chandelle. L'heure n'est plus aux propositions mais, comme il n'y a que les sots qui ne changent pas d'avis, et que bien sûr, chère madame, vous avez fait la démonstration d'une intelligence vive, il est encore temps d'infléchir votre ouvrage mal fagoté. Très immodestement, et pour de rire, je me tiens à votre disposition, et à celle de ce cher Jean-Luc Demarty, pour contribuer à l'accouchement d'un compromis à la hauteur des potentialités et des ambitions de la viticulture européenne.
Dans cette attente, en vous priant d'excuser, ma liberté de ton, ma mauvaise foi manifeste et mon vocabulaire parfois outrancier, je vous prie, madame la Commissaire, d'agréer mes hommages les plus respectueux.
Jacques Berthomeau
PS : comme je suis un incorrigible je ne peux m'empêcher de vous confier que j'eusse préféré que vous vous prénommiez Bibi, Liv ou Ingrid en hommage à votre grand compatriote Ingmar qui vient de nous quitter.
Traduit en californien votre discours chère Mariann donne ça clicquez sur ce lien et lisez : www.calwineries.com/blog/greg-kendall-ball/-46k
Note en bas de page : mes propos n'engagent que moi bien sûr et toute publication de cette lettre est soumise à mon autorisation...