Dans notre petit monde et dans le vaste monde du vin qui ne connaît pas Patrick Léon, pas grand monde. Homme discret, affable, courtois, respecté pour un parcours professionnel remarquable et sa grande disponibilité, il fait parti de ces œnologues qui ont donné à cette profession ses lettres de noblesse. Œnologue et ampélographe, Patrick Léon entame se carrière en 1965, à La Chambre d’Agriculture de la Gironde où il fonde et dirige le « Centre d’Etudes et d’Informations Œnologiques ». En 1972 il entre chez « Alexis Lichine & Cie » - où il est directeur des achats vins français et directeur technique des vignobles (Château Lascombes – Château Castéra) puis Directeur Technique du Groupe et Membre de la Direction Générale jusqu’en 1985 où il rejoint « Baron Philippe de Rothschild à Pauillac : Directeur Général – Membre du Directoire – Directeur Technique des Vignobles et des Vins du Groupe : Châteaux Mouton Rothschild – d’ Armailhac - Clerc Milon – le Petit Mouton de Mouton – Aile d’Argent. La célèbre et quasi-unique marque de référence : Mouton Cadet, Opus One en Californie – Almaviva au Chili – Escudo Rojo au Chili – Domaine de Lambert et Baron’Arques dans le Languedoc. Bravo l’artiste ! Patrick Léon sait ce que veut dire surmonter les épreuves que la vie que l’on vit dresse sur notre chemin. Pour ce type le mot retraite sonne faux. Ce n’est un nouveau départ. D’abord, le Domaine Familial à Fronsac : Château Les Trois Croix, ensuite « Léon Consulting » conseiller technique viticole, vinification, stratégie générale, dans différents Vignobles, Domaines, Châteaux, Wineries dans le Monde Viti Vinicole : le Languedoc-Roussillon (Vignobles de Lorgeril), la Provence (Château d’ Esclans), le Chili, l’Espagne, Israël, la Russie, la Suisse… Et même qu’il a trouvé le temps de répondre, avec son cœur, à mes 3 mêmes questions. Merci beaucoup Patrick Léon.
Question N°1 : Supposons que je sois un jeune bachelier passionné par le vin. Je cherche ma voie Sur le site du CIDJ je lis « L’œnologue, grâce à ses connaissances scientifiques et techniques, accompagne et supervise l’élaboration des vins et des produits dérivés du raisin. Sa principale activité concerne la vinification. Il conseille les viticulteurs dans le choix des cépages et la plantation des vignes. Il surveille les fermentations en cave, le traitement des vins et leur conditionnement. Il effectue des analyses et procède à des recherches technologiques visant à l’amélioration des cépages. L’œnologue peut également être chargé de la distillation ou fabrication des alcools à partir des marcs de raisins. Enfin, connaisseur et expert en dégustation, il participe à la commercialisation des vins en France et à l’étranger. En raison de la concurrence rencontrée désormais par la production française de vin sur le marché mondial, l’œnologue remplit une fonction stratégique pour le maintien ou l’amélioration de la qualité des produits de la viticulture française. »
Présenteriez-vous ainsi votre métier à une jeune pousse Patrick Léon ?
Réponse de Patrick Léon : J’adore pouvoir consacrer du temps à des « jeunes pousses » pour les aider à affirmer leur passion sur la vigne et le vin. Probablement des envies de pédagogie mal assumées.
Comme pour s’excuser aujourd’hui, de ne pas avoir pris le temps de prendre assez de temps, hier.
Les chemins de la passion des jeunes peuvent croiser le « bac » sur leur route, … mais plutôt un bac agricole avec options « viticulture-œnologie ». Cependant je ne suis pas certain que déjà il imagine toutes les facettes des métiers de l’œnologue.
« Œnologue », c’est un diplôme universitaire qui permet d’exercer beaucoup de fonctions différentes autour des métiers viti-vinicoles.
On pense en premier lieu à la vinification : tous ces mystères qui entourent les fermentations et dont les scientifiques recherchent toujours à mieux comprendre les fonctionnements. Mais aujourd’hui, tout bon œnologue ne peut se contenter du merveilleux précepte prémonitoire de notre Maitre Emile Peynaud : « donner moi d’excellents raisins et je vous ferais d’excellents vins ».
L’œnologue doit s’intéresser non seulement aux raisins, mais à la vigne. Il doit comprendre comment pousse la vigne harmonieusement, et comment arrive-t-elle à mieux produire ces équilibres de goûts déjà dans les baies.
L’œnologue déguste, apprécie, juge des qualités des raisins, des moûts et des vins. Des vins « en naissance », des « vins en élevage », des « vins en maturation », des « vins en pleine expression », et des « vins vieillissants ». Ces jugements techniques cherchent à anticiper sur l’évolution et le devenir afin de prendre les meilleures décisions d’actes œnologiques aux meilleurs moments.
L’art de « L’Assemblage » est à lui seul un véritable métier dont seules les expériences répétées et mémorisées prévalent sur les études : l’apprentissage me parait une étape obligatoire qu’il faudrait remettre en pratique. C’est une grande école de modestie et d’humilité.
De nos jours, on voit de plus en plus d’œnologues concernés par les « marchés » : le marketing, la distribution, la promotion…. ces mots font peur à certains…
Mais, quelle chance pour notre métier ! : de prescripteurs anonymes d’ordonnances œnologiques, nous pouvons devenir créateurs reconnus… Quel progrès.
Mais attention à ne pas vendre son âme aux marchés et de rester fidèle à ses origines, sans négliger les attentes des consommateurs. Tous les vins ne peuvent être des trésors réservés à des collectionneurs.
Il faut des vins adaptés aux différentes circonstances et pratiques de consommation : l’œnologue doit savoir les concevoir et les imaginer dans sa tête, avant de les réaliser dans ses cuves et verres. Il doit pouvoir en parler ensuite aux prescripteurs, aux journalistes, aux acheteurs, aux consommateurs.
Les plus anciens et meilleurs vignerons l’avaient bien compris avec leur bonhomie paysanne et leur faconde vineuse en se souciant toujours de savoir si : « il n’est pas bon mon vin ? » !!! C’était une forme de marketing de l’époque, en se souciant des réactions de l’acheteur. De nos jours, tout va plus vite, donc on veut anticiper sur la satisfaction des plaisirs.
Eh ! Oui, le vin n’est pas fait pour être bu, mais pour procurer du plaisir, ou des plaisirs, et chacun sait que son voisin n’a pas forcément les mêmes que soit…alors il faut aller au devant de son voisin pour savoir ce qu’il apprécie, et si on peut lui procurer ce plaisir.
Vous avez bien compris que l’œnologue dans ces conditions, devrait avoir une fonction plus stratégique et pouvoir influer davantage sur les profils des vins à élaborer, à condition qu’il sache à la fois respecter les caractéristiques originelles des raisins, sans méconnaitre les gouts des consommateurs.
Dans la compétition internationale qui ne peut qu’augmenter, l’œnologue devra faire ses preuves d’adaptation à ces évolutions, de les comprendre, et si possible de participer à leur anticipation. De part son passé culturel et historique viti-vinicole, l’œnologue de France doit savoir continuer de rester la référence, en toute modestie et ouverture d’esprit.
Question N°2 : « Monsieur Seignelet, qui avait assis Bertrand face à lui, donnait à mi voix des leçons d’œnologie, récitait des châteaux, des climats, des millésimes, émettait des jugements, prononçait du vocabulaire : puis il voulut enseigner à son fils aîné le rite grave de la dégustation. » Tony Duvert « L’île Atlantique » éditions de Minuit 2005. Dans le fameux manga « Les Gouttes de Dieu » « Le héros est présenté comme œnologue alors que manifestement c’est plutôt un œnophile doué et cultivé.
Quel est votre sentiment sur ce glissement sémantique Patrick Léon?
Réponse de Patrick Léon : Œnologue – Œnophile : aucune opposition. Aucune compétition entre les deux. C’est comme œnologue et sommelier : il n’y a que complémentarité.
L’œnologue a une approche plus scientifique et technique, avec un vocabulaire adapté. Il utilise ses connaissances théoriques et pratiques. Il concourt à transformer les raisins en vin, à élever le vin et à le faire apprécier.
L’œnophile a un comportement d’esthète, de passionné, d’érudit plus livresque, laissant aller ses émotions, ses joies, …. Ses déceptions éventuelles…C’est un hédoniste qui souhaite faire partager sa passion et aime parler de ses découvertes. Sa cave est une de ses destinations de voyage préférée… en plus des vignobles, des chais et de leurs vignerons.
Mais pourquoi donc n’y aurait-il pas des œnologues qui se découvrent aussi des vocations d’œnophile, avec une cave éclectique, qui lui fasse voyager dans l’espace, … dans le temps.
Et l’œnophile peut avoir envie aussi de faire du vin lui-même, et pourquoi ne pas aller ou revenir sur les bancs de la faculté pour devenir œnologue.
Il n’est pas indispensable d’être œnologue pour faire des bons vins, mais l’œnophile, se recommandant de l’œnologie ne doit pas usurper un diplôme qu’il n’aurait pas obtenu.
Ce glissement sémantique n’est pas un tsunami… et les savoirs des uns peuvent retrouver les passions des autres.
Question N°3 : Moi qui ne suis qu’un pur amateur aussi bien pour le vin, que pour la musique ou la peinture je place ma confiance non dans les critiques mais plutôt dans ma perception au travers de l’œuvre du génie du compositeur ou du peintre. Pour le vin l’affaire est plus complexe entre l’origine, le terroir, le vigneron, le vinificateur, le concepteur du vin, l’exécution est à plusieurs mains. La mise en avant de l’œnologue, une certaine starification, correspondant par ailleurs avec l’esprit du temps, à une forme de marketing du vin, ne risque-t-elle pas de nous priver d’une forme de référence objective, celle de l’homme de l’art, nous aidant à mieux comprendre l’esprit d’un vin ?
Réponse de Patrick Léon : « Amateur » : attention à ce qualificatif qui peut cacher le professionnalisme du véritable amateur chevronné. Dans les vins et pour les vins, la passion est exigeante. Elle vous le rend bien,… c’est comme un cep de vigne : si vous le taillez bien, il vous procure de meilleures grappes.
Alors les comparaisons entre vins, peintures, musiques, …. fussent-elles classiques, sont néanmoins évidentes. La connaissance ne nuit pas à l’émotion devant un tableau. Mais elle n’est pas indispensable à mes yeux. Le tableau est peint pour émouvoir.
Les émotions sont aussi multiples et étranges parfois que les individus, que les personnalités. Ah ! Oui, on parle bien de personnalité à propos des vins qui vous transmettent des sensations qui ne sont pas perceptibles de la même manière par votre voisin de table, ou de palier.
Et pourtant, ils peuvent avoir tous raison.
Il n’y a pas de certitudes… sauf quand le vin est réellement mauvais ou avec un gros défaut. Sans certitudes, le meilleur moyen de faire le moins d’erreurs possibles est d’être fidèle à soi même, et…..
… de se faire plaisir, avec modération, mais régulièrement, c’est le meilleur moyen d’apprendre : le fameux apprentissage.
« L’œnologue Star » : mais parfaitement et pourquoi pas ? Je ne suis ni envieux, ni jaloux.
Tous les chanteurs ne sont pas des stars, et tous les chefs d’orchestre non plus. Est-ce la star la plus connue qui chante le mieux ? Cela dépend de votre appréciation auditive, visuelle…. gustative.
La starisation est incontournable de nos jours.
On peut la critiquer, ou la susciter, mais elle est là. Dans nos vies au quotidien. A la Télé, dans les journaux. Alors pourquoi pas à propos du vin et des œnologues ? Je trouve que c’est plutôt bien.
Qui disait cet adage « parlez en bien, ou parlez en mal, mais parlez de moi, et les gens s’en souviendront… » : Un de mes « Pères Spirituels » vinicoles me l’a souvent dit : Alexis Lichine qui m’a initié aux marchés.
Je n’irai pas jusque là et préfère que l’on parle plutôt en bien de mes amis œnologues. Mais en principe on ne parle jamais très longtemps des plus mauvais…. Plus que la starisation, c’est son exploitation qui peut paraître parfois déroutante.
L’important est de sentir bien dans ce que l’on fait, avec plénitude et bonheur sincère, comme quand on ouvre, décante, déguste et apprécie une bonne bouteille.
Alors, « Jeune Pousse » si tu lis ces quelques lignes, tu viens me voir pour parler de ton futur métier d’œnologue, et de ta passion d’œnophile.