Dans le langage populaire l’expression « beurré comme un petit LU » dit bien ce qu’elle veut dire. Si je la cite c’est pour faire le lien avec ma chronique de ce matin. Les plus vaillants de mes lecteurs, ceux qui me suivent dans mes écrits dominicaux, savent tout de la saga d’un pâtissier lorrain, Jean-René Lefèvre qui s’installait au 5 rue Boileau à Nantes en 1846, et qui 4 années plus tard épousait Pauline-Isabelle Utile. À « La Fabrique de biscuits de Reims et de bonbons secs » un personnel bien mis servait avec des pincettes aux bourgeoises nantaises, ou le plus souvent à leurs bonnes, les macarons, les langues de chat, les massepains, les boudoirs, les petits fours aux amandes, et bien sûr les biscuits de Reims. Le Petit LU n’était pas encore né, il sera le fruit de l’amour du goût de ce couple alliant sens du commerce et inventivité. Puis viendra la grande fabrique du quai Baco, là où sera industrialisée la fabrication de son fameux « Petit Beurre » qui enchanta des générations de croqueurs de Petit LU.
« Pour susciter la gourmandise, rien de tel que de séduire l’œil » déclarait Louis Lefèvre-Utile. Dans son délicieux ouvrage LU la Madeleine de Nantes, Hélène Dufau, écrit « Combien de générations de Nantais ont-elles grandi, bercées par l’odeur savoureuse et rassurante du biscuit chaud ? Chacun voyant son appétit stimulé par les effluves à un moment pas toujours opportun : les enfants dire leur faim dès la sortie de table, les adultes se pressent de prendre le temps de déjeuner, l’estomac dans les talons dès le milieu de la matinée. Les papilles caliciformes fongiformes stimulées par le goût de l’air à sucer, renforcé par son parfum qui se propageait de façon démesurée à travers les rues, agaçant les sens à n’en plus finir ». Je suis de ceux-là et le 25 janvier 2006 j’ai commis une chronique rageuse pour défendre l’authenticité de mon Petit LU mise à mal par les petits génies du marketing de la marque alors dans le giron de Danone. http://www.berthomeau.com/article-1688535.html . J’écrivais en introduction « Petit texte écrit le 2 juin 1994 que je dédie aux amateurs d'authentique. Comme eux j'aime les niches lorsqu'on y expose des œuvres d'art, des piétas ou des totems de Chaissac, mais je leur demande de ne pas m'imposer un art officiel et de me laisser aimer même un petit biscuit "standard" produit à des milliards d'exemplaires dans une usine des bords de Loire, aujourd'hui transformé en lieu culturel, et de ne pas faire accroire que c'est le seul chemin à emprunter.»
Et oui messieurs les pourfendeurs de tous les produits dits industriels, ce n’est pas péché mortel que de se régaler et même de rêver en croquant certains d’entre eux. Que voulez-vous la Vache qui Rit n’est certes pas un sommet de la gastronomie mais elle est, ou à été, pour des générations de moutards leur madeleine de Proust. Et que dire des Carambar ! Pour autant je ne suis pas en train de tresser des lauriers à l’agro-industrie qui depuis les dernières décennies s’est ingéniée à mettre entre les mains de nos bambins des « horreurs ». Bien au contraire, et pour ce faire j’en reviens à ce merveilleux petit gâteau sec, toujours le même, homothétique, produit en des milliards d’exemplaires, qui ne jeta pas dans la misère les artisans biscuitiers ou pâtissiers.
À chacun son métier, et à chaque moment de la vie la douceur qui va avec : le Petit LU dans les cartables et le sablé du boulanger pour le dimanche. Pas tout à fait le même prix non plus. Le succès du Petit LU « industriel » reposât tout d’abord sur la qualité du produit lui-même, irréprochable, issu de matières premières locales de première fraîcheur : du beurre, des œufs, de la farine, certes soumis à un process industriel mais respectées. Ensuite il y eut la réclame pour populariser le produit, des commerciaux pour le placer chez les épiciers, les boulangers puis les magasins à succursales... Que par la suite, devenue une grande marque ombrelle, rachetée par Danone puis vendue, notre Petit LU se soit transformé en un joujou pour nos petits génies du marketing je n’en disconviens pas mais, à l’origine, l’industrialisation d’un process artisanal n’implique pas forcément la fin du produit originel.
Pour résumer mon propos, et pour que l’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas écrit, dans l’univers alimentaire la cohabitation entre des marques de produits de grande consommation et des produits artisanaux est la règle. Tous ceux qui ont prédit, et qui prédisent encore, la fin des bons produits sous la pression du rouleau compresseur de la standardisation se trompent, les faits démentent cet alarmisme. Le problème ne se situe pas dans une opposition entre des produits de marque et des produits artisanaux, mais dans leur capacité à tenir les promesses qu’ils mettent en avant pour convaincre et fidéliser les consommateurs. Les grandes marques tiendront leur rang si elles n’oublient pas les « valeurs » qui ont fait leur succès et les ont pérennisées. Les produits artisanaux n’ont pas à singer les marques en s’aventurant sur leur terrain de prédilection mais simplement à s’en tenir à un lien réel avec le fameux terroir. Le vin gravite dans le même univers que ses cousins de l’alimentaire et il reste à ceux qui le font et à ceux qui le vendent de choisir le terrain sur lequel ils veulent aller. Il ne s’agit pas d’un choix idéologique mais tout bêtement d'affronter le monde tel qu'il est.