À ma connaissance, Jérôme Despey fut le 1ier Président National des Jeunes Agriculteurs en juin 2002 qui fut viticulteur. Il succédait à un producteur de lait normand, Jean-Luc Duval qui était aussi l’un de mes électeurs puisqu’il produisait aussi du Calvados dans l’Orne (Calvados de Domfront Lemorton). L’avantage avec les présidents des JA c’est, pour parler djeune, qu’ils ne font pas d’incruste : à 35 ans il leur faut laisser la place. Vu mon grand âge j’en ai connu beaucoup et même que lorsque j’étais aux manettes du cabinet, lors de la 1ière grande réforme de la PAC, mon président des jeunes était Christian Jacob, actuel maire de Provins et sénateur de la Seine-et-Marne, qui fut Ministre de 2002 à 2005, mais pas de l’Agriculture. Pour l’anecdote le directeur du CNJA de l’époque se dénommait Lejeune.
Revenons à Jérôme Despey qui en 1986 s’est installé comme agriculteur à Saint Geniès des Mourgues dans l’Hérault en reprise familiale sur une exploitation de 30 ha dont 20 ha en vignes et 10 ha en blé dur. Pour la part viticole elle produit pour un tiers du vin de table, un autre tiers du vin de pays d’Oc et pour le dernier tiers des Coteaux-du-Languedoc. Tout le raisin est livré à la cave coopérative « les Coteaux de St Geniès des Mourgues ». Notre toujours jeune homme, il n’a que 40 ans, si je puis m’exprimer ainsi, est très vite tombé dans la marmite syndicale. Il en a gravi tous les échelons et depuis avril 2008 il est président de la Commission Viticole et Vice-président de la FNSEA. Ce matin il est mon invité au double titre de Président du Conseil Spécialisé Vin de France Agrimer (autrefois ONIVINS puis VINIFLHOR) et de missionné par Bruno La Maire Ministre de l’Alimentation, de la Pêche et de l’Agriculture.
Je l’en remercie et mes remerciements ne sont pas de pure convenance car, comme vous allez pouvoir le constater, ses réponses évitent l’écueil de la langue de bois. Comme vous le savez j’ai parfois l’ironie facile à l’égard des dirigeants professionnels mais, une fois n’est pas coutume, permettez-moi de profiter de l’occasion qui m’est donné en accueillant Jérôme Despey pour affirmer que le dépérissement ou l’affaiblissement des corps intermédiaires n’est pas une bonne chose dans nos sociétés complexes où les centres de décisions sont beaucoup plus difficiles à atteindre, à comprendre, à influencer : grandes entreprises de l’industrie ou de la Distribution, la Commission de l’UE, l’OMC, les ONG de l’environnement...etc. L’émiettement, les querelles de clochers, le néo-féodalisme des grandes régions viticoles, la vision étriquée de certains négociants, sont des handicaps bien plus lourds vis-à-vis de nos concurrents que ceux évoqués par de pures comparaisons économiques. L’investissement dans l’intelligence sous toutes ses formes, y compris celle du cœur, reste pour moi le meilleur bras de levier de notre beau secteur pour retrouver ses marques dans la nouvelle donne mondiale. À la belle formule d’Henri Bergson « J’ai toujours voulu que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver mais ce que nous allons faire. » j’ajouterais ensemble.
1ière Question : Bruno Le Maire, lors de votre rencontre du 18 novembre dernier, a d’une certaine manière « tapé sur la table » en appelant au regroupement des Interprofessions et à une mise en commun des moyens. Il vous a confié une mission de fédérateur avec remise de copie d’ici 2 mois. Où en êtes-vous ? Quelle est votre méthode pour fédérer dans les grands bassins de production les 26 Interprofessions ? Quel accueil recevez-vous ?
Réponse de Jérôme Despey : Effectivement. Dans la perspective de la discussion au Parlement du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche dans le 1er trimestre 2010, le ministre de l’agriculture a souhaité approfondir sa réflexion sur la gouvernance de la filière notamment en ce qui concerne les interprofessions se rapportant aux vins avec indications géographiques. Il m’a proposé de mener une mission sur ce point et de piloter un groupe de travail national. Ma mission sera de proposer à l’échelle des bassins des regroupements ou des évolutions interprofessionnelles en cohérence avec les enjeux territoriaux et économiques de ces bassins et une rationalisation et une amélioration de l’efficacité des financements alloués à la promotion, à la recherche et au développement.
En parallèle à cette mission, le ministre de l’agriculture a demandé aux différents préfets de bassin de réunir les conseils de bassin pour que ceux-ci remettent à la fin du mois de janvier des propositions concernant l’évolution interprofessionnelle au sein du bassin concerné.
Et c’est donc bien évidemment sur ce travail dans les bassins, sur les conclusions et les synthèses qui émaneront des acteurs régionaux que je m’appuierai.
J’ai bien conscience que cette mission est importante pour notre filière mais qu’elle revêt aussi un caractère « délicat » : évoquer des sujets tels que fédérer des bassins de productions, regrouper ou réduire le nombre d’interprofessions et de mettre en commun des moyens financiers de promotion, de recherche et de développement a toujours été sensible dans la filière viticole. A ce stade des réflexions, je reçois un bon accueil et je souhaite rester optimiste. Je crois que la profession peut se donner une chance de faire évoluer les structures de gouvernance. Elle a, de mon avis, une vraie opportunité.
2ième Question : Dans votre belle région de Sud de France la hache de guerre vient d’être enterrée puisque les Vins de Pays d’Oc et la Confédération Nationale des Vins de Pays fument le calumet de la paix. La déclaration des 2 chefs sent le Cap 2010 et me semble aller dans le bon sens : « Dans les deux ou trois ans qui viennent, les curseurs vont bouger » : si certains vins de pays de petite zone décideront peut-être de passer en AOP, à l’inverse, les grandes AOP risquent d’éprouver du mal à prouver leur lien au terroir et pourront opter pour le passage en IGP. Et au niveau de l’économie des exploitations, les IGP progressant à la fois en France et à l’export, nombreux risquent d’être les viticulteurs qui préféreront produire des IGP de cépage sur des terres pourtant classées en AOP. » L’Interprofession unique est donc au bout d’un long chemin Jérôme Despey ? Reste que le partenariat entre metteurs en marché et production balbutie, comment pensez-vous donner un nouvel élan à ce lien indispensable entre une ressource mieux identifiée et ceux qui vendent le vin ?
Réponse de Jérôme Despey : Je souhaite bien évidemment, et ce depuis très longtemps, que la « hache de guerre » puisse être enterrée entre les vins de pays d’Oc et la Confédération Nationale des Vins de pays, comme je souhaite que toutes « les haches de guerre » puissent être enterrées et ce, partout, tant sur le plan national ou dans toutes les régions viticoles où subsistent des conflits. Je rends hommage à ces femmes et à ces hommes qui par leurs volontés communes, faisant fi des querelles parfois historiques, ont su se rapprocher et construire un futur ensemble. Tout n’est bien évidemment pas réglé mais le futur est tracé et je leur fais confiance. Ils pourront compter sur mon appui sans réserve.
Car, mais nous le savons tous, l’heure n’est plus aux querelles. Nous devons, non pas reconstruire notre viticulture (parce que je pense sincèrement qu’elle n’est pas détruite) mais dessiner la viticulture française de demain, celle qui lui permettra de rester le leader incontesté, la référence absolue.
Avec cette nouvelle organisation commune du marché que nous avons tous voulu rappelons le, que nous avons tous appelé de nos vœux et qu’il nous faut assumer collectivement maintenant, toutes nos certitudes mais plus encore toute notre histoire s’en trouve bouleversée. Nous avons perdu nos repères, nos certitudes. La France viticole est donc en chantier, elle est en reconstruction. La difficulté est le manque criant de visibilité sur le moyen et le long terme et pourtant nous sommes condamnés à bouger tous les « curseurs ». Il serait trop long d’exprimer dans cette chronique tous les chantiers ouverts et à ouvrir, toutes les réflexions en cours mais il nous reste collectivement beaucoup à faire.
Vous m’interrogiez sur la contractualisation. Je crois en la contractualisation ou tout du moins au concept. Mais pour être honnête, je doute vraiment que ce concept puisse vraiment aujourd’hui et à court terme se développer dans notre filière. Si je ne dois prendre qu’une raison c’est que notre filière est gouvernée historiquement, culturellement et politiquement à très court terme : toutes les réglementations, tous les textes, toutes les décisions, tous les dispositifs, se prennent campagne après campagne, année après année (rendements, plantations…) ; nous n’avons de lisibilité économique que sur les 7 mois qui viennent ; nous gérons vendanges après vendanges et nous avons tous collectivement beaucoup de difficultés à nous projeter dans les 3 ou 5 prochaines années, à tirer des orientations économiques sur du moyen terme. De ces faits, comment pouvons-nous développer la contractualisation (à une échelle plus importante qu’elle n’est aujourd’hui) c'est-à-dire s’inscrire sur un contrat moyen terme entre deux partenaires quand nous pensons collectivement aux trois mois qui viennent et au pire à la vendange prochaine. La filière viticole n’est pas formatée dans son ensemble sur ce point ; la contractualisation reste donc pour l’instant non pas un vœu pieu (puisque là où elle se fait elle est une solution extrêmement intéressante) mais la résultante d’initiatives individuelles. Nous sommes donc condamnés à continuer à prêcher, à accompagner les réflexions et les initiatives, à en présenter les bénéfices, à promouvoir les exemples de réussite que nous connaissons dans notre secteur.
3ième Question : Nos collègues et concurrents du Nouveau Monde parlent de leur « industrie du vin », comme je suis un peu provocateur j’aime utiliser cette dénomination pour notre secteur qui est un grand secteur stratégique pour la France. Récemment, dans le cadre du CGAER, j’ai assisté à une présentation par l’ancien Ministre de l’Agriculture Jean Puech du plan de relance de la filière bois et j’ai noté qu’un fonds stratégique était créé. Le développement des vins de cépages, à des coûts compétitifs pour le marché, mais permettant aux viticulteurs de vivre, passe par la maîtrise de la ressource vin en partenariat avec les metteurs en marché. Ce couple, qui fonctionne si bien en Champagne, exige à la fois un vignoble dédié et des entreprises en capacité de générer des marques. Êtes-vous, Jérôme Despey prêt à soutenir la naissance d’un fonds stratégique vin qui mobiliserait des fonds privés (CASA, Groupama, Caisse des Dépôts...) et professionnels, pour accompagner la reconquête ?
Réponse de Jérôme Despey : Je soutiendrais cette initiative comme du reste toutes les initiatives qui pourraient être prises pour aider notre filière dans son développement. Pour revenir au fonds stratégique, je pense réellement qu’il pourrait avoir un réel impact pour une partie des entreprises de notre filière ; et ce quelque soit leurs tailles (très petites, moyennes et grandes) et leur « famille d’appartenance » (coopératives, négociants ou caves particulières…). Je sais que l’idée d’un fonds stratégiques qui viendrait en soutien, en accompagnement du développement des entreprises est une idée déjà ancienne, qui vous est cher et qui peine à se réaliser.
Dans mon esprit, ce fonds ne peut, et ne doit pas accompagner seulement l’émergence de pôles « agro-alimentaires du vin » (terme que je préfère personnellement à « industrie ») mais aussi le développement d’entreprises de taille plus modeste qui ont des projets de développement réels.
De mon point de vue, il est quelque peu illusoire d’attendre un quelconque « portage » de l’Etat ou des professionnels via leurs interprofessions. Les esprits ne sont pas encore vraiment prêts. Par contre, avançons sur la piste du fonds privés, avançons avec des fonds d’investissements qui seraient enclins aujourd’hui à accompagner le développement de nos entreprises sur le plan international. En fait, avançons aujourd’hui avec ceux qui ont une réelle envie d’avancer et construisons, bâtissons ….. Attendre est un luxe aujourd’hui que la filière viticole française ne peut plus se permettre.