Comme ce matin je file vers Bordeaux direction ensuite Listrac pour honorer l'invitation du Président de l'ODG Médoc, Haut-Médoc, Listrac à causer devant son AG j'en profite pour chroniquer sur un personnage de l'autre rive : Robert Boulin.
Le bref passage, de juillet 1968 à juin 69, au 78 rue de Varenne de Robert Boulin dernier Ministre du Général de Gaulle dans le fantomatique gouvernement Couve de Murville, a bien sûr beaucoup moins frappé les esprits que sa tragique et énigmatique fin dans un étang de la forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979. Résistant dès 1941 dans le réseau Navarre dont il deviendra le chef, il est engagé volontaire en 1943 et à la Libération il devient avocat à Bordeaux puis à Libourne. Sa carrière politique débute en 1958 quand il devient député UNR de la Gironde, puis maire de Libourne un an plus tard. Il sera constamment réélu député et maire jusqu'à sa mort. Il va aussi exercer des fonctions ministérielles pendant plus de quinze ans. Les lignes qui suivent s’inspirent d’un texte du Professeur Hubert Bonin issu d’une communication lors du colloque Robert Boulin en politique (1ier-3 octobre 2009 à Libourne).
La 5ième République, avec la déferlante UNR post 58, puis ses technocrates énarques, a érigé le « parachutage » en adoubement des nouveaux barons du régime et de ses jeunes turcs. Venus du « ciel » les nouveaux arrivants se devaient pour survivre de s’enraciner dans le terroir de leur circonscription. Le cas Boulin est intéressant du fait des spécificités du « pays Libournais ». En effet, celui-ci montre « une sensibilité aigue, voire épidermique, face aux autres territoires girondins et à la métropole de Bordeaux » Qu’une petite ville 10 fois moins peuplée que sa voisine soit doté d’une succursale de la Banque de France, d’une Caisse Régionale de Crédit Agricole indépendante de celle de la Gironde (le St-Émilionnais est rattaché à cette dernière), d’une Chambre de Commerce et d’Industrie témoigne d’un « patriotisme de clocher » dont le « parachuté » Boulin doté d’une envergure nationale à du tenir compte en « jouant le jeu » des spécificités du monde du vin libournais.
Plus intéressant encore « il a dû également prendre en compte les rivalités de territoires, entre les appellations, les « bons » terroirs et les terroirs banals, « les gros » et les « petits », nombreux dans un Libournais caractérisé souvent par de petites exploitations dotées d’un relief pentu qui compliquait le travail de la vigne, les concurrences multiples d’images de marque, de caractéristiques vinicoles, les rivalités entre le monde du négoce et celui des coopératives (désormais relativement puissantes quoique, à cette époque, fragmentées). Il a dû aussi respecter le chauvinisme du St-Émilionnais, marqué à la fois par un « petit peuple » de vignerons et certaines appellations moins prestigieuses et par une « bourgeoisie » articulée autour de domaines et appellation renommés et surtout d’un réseau de sociabilité dense (compagnonnage, Crédit Agricole) animé à cette époque par la dynastie Capdemourlin : Jean Capdemourlin présidait le Syndicat viticole de St-Émilion et animait la Jurade (recrée en 1948). »
Toute la « finesse » du politique, au-delà de ses positions idéologiques et politiques (attitude que j’ai observé auprès d’un Louis Mermaz considéré à Paris un socialiste intransigeant et qui était si souple dans sa bonne ville de Vienne) tient dans sa capacité à donner de lui-même une image qui fédère des courants sociologiques parfois antagonistes. « Le fait d’être catholique et d’aller à la messe à Libourne favorisait indirectement son image dans les cercles de St-Émilion depuis longtemps cimentés par des convictions catholiques sociales » souligne Gérard César son 3ième suppléant. Là encore, la constitution d’un couple « l’avocat Boulin, homme politique parisien, le citadin de Libourne et d’une personnalité issue du vignoble » est capitale pour l’exercice d’enracinnement. Tel sera le cas du 1ier Jacques Boyer-Andrivet, qui cumulait l’avantage d’être centriste, viticulteur à Saint-Pey-de-Castets, et président de la cave coopérative de Génissac. Quand à Gérard César son profil était lui aussi idéal viticulteur et président de la cave de Rauzan.
L’autre facette de l’action de Boulin en faveur du monde du vin tient aussi à son positionnement par rapport à Chaban-Delmas, l’homme de Bordeaux, et le restant du personnel politique local, tel le centriste Aymar Achille-Fould. Il devient le « passeur » des demandes des professionnels, « il se voit investi d’une mission indicible mais réelle de porte-parole des campagnes au sein de la majorité parlementaire et auprès de la technocratie des Ministères. Ce lobbying viticole très territorialisé va marquer durablement la perception qu’auront nos concitoyens du monde du vin et faire accroire qu’il existe un lobby puissant du vin alors qu’il ne s’agit qu’un conglomérat de circonstances de baronnies locales.
Intéressant aussi, dans l’aire de rayonnement politique de Boulin, est la concentration de « figures » du mouvement paysan « Il était encerclé par des personnalités de haute volée » déclare Gérard César. L’une des ces figures est celle de Pierre Martin, sans doute aujourd’hui tombée dans l’oubli auprès des nouvelles générations, mais qui a fédéré les Caves Coopératives vinicoles avec la CNCV qu’il présidera de 1943 à 1972 (c’est l’ancêtre de la CCVF qui n’a connu que 3 présidents en 67 ans outre Pierre Martin, Antoine Verdale et Denis Verdier. Le vin ça entretien la santé des Présidents). « Du côté des forces contestataires et contestant l’ordre établi, qu’il soit syndical, institutionnel ou social [...] : André Lurton, président du Cercle de jeunes agriculteurs de France, dont le CNJA était l’héritier, était actif tout près, à Grézillac : « J’avais relancé le Syndicat viticole de l’Entre-deux-mers en 1952 avec une équipe de collègues ; je faisais un petit peu l’agitateur avec les Jeunes Agriculteurs et le Syndicat. Vers 1958/59, on a reconstitué le Syndicat de Bordeaux et Bordeaux supérieur qui était entre les mains de braves gens qui laissaient courir » déclare l’intéressé.
Pour conclure ce bref tour d’horizon, notons que c’est Robert Boulin, ministre délégué de l’Économie et des Finances, qui cosigne le 7 juillet 1977 la loi validant des décrets du 18 novembre 1966 et du 16 février 1976 « portant réorganisation du CIVB ». Le décret de 1966, œuvre d’Edgar Faure Ministre de l’Agriculture, avec son Directeur de Cabinet Jean Pinchon, marque l’entrée des contestataires, tel André Lurton, dans les instances du CIVB. 30 ans déjà, ne serait-il pas temps de passer la tête de loup dans les toiles d’araignées du CIVB ?
CNCV : Confédération Nationale des Caves Coopératives
CCVF : Confédération des Caves Vinicoles Françaises