L’affaire des faux Pinot Noir fait le miel de la presse française et étrangère. Les jugements moraux fleurissent sous la plume des journalistes et des commentateurs. C’est leur droit même si je les trouve parfois d’une dureté excessive. Dieu qu’il est facile de jeter la première pierre mais c’est humain. J’ai défendu ici la présomption d’innocence et, maintenant que le jugement du Tribunal Correctionnel de Carcassonne est rendu, que la justice est passée, sous réserve d’éventuels appels, je n’ai pas de commentaires à faire sur le fond de cette affaire. Comme je ne suis ni juge, ni procureur, ni avocat de la défense ou des parties civiles, et que je n’ai pas eu accès au fond du dossier, ce serait de ma part bien léger.
Mon propos de ce matin touche au génie de certains faussaires. Ne vous récriez pas, je fais ici référence à la peinture où les faux ne sont pas un phénomène récent. Dès qu’une œuvre peinte devient un objet recherché et qu’un artiste a une réputation établie le marché du faux existe. « Les élèves de Rembrandt (1606-1669) ont plus d’une fois signé leurs œuvres du nom de leur maître. Les copies des œuvres de Corot (1796-1875) sont plus nombreuses que les originaux [...]
Après la seconde guerre mondiale, l’affaire Van Meegeren (1889-1947) connut un beau succès de presse. Il avait peint un certain nombre de faux Vermeer. Le premier, réalisé en 1923, « les Pèlerins d’Emmaüs », et reconnu par les experts de l’époque comme étant le tableau faisant la liaison chronologique entre deux styles de Vermeer, fut acheté très cher par le Musée Boimans Van Beuningen de Rotterdam. D’autres faux Vermeer suivirent, dont un fut acquis, pendant la deuxième guerre mondiale, par le chef nazi Goering. Ce ne sont pas les experts qui ont confondu notre faussaire. L’œuvre, retrouvée en Allemagne par les forces américaines entraîna une enquête qui aboutit chez Van Meegeren. Pour avoir vendu une œuvre d’art d’importance nationale à un chef nazi, il fut accusé de collaboration et risquait la peine de mort. La seule façon de se disculper était de montrer que ce qu’il avait vendu était un faux et que ce faux, il l’avait peint lui-même. Il se mit à l’ouvrage en prison pour réaliser un nouveau faux Vermeer et confondre ainsi ses accusateurs. Il réussit à merveille» in Magremanne Robert Juillet 2006
J’espère que vous me suivez et que vous comprenez où je veux en venir. Pour vous mettre sur la voie je vous cite les propos d’un criminologue canadien : « Ce soir, je vais donc m'entretenir avec vous d'un phénomène bien particulier, un phénomène qui ne se compare à aucun autre puisque les faux en peinture, contrairement aux vols des œuvres d'art, n'existent qu'à une seule et unique condition : celle d'être découverts. En effet, le faux est invisible pour celui qui ne se contente que de regarder en oubliant qu'un miroir a deux côtés. »
Je poursuis en citant Guy Woodward « On peut discuter à longueur de journée sur la question de savoir si un vin doit répondre à un certain critère pour être qualifié de bon vin. Si le Red Bicyclette de Gallo est bon, est-ce que les consommateurs se soucient de savoir si c’est du merlot ou du pinot? ».
Et oui, il y a les consommateurs d’étiquette et ceux qui aiment le vin. Le problème est celui du prix me rétorquera-t-on. J’en conviens aisément mais pourquoi diable le Pinot Noir du Languedoc était-il plus cher que le Merlot du Languedoc ? Tout bêtement parce qu’un effet de mode : Sideways en avait fait monter le prix. La valeur intrinsèque des vins n’est pas en cause. C’est le marché qui s’amuse. Pour autant ne me faites pas dire ce que je n’écris pas : aux yeux de la loi le faux est un faux. Cependant, des faux qui ne sont pas des copies peuvent être intrinsèquement supérieurs à des œuvres dites originales. De nouveau je ne justifie en rien le délit mais je me contente de relativiser le préjudice qu’a subi le consommateur de Red Bicycle pour chaque bouteille achetée. Rien à voir avec les gogos qui achètent des Mouton-Rothschild où les faussaires se contentent de coller des étiquettes sur des bouteilles en y glissant un vulgaire jaja à l’intérieur.
Dernier point, et je ne vais pas me faire que des amis, il me semble facile d’ironiser sur le professionnalisme des acheteurs de Gallo qui n’ont pas su déceler ces faux Pinot Noir quand la plupart des experts qui poussent des cris d’orfraies s’y seraient eux aussi cassé le nez. Un tout petit peu de modestie ne nuirait pas dans ce domaine et sauf à me faire la démonstration contraire dans une dégustation à l’aveugle je maintiens mon affirmation. Que des petits « malins » aient joué avec la loi je n’en disconviens pas. Ils ont été découverts. Jugés dans les formes. Condamnés. Pour autant affirmer que cette affaire est un « crime » contre le vin tout court, et les vins du Languedoc en particulier, me semble bien excessif. La double peine ça n’est pas ma tasse de thé. Pour mémoire je n’ai jamais bu de Red Bicyclette et si je l’avais fait, eu égard à mes faibles compétences de dégustateur, je me serais esbaudi sur le Pinot Noir comme beaucoup de mes chers « confrères ».