À mes débuts dans le monde des vins de table, en 1978, à l’Office éponyme qui venait de prendre la succession de l’IVCC (Institut des Vins de Consommation Courante) après les évènements de Montredon, alors que Jacques Chirac était le premier Ministre de Valéry Giscard d’Estaing, la très puissante CNCV : Confédération Nationale des Caves Coopératives présidée par l’audois Antoine Verdale de Trèbes tenait le haut du pavé (pour les détailssur Verdale et le pouvoir lire ma chronique http://www.berthomeau.com/article-18131895.html) et les caves particulières n’étaient même pas présente au Conseil de Direction. Même si la Confédération se disait nationale elle était tenue par les chefs du Midi qui s’affrontaient pour faire prévaloir leurs lignes : la première «pragmatique», économique disaient certains, emmenée par Verdale s’appuyant sur Raymond Chandou le Dordognot de Le Fleix, la seconde défendant la coopération des origines, « un village, une cave » dont la figure de proue était l’Héraultais Marcellin Courret que vous avez découvert hier à l’émission Droit de Réponse de Michel Polac « Les Vignes du Seigneur » et, bien sûr, la ligne « dure » romantico-occitane, proche des CAV, avec le charismatique Jean Huillet, que vous avez aussi vu à l’émission de Polac, comme chef de file.
Rassurez-vous je ne vais pas ce matin vous bassiner avec mes souvenirs mais vous faire découvrir un magnifique ouvrage au titre sobre : CAVES coopératives du Languedoc Roussillon, qu’un de mes fidèles lecteurs m’a offert à Vinisud. Il est l’un de ceux qui a contribué à cette œuvre de mémoire d’un patrimoine architectural remarquable. « En s’intéressant aux architectes, au décor et aux bâtiments destinés à « fabriquer » du vin, cette étude défriche un terrain peu exploré et entend donner à ces édifices la place qu’ils méritent dans le patrimoine culturel régional ». Je dois avouer qu’après avoir parcouru, feuilleté, lu certains textes, admiré la richesse des crédits photographiques, mon regard sur le mouvement coopératif du Languedoc-Roussillon, parfois un peu trop critique, s’est humanisé et, je comprends mieux l’attachement viscéral de certains à leurs caves. C’était certes un autre temps mais, lorsqu’on relit certains textes fondateurs, on est frappé par leur modernité. Et si, le rebond des caves coopératives face aux grandes évolutions du marché se trouvait tout bêtement dans un retour aux sources ?
QUELQUES EXTRAITS
Avec la construction des caves coopératives, « le paysage s’enrichit d’un nouveau monument emblématique : chaque village ou presque possède « sa » cave coopérative. L’implantation à l’écart des centres anciens, liée aux impératifs économiques et fonctionnels rend ses « cathédrales » d’autant plus visibles qu’elles se distinguent par leur proportion et leur silhouette atypique, soulignées par des cuves cylindriques extérieures en béton ou en inox » Lochard 2006
Les théoriciens du mouvement coopératif insistent sur la sobriété générale de la construction, l’économie de moyens et la maîtrise des coûts « Dans l’installation d’un cellier il faut tenir compte de trois conditions, afin que la vinification puisse bien s’y faire. Ces conditions sont la température, l’aération et la propreté. Pour y arriver, éviter le luxe qui exige une dépense d’argent sans utilité, n’employer que celui qui sera nécessaire pour avoir une bonne vinification avec la meilleure économie possible » Zacharewitz 1909.
La cave coopérative est « l’héritière des grands chais privés après en avoir été l’adversaire plus ou moins déclaré : elle doit son émergence à la volonté des petits propriétaires de lutter à armes égales avec les grands en s’imposant sur le marché mais aussi et surtout de rivaliser, dans l’élaboration de leurs vins, avec le matériel vinicole utilisé par les grands propriétaires. Gavignaud-Fontaine 2006
Charles Gide, un des promoteurs de la coopération viticole, donne une conférence en 1901 dans laquelle il défend avec ferveur les « associations de vinification », c’est-à-dire « des associations de viticulteurs qui s’entendent pour faire leur vin en commun ». Il insiste sur les conditions de « ... l’installation des celliers [qui] est aujourd’hui un luxe coûteux avec tous ses appareils mécanique [...] que les propriétaires très riches peuvent seuls se payer et dont les agriculteurs plus modestes chercheront à économiser les frais. »
En 1937, on peut lire dans la Statistique agricole de la France publiée par le Ministère de l’Agriculture : « Avec le temps, l’organisme [la coopérative] paraîtra aussi naturel aux habitants d’un même village que la mairie ou l’Eglise » Gavignaud-Fontaine – prédiction qui peut se résumer dans la formule lapidaire « un village, une cave coopérative » Arnal 1930 Curieusement, il n’existe pas de « cave modèle » en Languedoc ce que E.Barbet déplore en 1936, au nom de l’intérêt général, en souhaitant »dès l’an prochain, créer dans chacune de nos grandes régions viticoles, avec la garantie de l’Etat, au moins une de ces caves modèles dont la technique et les résultats seraient bien contrôlés par les ingénieurs du Génie Rural et par les professeurs d’œnologie. »
Petite note Berthomeau : de l’influence de nos IGREF sur « la modernisation » des caves coopératives.
Je terminerai par une citation de Marcellin Courret pour qui il ne saurait être question de transformer la coopération en entreprises de type industriel ou commercial et capitalistique dont la gestion échapperait au sacro-saint principe « un homme, une voix ». Que disait-il notre Marcellin que « les caves coopératives ont réussi à retenir, autour des viticulteurs, toute une population rurale composée d’ouvriers agricoles, d’artisans, de commerçants, qui donnent à nos villages le visage si sympathique qu’on leur connaît. » Pour lui c’était mettre le ver dans le fruit, c’était « une machine de guerre inventée contre les caves coopératives et destinée à les démanteler. »