Cher monsieur Perrin,
Alors que les mots volaient – je me garderai bien d’oser écrire à quelle hauteur – votre lettre pleine d’humour et d’élégance m’a empli du même plaisir que si j’eus partagé avec vous, autour d’une table nappée de blanc, un de ces Grands Grenache que vous avez célébrés sans pour autant les canoniser.
Permettez-moi de vous citer. « Cher monsieur Berthomeau : vous ne vous êtes pas rendu à la messe, et ce n’est pas faute d’y avoir été convoqué (on l’aura compris !) Et si vous nous parliez un peu du grenache que vous aimez, de la volupté, des transes qu’il procure, surtout dans la compagnie de « gentes damoiselles papillonnant autour de beaux verres emplis du nectar du cépage susdit. » ?
Cela à coup sûr nous divertirait, car d’avoir passé tout le week-end dans ces sphères célestes, en compagnie des hautes huiles, parlant plus que buvant, réfléchissant dans une langue étrangère, a peut-être modifié insidieusement notre perspective, nous (toutes celles et ceux qui ont participé à ce conclave) éloignant de ces nobles » jouissances, entre amour et ironie légère, qu’on sait si bien cultiver dans « notre » douce France, en bonne compagnie. »
Vous comprendrez aisément, cher monsieur Perrin, que je me soumettrai de bonne grâce à votre demande de transcrire la volupté, les transes que me procurera le goût d’un grand Grenache. Cependant vous devrez patienter car, pour ce faire, il faudra que je transporte mon irritante personne jusque Châteauneuf-du-Pape où je compte de nombreux amis, et sans doute aussi un paquet de détracteurs. Quand, comme moi, en ce beau village, on a fait le médiateur entre deux factions irréductibles, il est difficile de plaire à tout le monde. Ce transport se situera à la fin du présent mois et, si mes neurones veulent bien se connecter avec mes papilles je ne manquerai pas d’immortaliser mes transports.
Dans l’attente de la relation écrite de ce divertissement, permettez-moi cher monsieur Perrin de vous faire suivre un courrier que j’avais jeté, telle une bouteille à la mer, à « L'inoubliée et l'indomptée : Dominique Sanda et Mouglalis Anna » le 12 avril 2008. Je le fais dans le but avoué de me laver de « l’odieuse insinuation » de n’être qu’un homme à femmes alors que je m’honore d’être un homme qui les aime, qui aime leur compagnie pour cultiver avec elles l’art de la conversation, et plus si affinités. Goûter le vin, le boire, ne fait qu’ajouter en cette circonstance quelques degrés, à la volupté du plaisir partagé.
Au plaisir de vous revoir cher monsieur Perrin pour que vous contribuiez à mon éducation de goûteur et en vous remerciant encore de supporter la lecture de mes lignes. Avec mon meilleur souvenir.
Jacques Berthomeau
Chère vous,
L'inoubliée et l'indomptée, l'une pourrait-être ma compagne et la seconde ma fille, mais la première vit en Patagonie avec l'homme de sa vie et vous, Anna, qui venez d'être mère, au a minuscule près, vous portez le même prénom que celui de la mère de mes petits enfants Martin et Zoé.
Vous faites toutes les deux les actrices. Dominique avoue : « j'ignorais mon souhait d'être actrice quand Robert Bresson m'a appelée pour être Une femme douce après m'avoir vu dans Vogue. » Ce que vous, « la trop belle » Anna, au dire de Brian de Palma, confirmez : « c'est le hasard qui vous mène dans ce métier ».
Anne-Cécile, ma fille, elle aussi est tombée dans le cinéma par hasard, celui d'une rencontre, et la voilà avec son mari, productrice : Mille et Une Productions, avec comme fleuron le dérangeant Cauchemar de Darwin. Pour la petite histoire – la grande avec un grand H n'a pas de chair – j'ai dîné, lors d'un festival d'Avoriaz, face à vous Dominique, alors que vous Anna je n'ai jamais eu le plaisir de vous croiser alors que vous chevauchiez votre scooter et moi, mon vélo.
Comme le cinéma « était une rupture avec sa famille » changer de nom, pour Dominique, était « naturel », alors « Sanda est venu tout de suite. Je voulais être DS, et avoir un nom doux, qui sonne comme une note de musique. » Le votre, Anna, on se prend les pieds dedans facilement, et pourtant vous n'en avez point changé, ce qui ne m'étonne pas de votre part car, en dépit de votre sourire « à faire craquer un blindage de sept pouces »votre tempérament ne vous incline guère aux concessions, alors va pour Mouglalis et ceux que ça dérange n'auront qu'à prendre des cours de diction au Conservatoire. Très vite, l'une comme l'autre, la notoriété vous est tombée dessus très vite ; pour Dominique ce succès lui était « quasiment insupportable » alors que vous, « l'éperdue de beauté brute », acceptez de devenir l'égérie de Chanel et de vous faire couvrir de fleurs par l'envahissant Lagerfeld.
« Par définition, les actrices projettent des images qui ne sont pas elles... » se défend Dominique Sanda mais, pour vous deux, par delà votre jeu, hors de nos phantasmes masculins ou de notre imaginaire, ce qui m'émeut, me trouble, c'est qu'au-delà des personnages que vous incarnez sur l'écran vous me semblez, comme le dit si bien Dominique, n'aimer que les gens qui savent « exister en apesanteur » car vous-même êtes des éthers, impalpables, insaisissables, à la fois grisantes et froides. Assonances et dissonances, intellectuelles et charnelles, fiévreuses et tragiques, silencieuses et lointaines, pour moi vous vivez pleinement, sans trop de concessions, parce que « la vie à cette saveur qui fait qu'on n'a pas envie de la perdre. »
Entre la Dominique Sanda du Jardin des Fizzi Contini et l'Anna de Merci pour le chocolat se tisse le même lien d'éternelle jeunesse, privilège unique du cinéma. Entre l'inoubliée et l'indomptée, par-delà vos différences, se dresse la même solitude altière qui me plaît.
C'est le privilège de mon âge que de pouvoir garder, et la fraîcheur de ses souvenirs, et la fougue d'un vieux jeune homme adepte de la diagonale du ouf, alchimie merveilleuse, loin des embûches de l'amour, de ses toujours, pure esthétique me permettant de vous écrire, en toute liberté, en toute sincérité ces quelques mots que, sans doute, jamais vous ne lirez chère Dominique, chère Anna.
En ces temps où tout s'achète et tout se vend, mon acte gratuit me donne le doux privilège de pouvoir vous embrasser avec volupté très chères vous, si proches et si lointaines.
Jacques
Réponse datée du 14 août 2008 :
« Jacques, ce que vous dites est très gentil et m'a intéressé, je dois pourtant par là même vous corriger une petite inexactitude. Là où vous dites "ces quelques mots que, sans doute, jamais vous ne lirez" vous auriez dû écrire: "que vous lirez peut-être". Surpris? D.S. »
Si ça vous dit vous pouvez lire aussi deux autres chroniques :
Cadeau de Noël : « Le Jardin des Finzi-Contini »
«Eperdue de beauté brute»
http://www.berthomeau.com/article-13760933.html http://www.berthomeau.com/article-6848881.html