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28 juin 2010 1 28 /06 /juin /2010 00:06

Andrew Jefford, un grand amateur anglais de vins français dans son livre « Le nouveau visage du vignoble français » écrit : « Et si jamais un vigneron français mérite d'être comparé à Roland Barthes ou à Jacques Derrida, c'est bien Jean-Michel Deiss. Ce compliment lui revient de droit, non seulement pour l'originalité déconstructiviste et subversive de sa pensée, mais aussi pour les belles métaphores dont il enveloppe ses raisonnements. Un discours de Deiss étonne au point que la dégustation qui le suit donnerait presque dans la sobriété... »  Photo_JMD_ds_cave_3.jpg

Jean-Michel et moi sommes amis. Et pourtant lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 2002, à Angers, autour d’un René Renou circonspect, moi habillé pour l’hiver du costume infâmant d’adorateur des « vins barbares », lui au milieu de la petite bande des « vignerons en nos appellations » les Patrick, François, Marc, Michel et les autres, nous semblions en cent lieues l’un de l’autre. L’alchimie d’une amitié est aussi complexe que celle d’un grand vin. Mais comme le dit Jean-Michel « Un homme est constitué par le réseau de tous ses gènes et de la somme de ses possibles. Mais au-delà, c'est aussi son savoir. Le savoir qu’il engrange chaque jour, quand il apprend, quand il souffre, quand il s'enthousiasme, quand il tombe amoureux, quand il est déçu. Lorsque je rencontre quelqu'un, je recherche son humanité. Son patrimoine génétique ne m'intéresse pas. »

 

Nos complexités se sont rejointes sans beaucoup de mots, et Dieu sait que lui et moi aimons les mots, pas forcément mes mêmes d’ailleurs. Alors pourquoi ma plume, depuis que cet espace de liberté existe, n’a-t-elle jamais consacrée une ligne à Jean-Michel Deiss ? La pudeur, j’ai toujours eu la crainte, le souci plus exactement, en écrivant sur un vin de mes amis soit de trop en faire, et ainsi de tomber sous le coup du copinage ou, pire, de restreindre mon enthousiasme et de les froisser. Et pourtant ce matin je me lance en abordant le plus anticonformiste des vins de JM Deiss : son Altenberg de Bergheim.

bouteille_Altenberg_GC.jpgAvant de parler de ce très grand vin permettez-moi de m’aventurer sur un terrain où je me sens bien : la peinture. Deux peintres de l’école américaine du figuratif, non figuratif : Arshile Gorky, né Vosdanig Manoong Adoain et Willem de Kooning, deux européens réfugiés aux USA, pour moi illustrent à merveille la complexité exprimée par ce Grand Vin. Bien évidemment je ne vais pas vous infliger un sabir de critique de peinture que je ne suis pas mais me contenter de citer Elaine De Kooning, peintre elle-même, qui raconte alors qu'Arshile Gorky passe l’été 42  dans une ferme du Connecticut «  Gorky découvrait dans les textures d’herbe et des feuilles un territoire fantastique creusé de brillants cratères de couleurs qu’il laissait flotter, isolés, sur sa feuille blanche, tout en traçant une ligne labyrinthique continue des perspectives ivres, extravagantes, qui catapultaient l’horizon tout en haut de la feuille... Son œil allait fouiller tout au fond des fleurs... »

 

Comparaison ne serait pas raison mais face cet Altenberg de Bergheim né dans un terroir situé au cœur du champ de failles géologiques de Ribeauvillé où les calcaires durs du Jurassique et la tendreté des marnes du Lias, riches en fossiles, forment des sols pauvres, rouges, où la vigne doit plonger profondément pour trouver son énergie, je sens qu’il est empli d’une libre interprétation de la nature et des états de Jean-Michel. L’effet du microclimat de l’Altenberg, « résultat de son exposition plein sud, de son éloignement du front vosgien et de son isolement face à la plaine rhénane, est terriblement chaud, sec et presque surexposé ». Mais telle la palette de couleurs du peintre, le retour à la pratique ancestrale du vignoble complanté de tous les cépages traditionnels... même le chasselas rose, permet aux raisins lors de la vendange unique non triée de puiser dans la tradition une modernité en totale rupture avec les codes en vigueur dans l’Alsace d’aujourd’hui.

 

J’ai peu de goût pour la douceur, trop souvent pétrifiante, des vins touchés par la pourriture noble. Leur réelle splendeur ne m’incline qu’à la révérence, qu’au respect, mais guère à l’enthousiasme ni aux élans. L’Altenberg de Bergheim 2004 de Jean-Michel, m’a lui par sa fraîcheur insolente, son originalité, son explosivité, propulsé sans escale vers des sommets, vers une forme de béatitude vive, sensuelle, de celle où les mains, sans retenue, mais avec audace, se glissent, caressent, trouvent l’essentiel sur les rives secrètes des corps aimés. Je ne sais où se trouve le 7ième ciel mais je puis vous assurer que j’ai trouvé une nouvelle voie pour m’y propulser...Genou-8041.JPG

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27 juin 2010 7 27 /06 /juin /2010 02:09

Tout ce passa sans la moindre anicroche, mon plan semblait couler de source, fluide. Après nous être enregistrés et avoir indiqué aux douaniers, forts compréhensifs à l’endroit d’invités de leur beau pays démocratiques, que nos bagages allaient arriver avec nos camarades chiliens qui prenaient le même vol, Jeanne et moi attendions, chacun de notre côté, sagement dans la salle d’embarquement. Ce que je n’avais prévu, alors que j’aurais du le prévoir, c’est que dans les démocraties populaires les officiels sont très friant des cérémonies d’adieux officiels, avec discours, et force d’accolades. Le départ de nos amis chiliens pour leur beau pays en voie de démocratisation populaire ne dérogea pas malheureusement à ce folklore grotesque. Par bonheur, alors que Jeanne venait de rejoindre les toilettes, je m’aperçus que des employés de l’aéroport dressaient une petite estrade juste devant le portillon permettant d’accéder à la salle d’embarquement. Au tout début je restai imperturbable devant cette légère effervescence mais lorsque je vis apparaître des drapeaux chiliens mon sang se glaçait. Nous étions coincés comme des rats, nul moyen de faire machine arrière. La seule retraite : les toilettes, sauf qu’il me fallait au préalable prévenir Jeanne de la dangerosité de la situation. Avec l’air le plus à l’aise que je pus prendre j’allais discrètement me poster tout près de la porte des femmes. Lorsque Jeanne apparut d’un signe de mon annulaire discret je lui demandais de venir près de moi. Ce qu’elle fit. Personne n’observait notre manège. En quelques mots je lui fis par de la situation. Elle resta d’un calme absolu. « Retourne d’où tu viens et moi je vais me planquer chez les hommes... » Elle opinait.

 

Toujours l’air dégagé je gagnais les chiottes pour me barricader dans l’une des trois cabines en priant le ciel que les autres resteraient libres et qu’aucun grincheux, pris d’une irrépressible envie de chier, ne vienne m’en déloger. Assis sur la lunette, par bonheur les tchécoslovaques n’étaient pas des adeptes des latrines à la turque, je commençais à comprendre le caractère aveugle de ma claustration. Comment saurais-je déterminer le moment d’en sortir en toute sécurité ? En fonction de l’heure d’embarquement sans doute mais si par hasard celui-ci s’opérait un peu en avance et que la préposée de l’aéroport, qui en ce temps-là pointait une liste nominative, s’étonnait de mon absence et m’appelait. Vous imaginez l’effet de mon nom et de celui de Jeanne claironné par les hauts parleurs dans tout l’aéroport. J’hésitais sur la conduite à tenir. Trop tôt et je risquais de tomber nez à nez avec nos amis du parti frère. Trop tard et c’était l’annonce fatale. Un filet glacé de sueur ruisselait sur mon flanc gauche. Je m’en voulais de ma précipitation. Le va et vient derrière ma porte me rassurait un peu. A plusieurs reprises des mains impatientes secouèrent le loquet de la porte de la cabine. Ma montre indiquait 16 heures. L’embarquement allait commencer dans moins de trois minutes. Je m’apprêtais à sortir lorsque quelqu’un glissa un morceau déchiré dans la Une de la Pravda. Fébrile je m’en saisissais. Tracé avec du rouge à lèvres il y était écris « Tu peux sortir » Abasourdi je sortais et je tombais nez à nez avec une femme de ménage.

 

« Merde, c’est toi ! » Jeanne vêtue d’une blouse bleue délavée tenait, tel un drapeau, une sorte de serpillière fixée à un manche mal équarri. Je ne l’avais pas reconnu de suite car elle portait une sorte de calot d’un blanc sale. Elle se débarrassait de ses oripeaux, les jetaient dans une poubelle et me tirait vers la sortie. Un gros pépère nous croisait alors que nous sortions. Son regard égrillard en disait plus long qu’un discours sur ce qu’il pensait que nous venions de faire en ce lieu. Jeanne souriait. Ernesto l’apercevait et se précipitait toutes dents dehors. Mon regard noir freinait ses ardeurs. Pour se racheter il me tendait les souches d’enregistrement de nos bagages en soute. Tous les trois nous gagnions le bar où j’offris une tournée d’Urquel Pilsner à toute la bande chilienne qui s’entredéchirait sur je ne sais quel histoire de prise de contrôle du Mir dans je ne sais quel trou pourri rural du Chili. Ces gus passaient leur temps à faire des nœuds entre eux pour mieux ratiociner ensuite sur la manière la plus compliquée de les défaire. Discrètement je jetais un regard en direction du hall. L’estrade, les drapeaux et le micro avaient disparus. Je sentais les doigts de Jeanne qui effleuraient le lobe de mon oreille. « Tu vois grand macho, les pisseuses arrivent même à avoir des idées et à prendre des initiatives. Sans moi tu serais encore sur ta cuvette à ruminer... » Elle s’exprimait en français. Nos amis chiliens du Mir n’étaient pas encore abonnés aux couloirs du métro parisien. Le souriant Pinochet allait se charger de les y expédier pour qu’ils apprennent notre merveilleuse langue tout en s’époumonant dans leurs flutes de pan.     

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27 juin 2010 7 27 /06 /juin /2010 00:16

Bonjour et bon dimanche, bien sûr je ne suis pas allé honorer le Grenache pas très loin d'ici mais comme je sais me repentir de mes fautes je suis en vacances dans ce beau pays où les vignerons, les laboureurs, les bergers, les producteurs d'aperges et de melons, même les chasseurs et aussi, comme vous le verrez, les assassins, lorsqu'ils gagnaient leurs dernières demeures se voyaient gratifiés de monuments funéraires arborant non leurs blasons mais les outils ou les symboles de leur labeur. Mais où suis-je donc ? Pas très loin où la Chochotte du Boulon http://www.berthomeau.com/article-27694059.html cultive ses vignes. Alors, si vos neurones veulent bien se réchauffer avant votre déjeuner dominical situez-donc ce lieu étrange et faites-le savoir à vos petits camarades qui vous en sauront gré. Bon appétit et à demain sur mes lignes...   

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26 juin 2010 6 26 /06 /juin /2010 00:09

Au temps de ma jeunesse campagnarde, lorsque nous allions au bal le samedi soir avec mes copains Dominique et Gervais dit Petit Suisse, dans la Coccinelle blanche de ce dernier, nos deux expressions favorites pour qualifier certaines filles faisant tapisserie sur les bancs entourant le parquet étaient : « biscotte sans sel » pour les trop girondes et « œufs au plat » pour les plates comme des limandes. Pas très gentil tout ça me direz-vous mais, rassurez-vous, nous prenions nous aussi de beaux râteaux auprès des belles du jour et nous nous repliions souvent, la queue basse, sur les « biscottes sans sel » et les « œufs au plat » qui savouraient alors leur revanche.


Bref, l’œuf au plat ou plus précisément dans mon cas : les œufs au plat car je les consomme toujours en couple pour une raison de pure esthétique : je trouve ça beau (ce doit-être freudien, voir plus haut), sont un plat de seigneur car ils allient simplicité et difficulté. Pour le quidam lambda se casser deux œufs lambda sur une poêle lambda relève de la pure routine qui assassine au goutte à goutte le temps qui passe alors que pour la race des seigneurs, celle qui choisit ses œufs avec amour, frais et d’origine, qui leur offre une vraie poêle Buyer pour les frire avec doigté, c’est un rituel quasi-religieux. Avant de vous le décrire avec une précision poétique je me propose de vous donner quelques détails et sur les œufs et sur la poêle Minéral de Buyer.


Sur l’œuf, tout d’abord brisons une légende selon laquelle l’œuf coloré serait fermier alors que le blanc proviendrait de poules en batteries. Faux, la plupart des vieilles races de poules françaises pondent des œufs à coquille blanche, c’est le croisement avec des races asiatiques qui a mené à des œufs de couleur. Seule l’alimentation marque la couleur du jaune. Pour sa fraîcheur, beaucoup sont datés de nos jours, il suffit de plonger l’œuf dans de l’eau froide : plus il coule plus il est frais ; plus il flotte moins il l’est. La cause en est l’augmentation de la chambre à air avec le vieillissement. Pour acheter sa douzaine d’œufs pas de problème sauf à vouloir n’acquérir que des produits bio dont on connaît le nom et le prénom des poules. Pour ceux qui passeraient du côté de Lourmarin et qui auraient une petite faim je leur signale une excellente adresse La Cour de Ferme route de Cadenet www.reinesammut.com qui pratique « les produits pêchés, cueillis, cultivés et élevés le moins loin possible ». Pour les volailles et les œufs bios c’est chez Didier et Arlette Noury Les Volailles de Cure-Bourse 688400 Lagnes (0612215660).


Du côté de la poêle la Minéral de Buyer s’impose www.debuyer.com . Elle a tout pour elle : écologique, recyclable, durable et française : vosgienne. C’est la poêle des chefs. Plus elles sont culottées (noire du cul) meilleure est la cuisson. Elles se bonifient avec le temps. 100% fer naturel les molécules sont bonnes pour la santé, le processus de fabrication est respectueux de l’environnement et comme elle est fabriqué chez nous son bilan carbone est excellent. Pour les œufs au plat le modèle Ø 20cm/8 ‘’ convient parfaitement à l’exercice deux œufs au plat. Pour le culottage de votre poêle : « Mettre des épluchures de pommes de terre dans votre ustensile, couvrir d’eau, faire bouillir pendant 15 mn. Ensuite, jeter les épluchures puis rincer la poêle à l’eau très chaude, essuyer et refaire bien chauffer ½ cm d’huile dans la poêle, la jeter ensuite. Enfin essuyer avec du papier absorbant et ranger votre poêle dans un endroit sec. Au bout de plusieurs cuissons votre poêle sera culottée, c’est-à-dire devenue noire. Dernier détail : la réaction de Maillard – ne pas confondre avec celle des paillards – lorsque la poêle en tôle d’acier atteint des températures supérieures à 140°C la réaction dites de Maillard se développe : les aliments sont saisis en surface, permettant ainsi la caramélisation de leurs sucs naturels, ce qui donne le bon goût. Une croûte se forme, empêchant l’humidité de s’évaporer. Les aliments deviennent dorés et croustillants en surface, fondants et moelleux à l’intérieur.

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Reste maintenant le moment capital : la casse et la cuisson de l’œuf au plat. D’abord, parlons matière grasse : beurre ou huile c’est selon vos origines mais attention à la surchauffe pour frire votre œuf. Certains sont peut-être sont adepte de la cuisson à sec mais elle ôte à la cuisson le léger grésillement annonciateur du croustillant des bords de l’auréole du blanc. Pour la casse le coup sec sur le bord de la poêle est ma technique, elle est simple et ne demande à la fois de maîtriser l’intensité et une bonne coordination des gestes afin d’éviter le bris de coque ou le bris de jaune ou les deux. Ensuite, tout se juge à l’œil, la cuisson idéale ne se minute pas, elle s’évalue au cas par cas. Jaune fluide, blanc moelleux aux bords croustillants, les œufs au plat glissent de la poêle vers l’assiette avec la facilité d’une crêpe. Sel, poivre, au moulin bien sûr !


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Le pain, une tranche d’une grosse miche avec une belle mie, est l’allié indispensable des œufs au plat. Je ne vais pas vous infliger une soi-disant bonne méthode pour savourer vos œufs au plat, chacun fait comme bon lui semble. En revanche, du côté liquide, je me permets une suggestion très partisane, Le Chenin Terres Quarts 2009 de Jérémie Mourat www.mourat.com , comme il se doit c’est un Vin de Pays de Vendée que j’ai dégusté samedi 8 mai au Salon de la RVF (y’a même des Vins de Pays des IGP au salon de la RVF). Il est tout aussi vif et frétillant que mes œufs au plat sont croustillants. Que voulez-vous, le Chenin de Mareuil c’est une petite parcelle de ma Vendée natale qui me rappelle les œufs de ma mémé Marie que j’allais ramasser dans tous les lieux improbables où ces volatiles, qui vivaient en totale liberté, allaient pondre. Certains étaient encore tout chaud. La madeleine de Proust peut prendre tous les chemins possibles, même les creux du Bocage...

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25 juin 2010 5 25 /06 /juin /2010 00:09

Bonne question, comme disait avec son accent faubourien le grand comique Georges Marchais. Elle est à l’ordre du jour. Je vais la traiter, sur mon espace de liberté, à ma façon. Pas pour « faire genre » ni pour vous donner la réponse mais pour vous instruire du génie français.  Genou 8039 C’était au temps où la France était rouge, rouge d’une foultitude de cantons accueillant plus de 10 000 ha de vignes. Ma vieille Vendée en nombre de déclarants : 58 305 sur un total d’un million 500 mille occupait la 3ième place après l’Hérault et l’Aude. Le pépé Louis en était comme le sacristain ou le notaire. En superficie 18 858 ha sur un total d’un million 700 mille ha. En volume 854 000 hl sur 78 Millions d’hl, soit le 19 département viticole français.

Il existait donc un vignoble domestique important alimentant une forte autoconsommation et un vignoble productif dominé par les 2 mastodontes : le Languedoc et l’Algérie. Concurrence ! Sus aux vignobles familiaux ! Haro sur les fameux cépages Clinton, Noah, Jacquez, Herbemont, Othello, Isabelle. La loi va introduire la notion de cépages interdits et rendre leur arrachage obligatoire. Officiellement le gouvernement lutte pour résorber la surproduction : 15 à 20 millions d’hl sur les 93 millions produits. Distiller donc, c’est l’Etat qui paye. Mais aussi, et c’est là où le débat entre le petit peuple des viticulteurs du dimanche et les intérêts des grandes propriétés du Midi « plantées d'aramon, irriguées en permanence, capables de produire plus de 300 hectos à l'hectare » et les « privilèges accordés à l'Algérie : liberté de plantation à très bon marché, taxes pratiquement inexistantes, main d'œuvre peu chère ».

Dans les années 30 le « Statut Viticole » s’est efforcé de réduire la production en pénalisant les hauts rendements et en interdisant la plantation de vignes nouvelles. En 1936, pour tenter de réduire l’appareil productif les pouvoirs publics promeuvent l’arrachage volontaire primé et menacent de recourir à l’arrachage obligatoire. L’acte fondateur des droits de plantation est le Décret n°53-977 du 30 septembre 1953 relatif à l'organisation et l'assainissement du marché du vin et à l'orientation de la production viticole Une stricte discipline d'encépagement est créée. La suppression des cépages prohibés est prescrite ; toutefois, pour en encourager la disparition, les producteurs pourront par exception remplacer par anticipation les vignes à disparaître lorsque celles-ci avaient été régulièrement plantées. Dans chaque région, seront par ailleurs définis les cépages dont l'utilisation sera recommandée et efficacement encouragée. A long terme, cette discipline doit entraîner une diminution du potentiel viticole.

Je viens de plancher sur La grande novation de la dernière réforme est que le Règlement (CE) N°479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant Organisation Commune du Marché vitivinicole prévoit dans son Titre V : Potentiel de Production au chapitre II : un Régime transitoire des droits de plantation. Article 90 : Interdiction transitoire de plantation de vigne. En clair, à partir de 2015 la plantation de la vigne sera libre sauf si... ça c’est une autre histoire sur laquelle ma réserve naturelle et mon obligation de réserve font que je ne vous en dirai pas plus. Pour que vous ne soyez pas trop frustrés je vous offre un florilège des débats  sur la loi du 24 décembre 1934 concernant les hybrides producteurs directs américains et français.

 

Monsieur Renaud, député de l'opposition attaque: « Vous voulez interdire l'utilisation de certains cépages, vous déclarez la guerre aux hybrides producteurs directs qui pourtant ne jouent dans l'augmentation de la production qu'un rôle insignifiant.
Si vous croyez vraiment à la surproduction, il faut frapper les responsables et eux seulement
 ».
Monsieur Baylet député socialiste s'exprimera dans le même sens. Car, dit-il, « en Algérie, des millions d'ouvriers travaillent de l'aube au crépuscule sous le knout pour un salaire misérable ». Il ne sera pas suivi
.  
La majorité de l'époque fait bloc pour défendre les représentants des grands domaines de France et d'Algérie

A l'Assemblée Nationale, lors des deux premières séances du 15 Décembre on parlera « d'atteinte à la liberté des petits viticulteurs » Monsieur le député Mauger monte à la tribune pour défendre longuement « les productions familiales injustement touchées ».

La conclusion de ces séances restera à Monsieur le député Grandmaison qui déclare :
« Je constate sans l'apprécier, que c'est la totalité de la récolte de nos petits producteurs de cépages condamnés qui est touchée soit par l'interdiction soit par la distillation obligatoire. Alors que dans les régions responsables de la surproduction, c'est une très faible partie qui sera atteinte par les mesures préconisées, mesures véritablement iniques
 ».

 

La troisième séance du 15 Décembre commence dans le même esprit.
Le député Jaubert parle « d'atteinte à la liberté individuelle des petits vignerons ».
Le Ministre des Finances, monsieur Germain Martin, déclare après quelques échanges aigre-doux "depuis quand s'est développée la culture du Noah en particulier, car enfin, c'est de lui qu'il s'agit: depuis deux ans »? Bronca dans les rangs de l'opposition, sifflets, prises de paroles.


Le Ministre rectifie alors comme il peut:« Je parlais de culture, pas des plants qui sont plus anciens je crois »!!!

Le climat restera tendu jusqu'à la fin des débats, il n'y aura pas de véritable échange.

 

Monsieur le sénateur Rouart rapporteur de la Commission de l'Agriculture présente l'article 6 et parle de « cépages primitivement introduits d'Amérique depuis de longues aimées, qui ont des goûts détestables, tel le Noah, d'autres moins mauvais comme l'Othello et le Clinton qui sont tout de même des cépages inférieurs. On a voulu y joindre en même temps tout ce qu'a apporté l'hybridation française qui est une chose admirable » dit-il.

 

Deux anecdotes pour terminer :


Pour enrayer la surproduction, Monsieur le député Chouffet a proposé que la ration de vin par soldat passe de 1/2 litre à 1 litre.


« Je ne pense pas, a t-il dit, qu'il puisse se trouver quelqu'un ici pour affirmer qu'un litre de vin par jour et par homme soit une ration trop élevée ».


Le Président du Conseil a renchéri: « Je suis tout à fait d'avis que dans la période où le vin est bon marché on fasse un gros effort pour en assurer la consommation et que la troupe bénéficie de plus fortes rations »

.
Sauf que cela ne représentait que 300000 hectolitres volume dérisoire par rapport aux 15 ou 20 millions d'excédents.


Monsieur le sénateur Rouart s'exprimant au nom de la Commission de l'Agriculture fait référence à la proscription du Gamay sous Louis XV et déclare :


« Singulière naïveté du pouvoir absolu, croyant dominer les adaptations naturelles.
Si la volonté royale avait été complètement exécutée, nous serions privés d'un des meilleurs
vins courants de France. »

 

Les extraits ci-dessus sont tirés de « Fruits oubliés »

 

Pour tout renseignements à propos de la « libération de plantation » je suis disponible pour le genre, sans « faire genre », causerie autour d’un verre, style de ce que sait si bien faire François le Débonnaire. Ce sera « off » bien sûr !

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24 juin 2010 4 24 /06 /juin /2010 00:30

« De mon temps » était l’entame favorite de mon grand-père lorsqu’il fustigeait le changement sous toutes ses formes. Elle excédait mon père qui, tout en n’en faisant qu’à sa tête, se gardait bien de contrarier le pépé Louis. Les pères en ce temps-là avaient toujours raison !

Ce n’est pas pour « faire genre » que je la reprends ce matin à mon compte en évoquant ce que, « de mon temps », les communistes, du militant de la cellule Bertie Albrecht du Blanc Mesnil au Secrétaire-Général de la place du Colonel Fabien, qualifiaient de « ligne du Parti ».

C’était le dogme, la référence absolue avec un P majuscule, même pas besoin d’ajouter le C, ce qui marquait chez eux l’intime conviction que ce Parti était unique dans toutes les acceptions du terme. Cette fameuse ligne tracée par les seuls dirigeants du Parti, au nom du Centralisme Démocratique, nul ne pouvait s’en éloigner, ni bien sûr la contester sous peine d’exclusion, il fallait la suivre, s’y tenir, la défendre contre vents et marées et, lorsqu’elle changeait, pour plaire ou obéir aux gardiens du Kremlin, comme un seul homme, tout le monde opérait le virage à 180° sans broncher ni moufter.  Genou-8029.JPG

Si je sors cette vieillerie de la naphtaline ce ni pour saluer le départ de la chef du PCF : « sœur »Marie-Georges Marchais, pardon Buffet, ni pour fêter son remplacement par un petit gars qu’est le fils de son père qu’était moscoutaire, un certain Pierre Laurent.

Mon but est bien plus imagé : je souhaite faire un rapide parallèle entre ceux qui me somment de préciser la ligne de mon espace de liberté et les « petits pères du peuple » du PC flanqués de leurs intellos compagnons de route pour qui « si t’étais pas d’accord avec eux, t’étais donc contre eux, un valet de l’impérialisme américain, un suppôt du grand capital, un allié objectif du pouvoir... ». Tout ça bien sûr au nom de la classe ouvrière.

Implacable dialectique maniée avec cynisme par l’inénarrable Georges et ses obligés du Bureau Politique, avec un peu plus de subtilité par les plumitifs de l’Humanité, qui fourraient dans le même sac tous ceux qui avaient l’audace d’exposer et de défendre des idées contraire à la ligne du Parti. Ils terrorisaient certains socialos, type Chevènement et son Cérès, qui, pour « faire genre » jouaient dans la cour des cryptocommunistes. Pas étonnant que Mélenchon, pur apparatchik, cultive aujourd’hui le même sillon.    

 

Bien évidemment en m’engageant sur le terrain d’une telle comparaison je force à dessein le trait. Si je le fais c’est que l’autre jour un de mes collègues très structuré Ingénieur, qui me lit, m’a interpelé sur mes écrits au resto d’entreprise « T’es où, t’es pour qui, t’es avec qui, t’es contre qui, tu écris parfois tout et le contraire de tout, tu pars dans tous les sens, tu changes souvent de pied, quelle est ta ligne éditoriale ? »

Je le concède je suis désarmant et pas forcément là où l’on m’attend.

Même reproche du côté de Bizeul : « t’écris trop, tu te disperses, tu te contredis... »

Vous me direz l’opinion de 2 individus, aussi estimables et respectables qu’ils fussent, ne sont pas forcément représentatifs de l’opinion générale de mes lecteurs. Mais comme j’ignore ce qu’est votre opinion je me suis dit : faut que tu t’y colle.

Ai-je une ligne ?

Faut-il d’ailleurs que j’en eusse une ?

Tout ce que je sais c’est que j’ai quelques convictions fortes, pas forcément arrêtées mais solides, des valeurs héritées de mon élevage vendéen, une manière d’être, qui peut irriter, dont je ne me suis jamais départi quelle que fut ma position sociale, des engagements liées à ce que je n’oublie jamais de là où je viens. Pour le reste je suis un non-aligné.

Bien sûr, en adoptant cette référence, très connotée guerre froide, marquée du sceau d’un certain Tiers-mondisme, je prends le risque que de beaux esprits qui me veulent du bien me renvoient à la tronche la célèbre expression « 1/3 mondiste, 2/3 mondain... » Pas grave car ici il ne s’agit que de chroniquer sur le vin et ceux qui le font, le vendent, l’aiment, alors que je sois un gandin ou un galopin ne prête pas à conséquences.

Donc foin des références historiques et géostratégiques cette auto-qualification de non-aligné me convient bien. En effet, le non-alignement c’est bien sûr affirmer ne pas vouloir se situer sur la même ligne que celle exprimée et défendue par des groupes dominants. Cependant, il ne s’agit pas pour autant d’un splendide isolement, ni d’une marginalité vertueuse ou hautaine, de la prétention de se situer au-dessus de, mais d’une proximité attentive. D’ailleurs il m’arrive souvent, sur certains sujets, de rejoindre la ligne, de m’en sentir solidaire, de la partager et de la défendre.

Dans mon espace de liberté je me veux accueillant, ouvert, exigeant, courtois sans révérence, le plus pertinent possible en fuyant l’esprit de sérieux grâce à une dose d’impertinence.

Parfois je zigzague, je folâtre, je saute à pieds joints au-dessus de la ligne, je patauge, je m’enlise, je me plante, mais je m’essaie toujours à ouvrir des fenêtres sûr.

Je cherche en permanence, je gratte, je dépiaute, j’argumente mais comme tout un chacun j’ai des doutes, des hésitations, des interrogations, des évolutions.

Je n’ai pas de réponses à tout.

J’aime l’éclectisme.

J’ai des amis que j’aime et que je défens.

J’ai beaucoup de mal avec les purs démolisseurs, les toujours contre, les qui trouvent toujours de bonnes raisons pour ne pas agir, les geignards...

J’aime proposer des pistes, jouer les médiateurs, faire avancer les choses, faire bouger les lignes.

Flexible mais sans forcément lâcher l’essentiel.

Bref, maniant trop souvent l’ironie, j’accepte sans problème que vous m’envoyez une volée de bois vert lorsque, cédant à la facilité, mon bouchon est allé trop loin, plus loin que je ne l’eus souhaité. Ce que je ne supporte pas c’est la mauvaise foi, les réponses éludées, la technique du pilonnage tel qu’on l’enseignait à l’école des cadres du PCF.

Fort bien tout ce plaidoyer pro-domo Berthomeau est bel et beau mais à propos quelle est donc cette fameuse ligne sur laquelle tu ne veux pas t’aligner ?

S’il n’y avait qu’une ligne de conduite dans le monde du vin français ce serait simple, donc pas très français, alors pour faire simple, j’en évoquerais que deux, les plus antinomiques.

Pour me dédouaner je cite pour ce faire un très cher collègue qui, dans un nième rapport non publié sur la compétitivité du secteur du vin, déclare : « Même si c’est difficile, il faut considérer que le vin est un produit de toute la chaîne du savoir-faire français, y compris industriel et de marketing, et pas simplement de tradition et de terroir. Les deux principales AOC (Champagne et Cognac), pourvoyeuses de devises en provenance du marché mondial, sont élaborées et assemblées de façon industrielle et portées notamment par les marques de deux grands groupes (MVMH et Pernod Ricard). Quelques grands négociants de Bourgogne réussissent sur des créneaux par leur réputation professionnelle autant que par des actions marketing ou de publicité. Il en va de même de quelques grands châteaux bordelais »

C’est un peu manichéen, langage d’énarque oblige, mais ça a le mérite de la netteté et pour tracer une ligne ce n’est pas la moindre des qualités.

Donc d’un côté les gardiens de la tradition, du terroir, de la haute dégustation, des élitistes aux naturalistes – qui sont parfois un seul et même groupe qui se divise, se subdivise, se déchire, se déteste, s'excommunie – en passant par ceux qui pensent que tout ce qui est petit est beau et tout ce qui est gros doit-être banni. Les partisans des vins de propriétaires. Les qui se planquent dans le grand fourre-tout des AOC. Le professeur JR Pitte qui voue aux gémonies les vins de va-nu-pieds. Plein de gens très sympathiques, convaincus, passionnés, mais qui refusent le plus souvent gentiment de regarder la réalité de notre vignoble en face.

 

En face, ceux qui font du process industriel et du marketing l’alpha et l’oméga de l’avenir du vin. Ceux qui nous disent de jeter les AOC à la poubelle car tout ça c’est bien trop compliqué pour ces pauvres gars qui arrivent sur le marché du vin. Des globalisateurs, des réducteurs, des débiteurs de plan stratégique sur PowerPoint,  des américains quoi, des gars qui mâchonnent du chewing-gum et bouffent des hamburgers, des adorateurs de l’uniformité pourfendue par Jonathan Nossiter, les oxygénez, oxygénez, les adeptes de vins Parkérisé... Donc un gros tas de gens qui traitent le vin comme une vile marchandise ou pire un produit de luxe pour nouveaux riches.

 

Je caricature bien sûr. 

 

Mais bon, que disait, avec pas beaucoup plus de pincettes, René Renou juste avant de nous quitter ? Et Dieu sait qu’il avait évolué ce cher René !

Je le cite lors d’un de ses derniers Comité National de l’INAO : « Le cadre juridique souhaité par le Comité National permettra de développer la commercialisation des Appellations d'Origine Contrôlées en segmentant leur offre en deux catégories:

  
- la première répondant à des critères stricts de production relatifs à un lien fort au terroir, une notoriété établie alliés à des facteurs humains et naturels. Il s'agit des vins jouissant actuellement d'une forte valeur ajoutée.


- et une seconde, plus souple, qui se mettra en place en concertation avec l'ensemble de la filière, permettant notamment d'utiliser de nouvelles technologies, afin de répondre aux besoins de la production d'accroître sa compétitivité sur le marché international.
»

 

Dans une interview au Monde en mai 2005, il avait expliqué :
« Les syndicats d'AOC ont trop souvent protégé les mauvais. Il faut rompre avec la loi du silence, retrouver une transparence absolue  »

La crise ?

« C'est la profession qui se fait du mal à elle-même,» disait-il sans ambages.
« Jusqu'en 1985, le vignoble français de moyenne et haut de gamme était en situation de monopole, avec un seul code, magique : le lien au terroir, porteur de culture, de luxe», expliquait-il.

« Dans cette situation, vous pouvez faire n'importe quoi. Il y a eu des horreurs, un relâchement absolu.» Hélas, depuis 1985, les Français ne sont plus seuls. «On se réveille dans un univers de concurrence internationale, avec un code de lecture anglo-saxon, plus simple, qui s'est glissé à côté du notre», constatait-il avec réalisme, « Désormais, il ne suffit plus de coller une étiquette « grand vin » pour que le consommateur suive ; si on ne remet pas de l'ordre dans le système, on risque de rester sur le quai !»

 

En me définissant comme un non-aligné je revendique le droit dans mon espace de liberté d’être éclectique, touche à tout, d’aborder tous les vins, ceux qui me plaisent comme ceux qui me plaisent moins, de parler à tout le monde aussi bien les gens qui me plaisent que ceux qui me déplaisent ou me plaisent moins, de porter un regard sur tout et rien, de traiter tous les sujets, de m’adresser à ceux qui ne sont pas dans le cercle des initiés, de les écouter, de leur donner la parole, de faire en sorte d’étendre le domaine du vin sans être trop rasoir, sérieux, pompeux.

Sans doute le résultat tient plus de l’arborescence que de la coupe au carré. Oui c’est parfois touffu, confus, mais la réalité est-elle toujours aussi lisse que la coquille d’un œuf ? Le prêt-à-penser ne fait pas parti de mon projet. Je tente de vous laisser des espaces, de la marge, du champ, pourquoi pas de la hauteur de vue pour donner matière à discuter, à converser... Le vin n’est-il pas avant tout un grand support de convivialité, de savoir vivre ensemble... alors commençons donc entre nous, gens du vin, à mettre en pratique ce minimum d’accord sinon tous nos mots autour du vin ne seront perçus que comme des slogans, des messages formatés, ou comme disent le politiques « des éléments de langage »

Ici, sur mon petit espace de liberté plein d’herbes folles, de haies, de chemins creux, de pâtis avec des vaches, de rivières indolentes, je ne suis qu’un chasseur de papillons qui, avec son épuisette, batifole, cherche à capter l’air du temps, les tendances et attrape ce qu’il peut. Alors ne me demandez pas de suivre de « belles lignes » bien droites je préfère les chemins de traverse mais pour autant je prends le TGV et je roule aussi sur les autoroutes avec ma petite auto où je prends des pruneaux...

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23 juin 2010 3 23 /06 /juin /2010 00:03

Comme j’ai un esprit de contradiction fort développé au lieu de commencer par : « La Roumanie est un pays viticole depuis l'Antiquité. Au flanc des contreforts des Carpathes, il existait de vastes plantations de vignes il y a 2 700 ans, bien avant la colonisation du bord de la mer Noire par les Grecs (7e siècle av. J. C.). Certains vestiges archéologiques attestent même une activité viticole remontant à six millénaires. Quant au vin, il a été produit ici depuis le 7ème siècle av. J-C. Plusieurs sources écrites nous apprennent que la vigne et le vin ont joui d’une grande attention parmi les ancêtres des Roumains, les Daces (des Thraces septentrionaux) » je vais aborder l’Histoire de la vigne et du vin dans ce pays par une période que le régime du Conducător, le « Génie des Carphates » Nicolae Ceauşescu, qualifiait « d’âge d’or »

Si vous souhaitez humer l’atmosphère incomparable de cette période sous un régime au « bilan globalement positif » selon l’inénarrable Georges Marchais allez voir un merveilleux film : « Les contes de l’âge d’or » de Cristian Mungiu. C’est 5 histoires courtes racontées du point de vue des gens ordinaires qui, pour survivre face à l’absurdité de la bureaucratie du Parti, la logique insensée de la dictature, avec un fatalisme et une extraordinaire vitalité, se débrouillent et composent sans le savoir des situations hors du commun, comiques, bizarres et surprenantes.  


CONTES DE L'AGE D'OR- La légende du policier affamé

19203257_jpg-r_160_214-b_1_CFD7E1-f_jpg-q_x-20091124_010552.jpg Après la seconde guerre mondiale, le régime communiste nationalise les vignobles et leur exploitation, confiée à l’Etat. Peu d’investissements et une priorité absolue a été donnée à la quantité : dans les années 1960, la Roumanie est devenue le cinquième plus gros producteur de vin d'Europe. Mais dans les collines de Munténie et d’Olténie (au Sud du pays voir la carte) le petit village de Drobiţa les vignes individuelles sont florissantes. Je vous livre ce qu’en écrit Jean Cuisenier dans Mémoires des Carpathes La Roumanie millénaire : un regard intérieur Terre Humaine chez PLON (2000).

Roumanie_3_CarteVignobles.jpg
« Le vignoble, à Drobiţa comme dans toute la région, se révèle, à l’observation, plus varié qu’il ne paraît d’abord. Aux vignes domestiques, s’opposent massivement celles des coopératives issues de la collectivisation des terres anciennement possédées par les boyards, sur des dizaines d’hectares. De la viticulture pratiquée sur ces dernières, il y a peu à dire. La technique en est entre les mains d’agronomes d’État, l’administration entre les mains de gestionnaires d’État. Là, travaillent des salariés de coopératives, descendants d’anciens petits agriculteurs-vignerons, petit-fils, eux-mêmes, de serfs des boyards. Tout autre est la viticulture pratiquée sur les parcelles laissées, en régime communiste, à la disposition des familles. Celle-ci conserve les éléments d’une viticulture plus ancienne, bien vivantes en ces années 70, plus vivante encore après la chute du régime communiste, en raison du regain de l’économie domestique dans les années 90.

Qu’on imagine des dizaines, des centaines de petites parcelles de quelques ares chacune, voire, pour les plus grandes, de deux ou trois décares. Closes de haies où abondent les arbres fruitiers, framboisiers, cassissiers, noisetiers, elles sont disposées à flanc de coteau entre la montagne et la forêt, au nord, la plaine où s’étendent les anciennes propriétés des boyards, au sud. Un réseau serré de chemins sinueux les dessert, ponctué par des croix plantées à des multiples carrefours. La plupart de ces parcelles sont complantées d’espèces diverses et variées : une ou deux lignes de pommiers et poiriers, deux ou trois cerisiers, un noyer sur une haie. Les pieds de vigne sont disposés en ranges, soigneusement fixés sur échalas, taillés assez bas, aux environs d’un mètre. Si quelques rangs de jeunes ceps viennent renouveler une vieille plantation, des rangs de maïs s’intercalent entre eux, pour ne pas laisser le moindre mètre de terre dans l’improductivité. Tout indique que cette viticulture procède d’un jardinage intensif, ménager de l’espace, privilégiant la pluralité des espèces et le diversification des variétés plutôt que l’abondance de la production et l’économie du temps productif. Il suffit pour s’achever de s’en convaincre, d’examiner comment sont composés les rangs dans une parcelle et répartis les pieds dans un rang. J’ai pu compter, sur une parcelle de onze ares, neuf variétés différentes, et sur chaque rang, trois ou quatre variétés distinctes !

A cette disposition apparemment erratique, deux explications sont données. Ce serait, assure Constantin Cîrciu, « pour tromper les voleurs ». Si ces derniers repèrent sur une vigne des rangs régulièrement plantés en une variété greffée et prisée, ils ont plus vite fait d’opérer leurs prélèvements que s’il leur fallait chercher, pied après pied, les bonnes grappes de raisin à cueillir. Le pope Dabela avance une autre explication. Il ne croît pas à la stratégie de la ruse pour dissuader les voleurs, « car tout le monde, à Drobiţa, a sa vigne et fait son vin ». Il pense que cette manière de planter la vigne est mauvaise, et que l’erreur persiste depuis longtemps. Elle révèlerait une autre stratégie, consciemment gustématique : « Chacun, assure-t-il, veut avoir un peu de vin de chaque variété, pour en goûter la qualité et apprécier la différence ; un peu de Nova plus corsé, un peu de Noc, plus léger ; et aussi faire des mélanges à son goût. »

Ces deux explications ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Et fort insuffisantes l’une et l’autre. Car le degré de compétence des cultivateurs de vignes domestiques est, à Drobiţa, très inégal. Pour un Constantin Cîrciu, expert en greffage et en traitements, nombreux sont les Virgil Gîngioveanu ou les Dinu Sîrbu qui savent tout juste biner et tailler. Qui se contentent du vin pressé et fermenté dans leur cellier, même si le goût en est acide et l’arôme évanescent. Mais qui, pour rien au monde, ne se passeraient des avantages de la production domestique : sa gratuité monétaire, sa disponibilité, sa destination. Car en ce pays de vieille culture méditerranéenne, la valeur vénale du vin n’est rien par rapport à sa valeur d’usage, et sa valeur d’usage, rien par rapport à sa valeur symbolique et sociale. Goûter ses vins, faire ses propres assemblages, suivre son vieillissement, l’offrir aux repas de fête, tout cet ensemble concourt au rang social et au prestige de la famille. Et pour ceux qui en ont le temps, on va cueillir son raisin, variété par variété, pied par pied, grappe par grappe, au moment où il le faut pour une exacte maturation. »
Chou-7056.JPG 

 

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22 juin 2010 2 22 /06 /juin /2010 00:09

J'exagère bien sûr. L'art du jet post-dégustatif, précis, sans éclaboussure, n'est pas à la portée du premier goûteur venu. Dans les multiples lieux de dégustion au premier regard il est facile de faire le tri entre les grands pros et la piétaille gazouillante. Pour moi y'a du Clint Eastwood, dans un de ses film-culte «Impitoyable», chez ces maîtres dégustateurs : ils ne se vautrent pas au-dessus du baquet, buste droit, décontractés, à l'instant crucial la bouche se fait cul de poule et le vin, en une courbe élégante, s'élance vers sa triste fin. Chapeau les artistes !

Je plaisante à peine mais, ce qui me semble naturel et recommandé en des lieux où il n'y a pas d'autre issue, me semble totalement incongru en d'autres lieux publics, tout particulièrement le restaurant. Rassurez-vous, je ne repasse pas les plats http://www.berthomeau.com/article-lettre-ouverte-au-president-de-l-universite-du-vin-de-suze-la-rousse-a-propos-de-miss-glou-glou-50442183.html mais je vous propose de lire ci-dessous une prise de position militante d'un éminent dégustateur (la lire avant de croquer ma chronique vous sera utile). C'est un vrai bonheur. Je me gondole grave. Comme l’aurais dit le regretté Francis Blanche : « c’est vareuse, c’est vareuse... pardon c’est tunique... » et notre grand Desproges aurait lui sans doute eu des mots uniques pour tailler un costar aux promoteurs du « Recracher le vin au restaurant » nouvelle pratique préconisée, sans malice, par un vigneron à Miss Glou Glou sur son blog

 

« Je suis mille fois d’accord avec miss glou glou. Cette idée, je l’ai depuis longtemps, et j’essaie d’en convaincre les autres. Enchaînant les repas avec de nombreux vins les uns après les autres, c’est un atout pour la santé. J’ai un gobelet en argent (mais l’argent n’est pas obligatoire bien sûr) qui me permet de le faire avec une discrétion totale, puisque quelqu’un à ma table m’a demandé : « mais pourquoi buvez-vous le vin dans cette timbale au lieu de le boire dans votre verre ». Donc, c’est discret. Ensuite, je quitte le repas l’esprit léger, même quand on s’est partagé nettement plus d’une bouteille par personne en moyenne. Enfin, on goûte mieux quand on recrache car l’air qui pénètre en bouche exacerbe le final. De plus, ça devrait intéresser les vignerons, car on boit beaucoup plus quand on recrache : on ouvre toujours une bouteille de plus. Si on veut avoir le délicieux picotement du vin que l’on avale, eh bien, on avale une fois sur trois et on a l’excitation du vin sans la lourdeur. Oui, je recommande l’extension de cette pratique qui n’a que des avantages. » François Audouze

 

Toutes les pratiques entre adultes consentant sont admissibles, défendables, j’en conviens aisément sans pour autant en appeler, comme le vigneron Philippe Gimel du domaine Saint Jean de Barroux, le promoteur de la pratique, au respect de la démocratie ; la pauvre est déjà fort fourbue sans qu’on lui jetât en plus sur le dos une aussi petite cause. En effet, à trop vouloir prouver le risque est grand de donner des arguments à ceux qui guettent la moindre occasion pour stigmatiser la simple pratique de boire du vin, à table ou ailleurs. Le double argument avancé que c’est à la fois bon pour la santé « c’est un atout pour la santé » et « de plus, ça devrait intéresser les vignerons, car on boit beaucoup plus quand on recrache... » Pas mal comme dynamisation du marché – en l’occurrence ici celui des GCC ou des raretés – qui s’apparente, si l’on pousse la logique jusqu’à son terme, pour des vins bien plus modestes vers l’écoulement des surplus dans le caniveau. Nos « amis » les cagoulés du CRAV ont pratiqué, et pratiquent encore parfois, ce sport.

 

Bien sûr, je comprends parfaitement que les Stakhanov de la dégustation, les inimitables goûteurs de vin, l’élite de l’élite quoi, tel François Audouze, qui enchaînent « les repas avec de nombreux vins les uns après les autres » recrachassent une partie des breuvages proposés à leurs yeux, leur nez, leur palais, pour garder intact leur plaisir intellectuel. Toutefois je m’interroge au vue des nourritures solides qui accompagnent les vins – j’insiste sur cet ordre – ne sont-elles pas, par leur richesse, très nuisibles pour la santé des « enchaînés » ?

 

Passe encore, je suis contre les interdits, simplement, laissant à chacun sa liberté de choix, une question bien plus importante me taraude : pourquoi va-t-on au restaurant entre amis, en famille, en amoureux ?

Pour goûter du vin ?

Manifestement non pour une écrasante majorité de gens, leurs motivations sont multiples, depuis la plus simple : se nourrir jusqu’au plaisir de la gastronomie la plus raffinée. Donc si, cédant à la maladie des sondages, nous interrogions à la sortie des restaurants «monsieur et madame tout le monde» je ne pense pas que le pourcentage de ceux ayant choisi d’aller au restaurant pour goûter du vin dépasserait le seuil du significatif. En effet, peu de gens alignent de nombreux vins sur leur table de restaurant, encore heureux quand ils en commandent.

Alors, il me semblerait plus pertinent, plutôt que de militer pour la vidange, même dans un gobelet d’argent – et pourquoi pas chez les étoilés dans des vasques portées par des serviteurs – pour améliorer la santé financière de beaucoup de vignerons de se battre pour que les prix des vins au restaurant soit plus raisonnables, pour un service au verre digne et abordable et la proposition d’emporter chez soi dans de bonnes conditions, comme aux Papilles par exemple, la bouteille non entièrement consommée...

Que les goûteurs de vin fassent comme bon leur semble, au restaurant ou ailleurs, peu me chaut mais de grâce qu’ils veuillent bien nous épargner «l’extension du domaine du vin perdu sans être bu» car vraiment c’est à la fois une bien triste fin que de finir sa vie à l’égout. Certes le vin n’est pas nécessaire à la vie de nos corps mais il est si utile à celle de nos cœurs et de nos âmes par son passage furtif, enivrant parfois, en nos mortelles carcasses que de le pisser me semble de nos jours si coincés, si intellectualisés, un acte profondément «révolutionnaire» 

 

Pour mémoire une chronique de mars 2009 « Il vaut mieux être saoul que con, ça dure moins longtemps» à intégrer dans le Manuel du petit dégustateur borné   http://www.berthomeau.com/article-28979241.html  Il s’agissait ici des dégustateurs patentés et non des dégustateurs distingués...

 

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21 juin 2010 1 21 /06 /juin /2010 00:09

La langue de la rue claque, pète, se vautre, elle accroche, capte, détourne, met cul sur tête les choses de la vie avec ironie, dérision, gouaille. Ses mots ou ses expressions marqueuses du temps, d’abord confinés au sein de tribus en des zones dites « mal fréquentées », s’installent dans le langage courant, sont adoptées par monsieur et madame tout le monde avant parfois de faire leur entrée dans le Petit Larousse Illustré.

 

Tel est le cas de l’expression « faire genre » qui, traduite en langage « correct » signifie faire croire ou accroire quelque chose qui ne repose sur aucune réalité, faire comme si pour masquer ses insuffisances ou pour combler son absence de résultat. L’interjection « genre » qui ponctue une phrase marque, elle aussi, le côté je me donne une belle contenance en dépit de mon côté tocard, creux, parvenu ou minable. L’utilisation d’un synonyme : « style » ou « faire style » permet à certains, adeptes du « franglish » de se distinguer de la piétaille en prononçant « staile »

 

Ces précisions linguistiques étant faites, je me dois d’argumenter mon affirmation selon laquelle : « faire genre » constituerait la nouvelle attitude des concepteurs de vin. Précision : j’aurais du écrire de certains concepteurs de vin. Autre précision : par conception du vin j’entends bien sûr le vin lui-même, mais aussi son « packaging » et la communication qui va avec. Enfin, cette chronique ne constitue qu’une ébauche, elle n’épuise pas le sujet ce qui signifie que vous pouvez l’enrichir ou la démolir selon votre inclinaison.

 

Dans le genre « faire genre », je m’attacherai à 2 tendances lourdes : la tendance 4x4 en ville et la tendance over-rose. La première peut se résumer par « il fait des vins qui ont des tronches de GCC pour ceux qui veulent faire genre » ; la seconde, plus style, se décline ainsi « il fait des rosés éthérés fagotés comme des minettes évaporées pour des mecs et des gonzesses qui veulent faire style ». À dessein je n’ai utilisé que le pronom il afin de bien marquer la prédominance mâle encore très marquée sur la conception du vin (propriétaires emblématiques, vignerons médiatiques, œnologues-stars, critiques et notateurs divers...)

 

La tendance 4x4 en ville relève du détournement de fonction. En effet, à l’origine le 4x4 est un véhicule tous terrains bien utile pour les zones difficiles : le légendaire Land Rover roi du désert. Sa transplantation en ville traduit la quintessence du « faire genre » avec bien évidemment toute la palette du paraître : du grossier Hummer (victime de la déconfiture des grands constructeurs américains) à l’élégant Cayenne en passant par toute une flopée de japonais, d’allemands et bien évidemment de pâles français). Le même phénomène s’applique avec une belle homothétie aux vins « de statut » depuis que la crème des GCC s’envole vers des cimes inaccessibles au commun des « qui se la pètent grave ». Nous assistons donc à une course effrénée au captage de buveurs d’étiquettes. À toutes fins utiles je signale que je ne fais ici qu’un pur constat et que, comme pour les 4x4 en ville, les vendeurs de vin vont allécher la demande là où elle se trouve.

 

La tendance over-rose frise, elle, la caricature. C’est une déferlante, la danse du ventre, la ruée du rose fadasse sur la « génération soft drink » des gars et des filles qui boivent glacé avec une paille, qui se baladent en Repetto été comme hiver pour les bimbos, se fringuent comme un titulaire de RMI pour aller à user leurs fonds de jeans troué, à 200 euros l’unité, sur les bancs de Janson-de-Sailly, qui passent leur vie sur Facebook et sur Twitter, qui bouffent des séries américaines...

Entendez-moi bien, que ce segment de marché en plein boom suscite un regain d’intérêt de la part des concepteurs de vin est dans l’ordre des choses, ce qui suscite ma légère ironie c’est l’adoption quasi-unanime des mêmes codes. Comme si le rosé, qui n’est pas comme ses frères baptisé d’un nom de couleur, en rajoutait dans le rose. Ce n'est plus du vin mais de la layette.

Le plus étonnant dans cette affaire, alors que les Provençaux au nom du rosé authentique se sont portés au front, ont terrassé l’hydre européenne, ce produit se massifie, s’enfonce dans l’uniformité voire même la banalité. À force de vouloir « faire genre », style jupe Vichy, dans toutes les catégories de vins, plus personne n’y retrouve ses petits. Sans avancer le syndrome Beaujolais Nouveau, le nouveau de nos jours vieillit vite, pour consolider la vague rose un peu de créativité ne nuirait pas. Si ça vous dit lire ou relire la chronique http://www.berthomeau.com/article-over-rose-notre-rose-du-camping-des-flots-bleus-a-l-anti-strategie-de-l-ocean-bleu-51361072.html

 

Pour ne pas vous laisser sur l’impression que je passe mon temps à remonter les bretelles à tout le monde à propos de tout et de rien je vous signale que, moi aussi, je fais genre. En effet, comme je l’ai écrit dans mes chroniques je ne suis qu'« un dégustateur imposteur ». Je fais genre avec mes beaux costars et mes Richelieu bien cirées mais, ne vous y trompez pas, je donne le change... car je suis un bad boy !

 

Si ça vous dit encore à propos de l'affaire d'Etat du Nicolas  lire  http://www.les5duvin.com/article-mal-eleves-les-vins-les-gamins-et-les-soi-disant-responsables-en-peau-de-lapin-52639678.html

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20 juin 2010 7 20 /06 /juin /2010 02:18

Comment allions-nous faire pour nous éclipser sans éveiller l’attention de nos cerbères ? L’avion décollait au milieu de l’après-midi et, par chance, l’aéroport se situait à quelques kilomètres de notre hôtel. L’achat de nos billets, via l’agence d’Air France à Prague, fut le premier test de notre capacité à passer au travers des mailles du filet. Mon choix de la Compagnie Française, qui assurait la représentation de SAS dans la capitale tchécoslovaque, n’était pas du tout innocent. Je m’y étais rendu sitôt que nous avions formé le projet de nous éclipser et j’avais remarqué que le personnel y était jeune et français. Ce constat m’avait mis en confiance car la mauvaise conscience des français vis-à-vis de ressortissants algériens, surtout celle de la génération qui n’avait pas participé sous les drapeaux au conflit, me paraissait un gage d’un service rapide et discret. Jeanne se chargeait de l’achat et tout se déroula pour le mieux. J’ignorais si les services de la police aux frontières examinaient les listes des noms des passagers en partance. Le risque existait mais nous devions bien évidemment le courir. Restait maintenant à organiser le scénario de notre départ. Devions-nous partir ensemble ou prendre des chemins séparés ? Nous optâmes pour la seconde branche de l’alternative, plus discrète, en convenant, bien sûr que si l’un de nous deux se faisait choper avant l’arrivée dans l’aéroport, l’autre ne monterait pas dans l’avion. J’avais tenté de convaincre Jeanne de partir si c’était moi qui me retrouvais dans cette situation. « Moi je ne risque pas grand-chose, alors que toi tu es vraiment dans le collimateur des cosaques... » Elle refusa.

 

Officiellement, le matin de notre départ, Jeanne serait malade et garderait la chambre. En fait, avant que le jour ne se lève, elle partirait en petites foulées, traverserait le massif forestier fort bien balisé pour aller se réfugier au petit matin dans un parc animalier où elle jouerait les touristes jusqu’à la fin de la matinée. Notre chance c’est que le personnel de service de l’hôtel, que nous avions arrosé de dollars, nous avait à la bonne et il ne viendrait pas fourrer son nez dans notre chambre ce matin-là. Restait à régler les modalités de mon propre départ. Pour donner le change je décidais de beaucoup me montrer, d’aller et de venir auprès des officiels, de les saturer de ma présence pour que le moment venu ils ne s’étonnent pas de mon absence. Pour arriver dans de bonnes conditions à l’aéroport je devais m’éclipser sitôt le déjeuner. Nos amis tchécoslovaques, pour mieux surveiller nos aller-venues, nous transbordaient dans de petits autobus ou même parfois dans des limousines. Jeanne et moi nous nous étions soumis sans rechigner à cette contrainte. Toutes nos escapades, avec leur assentiment, se déroulèrent dans la bonne ville de Prague, pour des temps limités, et avec des motifs culturels. De plus, le temps passant l’attention de nos chiens de garde s’émoussaient. Notre bonne conduite les endormait. Plutôt que d’inventer un gros bobard j’optai pour un coup de poker.

 

Chaque jour, une camionnette conduite par un vieux pépère très porté sur le schnaps se rendait à l’aéroport en début d’après-midi pour aller récupérer la presse internationale qui était ensuite distribuée aux différentes délégations. Mes relations avec le préposé étaient des meilleures. Je lui avais, en effet, procuré une bouteille de Cognac que j’avais déniché dans un magasin d’Etat réservé aux hiérarques auquel lui, simple pékin, n’avait pas accès. À plusieurs reprises je l’avais accompagné. Mon plan était simple mais risqué. Après le déjeuner j’annoncerais très officiellement que je devais me rendre à l’ambassade d’Algérie pour y réceptionner des documents arrivés par la valise diplomatique. Les seconds couteaux des services de Sécurité sont toujours très respectueux vis-à-vis de ceux qui manient des documents de ce type. Ma demande les prendrait de court. La bureaucratie à en horreur l’improvisation. Afin de leur sortir une épine du pied je proposerais d’accompagner le préposé à la presse à l’aéroport puis de là je prendrais le bus pour me rendre à l’ambassade. De nouveau c’était risqué mais jouable. Si tout fonctionnait comme je l’envisageais à l’aéroport il me serait facile de me défaire du brave pépère. Dernier point d’importance : nous ne pouvions, sans éveiller les soupçons des douaniers, partir pour l’Amérique du Sud sans bagage. Jeanne ne pouvait faire son petit footing munie d’une valise et moi partir à l’ambassade avec armes et bagages. C’est Ernesto, l’amoureux transi qui me procura la solution.     

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