« De mon temps » était l’entame favorite de mon grand-père lorsqu’il fustigeait le changement sous toutes ses formes. Elle excédait mon père qui, tout en n’en faisant qu’à sa tête, se gardait bien de contrarier le pépé Louis. Les pères en ce temps-là avaient toujours raison !
Ce n’est pas pour « faire genre » que je la reprends ce matin à mon compte en évoquant ce que, « de mon temps », les communistes, du militant de la cellule Bertie Albrecht du Blanc Mesnil au Secrétaire-Général de la place du Colonel Fabien, qualifiaient de « ligne du Parti ».
C’était le dogme, la référence absolue avec un P majuscule, même pas besoin d’ajouter le C, ce qui marquait chez eux l’intime conviction que ce Parti était unique dans toutes les acceptions du terme. Cette fameuse ligne tracée par les seuls dirigeants du Parti, au nom du Centralisme Démocratique, nul ne pouvait s’en éloigner, ni bien sûr la contester sous peine d’exclusion, il fallait la suivre, s’y tenir, la défendre contre vents et marées et, lorsqu’elle changeait, pour plaire ou obéir aux gardiens du Kremlin, comme un seul homme, tout le monde opérait le virage à 180° sans broncher ni moufter.
Si je sors cette vieillerie de la naphtaline ce ni pour saluer le départ de la chef du PCF : « sœur »Marie-Georges Marchais, pardon Buffet, ni pour fêter son remplacement par un petit gars qu’est le fils de son père qu’était moscoutaire, un certain Pierre Laurent.
Mon but est bien plus imagé : je souhaite faire un rapide parallèle entre ceux qui me somment de préciser la ligne de mon espace de liberté et les « petits pères du peuple » du PC flanqués de leurs intellos compagnons de route pour qui « si t’étais pas d’accord avec eux, t’étais donc contre eux, un valet de l’impérialisme américain, un suppôt du grand capital, un allié objectif du pouvoir... ». Tout ça bien sûr au nom de la classe ouvrière.
Implacable dialectique maniée avec cynisme par l’inénarrable Georges et ses obligés du Bureau Politique, avec un peu plus de subtilité par les plumitifs de l’Humanité, qui fourraient dans le même sac tous ceux qui avaient l’audace d’exposer et de défendre des idées contraire à la ligne du Parti. Ils terrorisaient certains socialos, type Chevènement et son Cérès, qui, pour « faire genre » jouaient dans la cour des cryptocommunistes. Pas étonnant que Mélenchon, pur apparatchik, cultive aujourd’hui le même sillon.
Bien évidemment en m’engageant sur le terrain d’une telle comparaison je force à dessein le trait. Si je le fais c’est que l’autre jour un de mes collègues très structuré Ingénieur, qui me lit, m’a interpelé sur mes écrits au resto d’entreprise « T’es où, t’es pour qui, t’es avec qui, t’es contre qui, tu écris parfois tout et le contraire de tout, tu pars dans tous les sens, tu changes souvent de pied, quelle est ta ligne éditoriale ? »
Je le concède je suis désarmant et pas forcément là où l’on m’attend.
Même reproche du côté de Bizeul : « t’écris trop, tu te disperses, tu te contredis... »
Vous me direz l’opinion de 2 individus, aussi estimables et respectables qu’ils fussent, ne sont pas forcément représentatifs de l’opinion générale de mes lecteurs. Mais comme j’ignore ce qu’est votre opinion je me suis dit : faut que tu t’y colle.
Ai-je une ligne ?
Faut-il d’ailleurs que j’en eusse une ?
Tout ce que je sais c’est que j’ai quelques convictions fortes, pas forcément arrêtées mais solides, des valeurs héritées de mon élevage vendéen, une manière d’être, qui peut irriter, dont je ne me suis jamais départi quelle que fut ma position sociale, des engagements liées à ce que je n’oublie jamais de là où je viens. Pour le reste je suis un non-aligné.
Bien sûr, en adoptant cette référence, très connotée guerre froide, marquée du sceau d’un certain Tiers-mondisme, je prends le risque que de beaux esprits qui me veulent du bien me renvoient à la tronche la célèbre expression « 1/3 mondiste, 2/3 mondain... » Pas grave car ici il ne s’agit que de chroniquer sur le vin et ceux qui le font, le vendent, l’aiment, alors que je sois un gandin ou un galopin ne prête pas à conséquences.
Donc foin des références historiques et géostratégiques cette auto-qualification de non-aligné me convient bien. En effet, le non-alignement c’est bien sûr affirmer ne pas vouloir se situer sur la même ligne que celle exprimée et défendue par des groupes dominants. Cependant, il ne s’agit pas pour autant d’un splendide isolement, ni d’une marginalité vertueuse ou hautaine, de la prétention de se situer au-dessus de, mais d’une proximité attentive. D’ailleurs il m’arrive souvent, sur certains sujets, de rejoindre la ligne, de m’en sentir solidaire, de la partager et de la défendre.
Dans mon espace de liberté je me veux accueillant, ouvert, exigeant, courtois sans révérence, le plus pertinent possible en fuyant l’esprit de sérieux grâce à une dose d’impertinence.
Parfois je zigzague, je folâtre, je saute à pieds joints au-dessus de la ligne, je patauge, je m’enlise, je me plante, mais je m’essaie toujours à ouvrir des fenêtres sûr.
Je cherche en permanence, je gratte, je dépiaute, j’argumente mais comme tout un chacun j’ai des doutes, des hésitations, des interrogations, des évolutions.
Je n’ai pas de réponses à tout.
J’aime l’éclectisme.
J’ai des amis que j’aime et que je défens.
J’ai beaucoup de mal avec les purs démolisseurs, les toujours contre, les qui trouvent toujours de bonnes raisons pour ne pas agir, les geignards...
J’aime proposer des pistes, jouer les médiateurs, faire avancer les choses, faire bouger les lignes.
Flexible mais sans forcément lâcher l’essentiel.
Bref, maniant trop souvent l’ironie, j’accepte sans problème que vous m’envoyez une volée de bois vert lorsque, cédant à la facilité, mon bouchon est allé trop loin, plus loin que je ne l’eus souhaité. Ce que je ne supporte pas c’est la mauvaise foi, les réponses éludées, la technique du pilonnage tel qu’on l’enseignait à l’école des cadres du PCF.
Fort bien tout ce plaidoyer pro-domo Berthomeau est bel et beau mais à propos quelle est donc cette fameuse ligne sur laquelle tu ne veux pas t’aligner ?
S’il n’y avait qu’une ligne de conduite dans le monde du vin français ce serait simple, donc pas très français, alors pour faire simple, j’en évoquerais que deux, les plus antinomiques.
Pour me dédouaner je cite pour ce faire un très cher collègue qui, dans un nième rapport non publié sur la compétitivité du secteur du vin, déclare : « Même si c’est difficile, il faut considérer que le vin est un produit de toute la chaîne du savoir-faire français, y compris industriel et de marketing, et pas simplement de tradition et de terroir. Les deux principales AOC (Champagne et Cognac), pourvoyeuses de devises en provenance du marché mondial, sont élaborées et assemblées de façon industrielle et portées notamment par les marques de deux grands groupes (MVMH et Pernod Ricard). Quelques grands négociants de Bourgogne réussissent sur des créneaux par leur réputation professionnelle autant que par des actions marketing ou de publicité. Il en va de même de quelques grands châteaux bordelais »
C’est un peu manichéen, langage d’énarque oblige, mais ça a le mérite de la netteté et pour tracer une ligne ce n’est pas la moindre des qualités.
Donc d’un côté les gardiens de la tradition, du terroir, de la haute dégustation, des élitistes aux naturalistes – qui sont parfois un seul et même groupe qui se divise, se subdivise, se déchire, se déteste, s'excommunie – en passant par ceux qui pensent que tout ce qui est petit est beau et tout ce qui est gros doit-être banni. Les partisans des vins de propriétaires. Les qui se planquent dans le grand fourre-tout des AOC. Le professeur JR Pitte qui voue aux gémonies les vins de va-nu-pieds. Plein de gens très sympathiques, convaincus, passionnés, mais qui refusent le plus souvent gentiment de regarder la réalité de notre vignoble en face.
En face, ceux qui font du process industriel et du marketing l’alpha et l’oméga de l’avenir du vin. Ceux qui nous disent de jeter les AOC à la poubelle car tout ça c’est bien trop compliqué pour ces pauvres gars qui arrivent sur le marché du vin. Des globalisateurs, des réducteurs, des débiteurs de plan stratégique sur PowerPoint, des américains quoi, des gars qui mâchonnent du chewing-gum et bouffent des hamburgers, des adorateurs de l’uniformité pourfendue par Jonathan Nossiter, les oxygénez, oxygénez, les adeptes de vins Parkérisé... Donc un gros tas de gens qui traitent le vin comme une vile marchandise ou pire un produit de luxe pour nouveaux riches.
Je caricature bien sûr.
Mais bon, que disait, avec pas beaucoup plus de pincettes, René Renou juste avant de nous quitter ? Et Dieu sait qu’il avait évolué ce cher René !
Je le cite lors d’un de ses derniers Comité National de l’INAO : « Le cadre juridique souhaité par le Comité National permettra de développer la commercialisation des Appellations d'Origine Contrôlées en segmentant leur offre en deux catégories:
- la première répondant à des critères stricts de production relatifs à un lien fort au terroir, une notoriété établie alliés à des facteurs humains et naturels. Il s'agit des vins jouissant actuellement d'une forte valeur ajoutée.
- et une seconde, plus souple, qui se mettra en place en concertation avec l'ensemble de la filière, permettant notamment d'utiliser de nouvelles technologies, afin de répondre aux besoins de la production d'accroître sa compétitivité sur le marché international. »
Dans une interview au Monde en mai 2005, il avait expliqué :
« Les syndicats d'AOC ont trop souvent protégé les mauvais. Il faut rompre avec la loi du silence, retrouver une transparence absolue »
La crise ?
« C'est la profession qui se fait du mal à elle-même,» disait-il sans ambages.
« Jusqu'en 1985, le vignoble français de moyenne et haut de gamme était en situation de monopole, avec un seul code, magique : le lien au terroir, porteur de culture, de luxe», expliquait-il.
« Dans cette situation, vous pouvez faire n'importe quoi. Il y a eu des horreurs, un relâchement absolu.» Hélas, depuis 1985, les Français ne sont plus seuls. «On se réveille dans un univers de concurrence internationale, avec un code de lecture anglo-saxon, plus simple, qui s'est glissé à côté du notre», constatait-il avec réalisme, « Désormais, il ne suffit plus de coller une étiquette « grand vin » pour que le consommateur suive ; si on ne remet pas de l'ordre dans le système, on risque de rester sur le quai !»
En me définissant comme un non-aligné je revendique le droit dans mon espace de liberté d’être éclectique, touche à tout, d’aborder tous les vins, ceux qui me plaisent comme ceux qui me plaisent moins, de parler à tout le monde aussi bien les gens qui me plaisent que ceux qui me déplaisent ou me plaisent moins, de porter un regard sur tout et rien, de traiter tous les sujets, de m’adresser à ceux qui ne sont pas dans le cercle des initiés, de les écouter, de leur donner la parole, de faire en sorte d’étendre le domaine du vin sans être trop rasoir, sérieux, pompeux.
Sans doute le résultat tient plus de l’arborescence que de la coupe au carré. Oui c’est parfois touffu, confus, mais la réalité est-elle toujours aussi lisse que la coquille d’un œuf ? Le prêt-à-penser ne fait pas parti de mon projet. Je tente de vous laisser des espaces, de la marge, du champ, pourquoi pas de la hauteur de vue pour donner matière à discuter, à converser... Le vin n’est-il pas avant tout un grand support de convivialité, de savoir vivre ensemble... alors commençons donc entre nous, gens du vin, à mettre en pratique ce minimum d’accord sinon tous nos mots autour du vin ne seront perçus que comme des slogans, des messages formatés, ou comme disent le politiques « des éléments de langage »
Ici, sur mon petit espace de liberté plein d’herbes folles, de haies, de chemins creux, de pâtis avec des vaches, de rivières indolentes, je ne suis qu’un chasseur de papillons qui, avec son épuisette, batifole, cherche à capter l’air du temps, les tendances et attrape ce qu’il peut. Alors ne me demandez pas de suivre de « belles lignes » bien droites je préfère les chemins de traverse mais pour autant je prends le TGV et je roule aussi sur les autoroutes avec ma petite auto où je prends des pruneaux...