Parlons peu mais parlons vin… J’ai participé lundi de la semaine passée, chez l’ami Yves Legrand à Issy, aux assises des cavistes professionnels qui se sont regroupés dans un du tout nouveau syndicat des cavistes : les indépendants, les franchisés, les chaînes, les grands et les petits…
Et puis je lis à la fin de la semaine dans l’excellente revue de presse de Catherine Bernard dans Vitisphère.
« En attendant, nous avons nous Nicolas. Le magazine économique Capital link décrypte dans une enquête fouillée « comment le petit Nicolas est devenu un géant du vin ».
Le secret du succès repose peut-être dans ce raccourci : « La chaîne se donne des airs de petit caviste. Mais en réalité, ses méthodes imitent celles de la grande distribution». « Chez Nicolas, on ne badine pas avec les consignes. C’est d’ailleurs l’un des secrets du plus célèbre caviste de France : une organisation ultra centralisée, quasi militaire, calquée sur celle de la grande distribution. Et tant pis si cette mécanique bien rodée lui vaut le dédain de bon nombre d’œnophiles et autres amoureux du terroir, qui fustigent ces «supermarchés déguisés en petits marchands de vin».
A 190 ans, la maison n’a plus à faire ses preuves. Avec ses 466 boutiques, Nicolas accapare à lui seul 10% des ventes réalisées par les 10 000 cavistes de France. Soit 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011 pour un bénéfice opérationnel de 13,6 millions ». Propriété du groupe Castel depuis 1988, on apprend que tout comme Leclerc, Nicolas a un père petit commerçant, Louis Nicolas, qui, « le premier, avait eu l’idée de vendre le vin en fûts à une époque où l’on se désaltérait surtout dans les tavernes ». C’était en 1822.
L’enquête d’Emmanuelle Andreani commence à Thiais, siège de l’enseigne, dans le laboratoire où sont sélectionnés les vins : « Pour entrer chez Nicolas, il ne suffit pas d’être bien noté en goût. La maison est très attentive à la typicité du vin, c’est-à-dire au fait qu’il respecte son appellation. «Un bourgogne qui ressemble à du chinon, même s’il est excellent, ne sera pas retenu», explique le DG, Eudes Morgan. La mode des vins biodynamiques et sans soufre attendra : Nicolas privilégie les valeurs sûres ». Elle se poursuit avec la logistique « d’une impressionnante précision », et se termine dans les boutiques avec les techniques de vente des cavistes : « pour être embauchés, les apprentis cavistes n’ont nul besoin de connaître la différence entre un volnay et un gevrey-chambertin. Nicolas se fait fort de leur apprendre le b.a.ba de la bonne bibine en seulement un mois. Soit deux semaines de formation au siège et deux semaines en magasin pour s’initier aux cépages et appellations ». La phrase magique apprise au cours de cette formation ? « Oui, il est très bon ce vin, je l’ai bu hier soir avec ma femme ». Rien que du bon sens. »
Je prends bonne note de tout ça mais en ajoutant que ça ne me satisfait pas : la typicité d’une appellation et pourquoi pas celle du camion de livraison qui assure la logistique « d’une impressionnante précision »,. Alors que j’ai entendu chanter lundi, l’amour du vin, le supplément d’âme, et autres antiennes sur le métier de caviste, à juste titre d’ailleurs, ici c’est plutôt : dépotons, dépotons, et j’en arrive à ma petite chanson du titre tirée du film culte : La vie est un long fleuve tranquille d’Étienne Chatilliez
« Et quand il reviendra sur notre terre (sur notre terre)
Il donnera à manger à tous nos frères (à tous nos frères)
Car comme à Cana, il multipliera
Le pain et le vin sur la terre »
Toujours en fin de semaine, chez un bouquiniste de l’avenue Victor Hugo, par un hasard comme je les aime, je découvre ça :
Attention, ne vous méprenez pas, je ne remets pas en question la capacité et le savoir-faire de la maison Nicolas à vendre du vin, beaucoup de vin mais je tenais à souligner en petit observateur du petit monde du vin depuis plus de trente ans que je me souvenais de Pierre Boisset l'emblématique acheteur de cette vieille maison. Voici une chronique de Bernard Franck dans le Nouvel Obs. du 14 décembre 1989.
Attention aucune nostalgie chez moi, ni même de regrets, mais lorsque je passe dans la rue Daguerre pour faire mes emplettes sur les 5 cavistes qui se serrent sur les 2 ou 300 premiers mètres, lorsqu’on arrive par l’avenue du Maréchal Leclerc, je cherche souvent l’âme du vin chez certains…C'est froid, commercial au sens péjoratif, des bouteilles des bouteilles, des opérations de promotion, du marketing d'enseigne, c'est lisse, bien rangé, des références, des prix parfois, mais peu de véritables découvertes, de coup de coeur, pas beaucoup d'innovation depuis les petites récoltes. Mais peu importe, je ne suis pas dans le coeur de cible sans doute mais à force de ne pas prendre certains trains on ne capte guère la nouvelle chalandise, les clients de demain. J'ai connu ça lors du grand virage des années 80... Monoprix est plus sexy; la proximité, la concurrence, y'en a pour tous les goûts et toutes les bourses mais reste que dans les 10 ans qui viennent le commerce du vin va devoir se recaler car le gros des consommateurs, les baby-boomer retraités, vont laisser la place à tous ces néo-consommateurs. Libre à chacun de les ignorer et de les négliger comme au bon vieux temps du vin de table dominateur.
« Pendant quarante-deux ans, Pierre Boisset a parcouru cette France profonde qui arrache des trémolos à nos hommes politiques. Exactement de février 1948 à mars 1989. Et sur ces quarante-deux ans, il en a consacré trente-sept comme acheteur-dégustateur en vin de la société Nicolas, dont il s'est séparé en 1984. Assez fraîchement. La maison n'était plus la maison. Mais, rassurez-vous, si vous êtes un habitué de la famille glouglou, quatre ans plus tard « l'entreprise revint dans les traditions du métier lorsque la société Castel reprit l'affaire tout en lui gardant son originalité et ses objectifs ». 84 est généralement considéré par les experts comme une petite année, « avec des exceptions, allez savoir pourquoi, dans les chardonnays de la côte des blancs de Bourgogne et dans les sauvignons de Pouilly et Sancerre, qui» n'ont pas tellement coutume de profiter des mêmes années ».
Pour le compte de Nicolas, Pierre Boisset aurait acheté trois milliards six cents millions de litres de vin. Il n'insiste pas sur ce détail et il a eu bien raison : il y a des chiffres qui tuent jusqu'au plaisir des choses. De peur de tomber malade, on n'ose pas imaginer la cave qu'il nous aurait fallu si ce chiffre aberrant s'était métamorphosé en bouteilles. Nous apprenons que c'est un peu par hasard que Boisset s'est occupé de vin. Ses études ne l'y préparaient pas. Après la guerre, il s'était inscri à l'Ecole coloniale. Rétrospectivement, il frémit à l'idée qu'il aurait pu s'engager dans cette voie où le marché s'est rétréci, les places sont devenues rares. Tout le contraire du vin, qui n'a jamais autant fait parler de lui qu'aujourd'hui. Le vin comme discours, le vin des beaux quartiers de l'existence, le vin des appellations contrôlées est une notion relativement récente. Pierre Boisset a vécu cette révolution au poste et dans la maison qu'il fallait. Au fond, nous l'avons échappé belle : au lieu de ces promenades si savoureuses dans les régions vinicoles du pays, et sans un père dans la profession depuis les années 20 qui lui fit faire un stage de trois semaines qui dura le temps que l'on sait, nous aurions eu le droit à de saumâtres campagnes d'Indochine ou d'Algérie ou pis encore. Nous aurions dû avaler des histoires de défaite au lieu du rouge, du blanc et du rosé de la victoire.
Il y a de l'illustre Gaudissart, le voyageur de commerce de « la Comédie humaine », chez M. Pierre Boisset, mais l'aspect un peu hâbleur de sa nature n'est pas fait pour nous déplaire. Pierre Boisset est français pour Américains, mais je ne donnerais pas cher de l'avenir de ce pays si ce type de Français n'existait plus. Je songe aux garçons de 20 ans qui liront ces carnets, j'imagine leur nostalgie devant une existence aussi libre. Devant cette province française découverte à la fin des années 40 au volant d'une traction avant Citroën sans chauffage. Boisset évoque très bien cette campagne d'hier où, si l'électricité existait dans les trois quarts des maisons, il n'y avait d'eau courante que dans une ferme sur cinq, où les « commodités » se trouvaient au fond du jardin avec leurs portes ajourées « d'un trou en forme de cœur ». En ce temps-là, la carte de pain existait toujours et en 1948, par exemple, la ration quotidienne « venait d'être portée à 250 grammes par jour», ce qui semblait dérisoire, alors qu'aujourd'hui un diététicien considérant ce que nous avalons comme pâtes, riz et pommes de terre nous conseillerait de surveiller nos élans C'était la France des tables d'hôtes dans les auberges. Et si les servantes n'étaient pas forcément toutes accortes, les voyageurs solitaires un peu délurés, et le voyageur de commerce l'est par définition, exerçaient un droit de cuissage.
Il y a un moment très beau dans « Millésimes et campagnes », c'est quand le vieux Etienne Nicolas, avec sa « flottille de livreurs » et son sens de la publicité, décide de reprendre l'édition des catalogues de fin d'année en 1949. Le catalogue de 21 pages était illustré, cette année-là, par Dignimont. On y pouvait trouver à des prix dérisoires deux cent soixante et onze grands crus -de toutes régions. Des bordeaux des années 28, 29, 21, 18, 16 qui semblaient presque des années récentes (ou les quatre grands crus du Médoc étaient présents et mouton-rothschild par huit fois cité), mais également de 1858 à 1900, huit millésimes superbes. Il y avait quatorze millésimes d'yquem, un porto 1848, un jerez qui remontait à 1769. Ne pleurons pas, nous qui allions avoir 20 ans à l'époque : si nous les avions achetés, nous les aurions bus depuis belle lurette et sans doute oubliés, comme j'ai oublié le goût, n'en déplaise à Jean-Paul Kauffmann, de ce lafite-rothschild 1880 bu au château en 1980.11 n'y a pas plus de vin retrouvé que de temps. »
BOISSET Pierre Millésimes et campagnes P. Laffont 1989 1 vol. In-8.. 319pp les carnets d'un acheteur de vins.