Fut un temps où j’ai beaucoup fréquenté la Belgique, Bruxelles plus exactement, mais à part nos collègues belges du Ministère de l’Agriculture pas très préoccupés par l’avenir de la vigne du vin, je me colletais surtout à nos amis italiens qui eux nous faisaient un peu chier avec leur picrate des Pouilles et d’ailleurs que nos chers négociants mêlaient avec le jaja du Languedoc pour livrer les derniers arpents des gros buveurs. La mixture se dénommait en sabir communautaire MDVPCE : mélange de vins en provenance de la communauté européenne. Ces flux, qui excitaient le dernier quarteron des cagoulés des CAV : Comités d’action Viticoles emmenés par le Bougon des Cépages, dont j’admirais les baccantes et les Ray Ban, furent brutalement interrompus en 1986 lorsque les exportateurs italiens eurent la « merveilleuse » idée de renforcer leur gros rouge avec du méthanol (quelques morts dans la Péninsule).
Bref, j’ai fait beaucoup de Paris-Bruxelles-Paris via un TEE et dans les zincs de ce qu’on appelait à l’époque le GLAM. Comme les négociateurs ont la fâcheuse tendance de bavasser jusqu’à pas d’heures, à part les restaurants où nous allions reconstituer notre force de travail avec du solide et du liquide, je n’ai jamais pu vraiment flâner dans Bruxelles. J’y suis retourné une fois en touriste et j’ai beaucoup aimé. Je ne vais pas vous faire le coup de : « j’ai des amis belges » car je n’ai que des amis tout court dont deux, un vrai et un émigré, dans la coopérative que j’ai contribué à fonder : les 5 du Vin. Le dernier en date, le néo-vigneron de Corneilla-la-Rivière, qui sait tout faire, du vin, des commentaires, la cuisine et aussi montrer son cul laiteux. J’ai aussi un paquet de lecteurs en Belgique dont certains sont membres de l’Amicale du Bien Vivre dite des Bons Vivants.
Xavier Hanotte est un écrivain belge francophone né à Mont-sur-Marchienne le 31 octobre 1960 et il vient de commettre aux éditions Le Castor Astral collection Escales des Lettres un petit opus fort intéressant Soit dit entre nous… Je suis un OURS 12€. La série donne la parole à des auteurs, avec le soutien de brillants illustrateurs, ici Muriel Logist (illustration en tête de ma chronique) pour se livrer de A à Z sans rien cacher.
J’ai donc choisi pour mes amis belges : F comme Flandre, L comme Langue, V comme Vin et W comme Wallon.
FLANDRE
« Pendant presque vingt-cinq ans, l’Ours wallon que je suis eut la Flandre au bout de son jardin. À deux rues, plus précisément. À cette époque, la frontière linguistique se limitait à quelques panneaux joyeusement peinturlurés par les ancêtres déjà prosélytes de MM. De Wever et Maigain. Des deux côtés, les indigènes trouvaient ça plutôt comique et, sinon propice à l’éclosion de talents artistiques qui trouveraient plus tard à s’exprimer sous forme de tags et autres manifestations ruralisées d’un art dit urbain. Coincé entre la Hulpe et Overijse, le quartier flamand de Malaise (Maleizen en langue de Conscience) nous envoyait, en procession et en mauvais français, laitier, brasseur et autres petites professions itinérantes. Jamais toponyme ne parut si injustifié.
Mais les choses évoluent. La complicité économique a fait place à une réciproque ignorance. Quand je repense aux temps de mon enfance, il me semble que j’évoque une période révolue, que restituent à peine, au fond des boîtes à chaussures oubliées, des collections déteintes de vieilles cartes postales. »
LANGUE
« Je n’ai jamais compris l’idolâtrie dans laquelle il faudrait tenir une langue plutôt qu’une autre. La littérature, pourtant, grouille de zélateurs dithyrambiques qui font de la langue française un idiome supérieur à tout autre par la vertu de ses héritages successifs, qu’ils fussent royaux ou républicains. Quant à la beauté intrinsèque, personne ne pourrait, selon eux, songer à la contester. Combien de fois, par contraste, ai-je entendu professer par les mêmes imbéciles que le néerlandais était un dialecte de bouseux, l’allemand un assemblage austère de sons gutturaux, l’anglais un meccano grammatical simpliste, etc.
Pour moi, toute langue est belle dès qu’on se donne la peine d’en comprendre la musique, et toute langue devient moche, gueulée par un sous-officier dans une cour de caserne.
Le reste relève de nationalismes auxquels aucun ours digne de ce nom ne pourrait souscrire. »
VIN
« Entre autres plaisirs bien connus, le vin me fait voyager. En France, bien sûr, mais aussi en Italie, en Allemagne, en Grèce, en Espagne, en Bulgarie, en Afrique du Sud… C’est qu’on a toujours fait du bon picrate ailleurs qu’en Gaule, et depuis bien longtemps. Durant ces années, j’ai collectionné les étiquettes comme je collectionnais les timbres. Elles me rappelaient celles que, déjà, les touristes fortunés ne collaient plus sur leurs malles-cabines en cuir bouilli, célébrant les charmes désuets de grands hôtels et de lointaines rivieras. Puis un jour, pour quelque obscure raison technique, il est devenu impossible de les décoller des bouteilles. Comme les timbres sur les enveloppes.
Pourtant je voyage toujours… »
WALLON
« On a beau dire, on a beau faire. Même affublés de bérets basques, les ours pyrénéens garderont toujours l’accent de leur natale Slovénie. Quand j’étais un jeune ours crétin, lisant Freud et Kant, auquel le mot terroirfilait de l’urticaire, j’aimais déclarer à mon grand-père, l’air pénétré, un sourcil haussé et la patte au menton, que je me sentais francophone. Wallon, ça faisait décidément trop campagne.
Ça l’ennuyait un peu, mais il ne disait rien.
Il m’a fallu vivre un quart de siècle à Bruxelles pour comprendre que je resterais toujours, par défaut, un ours wallon.
Toutes les patries sont imaginaires.
Je suis donc un Wallon imaginaire.
J’aimerais le dire à mon grand-père.
Ce n’est hélas plus possible »
Bien le bonjour à mes amis belges de la vigne et du vin et d’ailleurs… restez de grands ambassadeurs du jus fermenté du raisin, gaulois ou d’ailleurs… l’important c’est l’extension du domaine du vin…