Michel le sait, je suis un poil taquin mais plutôt bon camarade car, fraîchement débarqué dans le monde impitoyable des dégustateurs patentés, je sais reconnaître les talents des vieux routiers et, par contrecoup, mesurer mes lacunes abyssales dans leur art. Pour tout vous dire déguster ça me fait profondément chier : debout face à un vigneron qui après avoir, avec parcimonie, déversé son précieux liquide dans un verre qui a déjà vu passer une cotriade d’autres vins vous débite ses histoires de terroir de micaschistes calciniens, de gneiss du quaternaire ou d’argilo-calcaires spongieux qu’on ne trouve nulle part ailleurs, vous gonfle avec l’âge canonique de ses ceps plantés par l’arrière-grand-père de son grand-père, vous abreuve de sa vinification en long en large et en travers, vous chauffe avec ses barriques de chêne français ou ses demi-muids en noisetier, vous donne le nom de sa jument, de son beau-père et de son importateur aux Iles Vierges tout en insistant sur les jours fruits, la pleine lune et les préparas de bouse de chamelles allaitantes… Mais ce n’est pas tout ce n’est pas tout il faut alors prendre son air le plus inspiré pour tenter d’agiter le précieux liquide sans le faire déborder. Je n’y arrive pas car je tiens mon carnet de dégustation de ma main droite et, comme je suis gauche de la main gauche, mon geste auguste de dégustateur prend des airs d’agitateur de tubes à essais dans le fond d’un laboratoire de la répression des fraudes.
Ensuite, c’est pire, il vous faut sortir le grand jeu des sens, coincé entre de vieux barbons, habillés comme mon pépé Louis, qui ont fait toutes les guerres du vin, sous des éclairages, soit minables ou pire, dignes d’un scialytique de salle d’opération, vérifier si c’est bien du rouge tendance Bordeaux ou tendance Pinot. Ça c’est vite fait. Puis vient l’épreuve du tarin : là tout dépend de la tendance, si vous êtes chez les GCC ça pète, si vous êtes chez les natures ça peut sentir la chaussette et, de temps en temps, tu te dis « tiens, c’est bien, ça sent le vin. » Le gars ou la fille qu’a tendue le bras pour vous aviner vous observe comme si vous étiez un récidiviste en cavale. L’air dégagé il ne faut surtout pas moufter, le silence est la profondeur des grands amateurs. Rester concentré est vital pour rester crédible. Enfin, comme je suis un invétéré buveur, vient le temps de l’ingurgitation. Là je m’y retrouve. Ça gazouille. Je me branle du quand dira-t-on. Je m’amuse. Je suis bon de la gueule. Bon, faut jouer des coudes pour accéder à la bassine de régurgitation car il y a toujours deux ou trois gros cons qui encombrent la trajectoire. Cracher avec élégance sans souiller mes beaux chèches ça je sais très bien faire : à la limite c’est tout ce que j’ai appris depuis que je me suis glissé par inadvertance dans la peau d’un dégustateur patenté.
Donc, tout ça pour vous dire que, sur un blog concurrent, une grosse coopé, les 5 du Vin, dont votre Taulier est l’un des pères fondateurs, le père Smith – au sens des pères blancs évangélisant les braves petits nègres – chaque dimanche que Dieu fait, fait l’amour avec l’amour de sa vie : le Carignan. Il s’agit chez lui d’une addiction grave à une forme obsessionnelle de copulation avec un banni du Languedoc. C’est pour lui un long et lent et lancinant va-et-vient, tout le contraire d’un coït d’éjaculateur précoce. Quel coup de reins ! Tout est dans la profondeur. L'extase. L'épectase. Bravo l’artiste. Jouer chaque dimanche une nouvelle partition sur le même thème c’est l’exemple le plus abouti d’une improvisation maîtrisée. On se dit parfois il va se fatiguer, s’épuiser, mollir, laisser tomber, et non chaque dimanche que Dieu fait notre Michel remet sur le métier son ouvrage. Avec talent il forge le soc pour tracer un nouveau sillon.Le Foll devrait lui attribuer le poireau comme à Lalau.
Que faire face à une telle bête de texte ? Tirer son chapeau : comme j’en porte rarement, contrairement à l’impétrant, c’eut été me contenter d’un geste, certes chevaleresque, mais bien insuffisant. Alors que faire ? Bien tout bêtement faire, c'est-à-dire affronter le ridicule de venir défier le chevalier blanc du Carignan sur son propre terrain. Oser la chronique dominicale vantant les charmes rugueux et puissants du Carignan. Pour ce faire il faut se dégoter une belle armure pour supporter le choc de la comparaison avec le Maître. Votre Taulier est patient, très patient, il a attendu longuement son heure avant de dégainer de son fourreau sa belle lance de tournoi.
Et le preux POUDOU arriva avec son Carignan, sans qu’Annie ne m’eusse prévenu, un Carignan roturier avec un nom d'IGP qui fleure bon la chevalerie : les Coteaux de Peyriac. Et il sait y faire notre Poudou pour donner un bon rang à son Carignan. Il trempe sa plume dans un encre bien sympathique pour nous écrire avec des pleins et des déliés un petit texte bien frappé : « Sur un terroir taillé comme un costume le Carignan change de statut. De raisin légume il devient raisin fruit. » Et comme pour le Port-Salut le CARIGNAN de Poudou c’est écrit dessus. Voilà, j’ai relevé le défi en prenant tous les risques. Maintenant il ne vous reste plus qu’à vous adresser au père Michel pour vous faire l’article sur le CARIGNAN de Marie-Claude et Jean-Louis Poudou. En effet, il vaut toujours mieux s’adresser au bon Dieu qu’à ses saints dit la sagesse populaire… Merci par avance Michel pour une nouvelle contribution à l’extension du domaine du Carignan.www.latourboisee.com