Christian Chabirand est vigneron au Prieuré La Chaume, à Vix, dans le sud de la Vendée. Avec lui je renoue avec la Vendée que j’aime, simple, vivante, ouverte sur le monde, chaleureuse et fraternelle, loin de celle d’un Jean-Paul Lubot et de son Cercle Vendéen qui n’est qu’un petit zinzin parisien au service de quelques-uns.
Si vous voulez bien me suivre je vais tenter de vous faire comprendre l’esprit du lieu : Vix en vous imprégnant de mes souvenirs. À l’école primaire de la Mothe-Achard nous avions au programme la géographie de la Vendée. Ce département, pure construction de la Révolution, bâti de bric et de broc à partir d’une partie de la province du Poitou, le Bas-Poitou, de l’Île de Noirmoutier et de 16 communes des Marches Bretagne et de l’évêché de Nantes… La Vendée est donc flanquée de deux Marais, l’un au nord dit breton, l’autre au Sud dit poitevin, mais seuls les habitants du premier étaient qualifiés de maraîchins en opposition à ceux du bocage dénommés les danions. Vers celui du Sud il y avait d’abord la bande plate Plaine qui abritait l’évêché le plus crotté de France, dixit Richelieu, Luçon. L’autre marais nous semblait être une enclave lointaine et secrète qui nous tournait le dos, une annexe de la Charente voisine où nous déversions notre excédent de population lié à nos familles très nombreuses. Cette césure avait aussi une origine religieuse, nous étions des cléricaux confits de bondieuseries alors que le Sud n’aimait guère les curés : le petit père Combes, l’homme de la séparation de l’Église et de l’État était un charentais d’adoption.
Le Sud se matérialisait pour moi par l’évêque de Luçon, Mgr Cazaux, qui se pointait pour les confirmations et à qui nous donnions un sac de blé pour ses séminaires, et par nos lointains cousins de Marans. Comme nous n’avions point d’auto nous ne voyagions guère et, de toute façon, l’attraction de la ville de Nantes, de son grand magasin Decré pour les cadeaux de Noël, via la gare SNCF et les cars Citroën nous faisait effectivement tourner le dos au Sud qui prenait pour moi des allures exotiques. Pensez-donc : l’Ile d’Elle, le Gué-de-Velluire, Champagné-les-Marais, Chaillé-les-Marais, Vouillé-les-Marais… des noms qui me faisaient rêver à cette terra incognita dont la part la plus belle répondait, et réponds toujours, au nom de Venise verte.
Christian je l’ai retrouvé au 104 dimanche. J’ai goûté ses vins et nous avons échangé. Tout en parlant avec lui, dans ma petite Ford d’intérieur, un passage du livre de François Bon Autobiographie des objets me trottait dans la tête. En rentrant à la maison je l’ai retrouvé. Les parents de Bon vivait à Saint Michel-en-l’Herm où son père était garagiste et une fois par mois la famille rendaient visite aux grands-parents à Damvix « Dans l’expédition qu’était le dimanche mensuel à Damvix, parents et enfants engouffrés dans la deux-chevaux, ce qui marquait le changement de territoire c’était, un peu avant Vix (où vivait Chaissac, mes grands-parents étaient amis de madame, ils se rencontraient chaque année pour les corrections du certificat d’études, mais Chaissac à Damvix fréquentait le curé, et je crois que c’est un des seuls points de vrai reproche et incompréhension parfaite de ma grand-mère à mon endroit, quand elle apprit que je mettais très haut le peintre – elle qui plaignait tant madame Chaissac d’être mariée à pareil énergumène), un de ces carrefours de campagne à angle droit, avec une auberge qui devient le rendez-vous permanent pour toute transaction et marché, avec un plat du jour et vin au tonneau. Le bistrotier s’appelait Fétiveau… »
Mais enfin va-t-il nous parler des vins de Christian Chabirand ? Oui bien sûr mais VIX, qui fut un village médiéval, homonyme d'un autre, bourguignon link, après avoir été Vicus sous l'occupation romaine, mais surtout l'île de Vicum dans l'ancien Golfe des Pictons. Vix est située sur une butte dans la plaine actuelle, marais asséché et c’est le quatrième Fiefs Vendéens avec Brem, Mareuil, Pissotte. Vix, c'est aussi le village natal de Christian Chabirand, vigneron et œnologue qui, après avoir roulé sa bosse dans nos belles interprofessions : Touraine, Champagne et du Pays Nantais, de retour au pays a commencé à planter de la vigne, en 1997, sur le domaine « la Chaume » qu’il vient d’acquérir avec Estelle son épouse : 18 hectares, classée pour partie en VDQS Fiefs Vendéens, mais vierge de toute vigne. « Ce terroir, situé à l’extrémité ouest de l’ancienne île de Vix ne semble pas avoir quitté les flots bleus de l’Océan, ceux qui lui léchaient le rivage il y a quelques 2500 ans. »
Pari un peu fou, mais existe-t-il des paris sans risques, défi aux gens bien assis, que de créer de toute pièce un vignoble, qui plus est, en quittant le giron de ce qui n’était qu’un VDQS depuis le 24 octobre 1984 (je le sais j’étais au cabinet de Rocard Ministre de l’Agriculture et j’ai visé le décret ce qui m’a valu à l’époque une petite notoriété vendéenne alors que bien sûr je n’étais pour rien dans cette reconnaissance) pour l’univers du vin de pays de Vendée. Ténacité, volonté, mais aussi professionnalisme, la passion ne suffit pas il faut déterminer le cap et prendre les voies et moyens d’atteindre le but que l’on s’est fixé. Premiers raisins récoltés en 2000, première vinification en 2003 et mise en bouteille en 2004.
Allez un peu de géologie et de conduite du vignoble : « Planté sur des sols superficiels calcaire à ammonites du Trias, un tiers du terroir est orienté en coteau sud, un autre tiers en coteau ouest plus exposé aux effets marins et enfin un dernier tiers sur plateau. Les sols superficiels sont de texture argilo-limoneuse, caillouteux mais riche en matière organique. Cette virginité de toute culture de la vigne est à l’origine d’une vie microbienne intense qui confère une résistance accrue aux maladies qu’elles soient bactériennes ou cryptogamiques. Totalement enherbé, le vignoble est conduit de façon à entretenir ce potentiel. Une taille courte, une fertilisation organique, des traitements réduits au minimum pour des rendements très modestes de 30 à 35hl/ha en moyenne »
La Chaume : Un terroir unique et original
A l’automne 2008, une équipe de l’unité viticole de l’INRA d’Angers* a mené une série d’études sur les différents terroirs de Vendée. Ce travail descriptif a été conduit à partir de profils pédologiques réalisés sur les principales zones viticoles. Nous avons interrogé Vincent Courtin, pédologue-cartographe et chef de file de l’unité terroir pour nous donner son point de vue sur le profil réalisé à LA CHAUME.
Quelles sont les principales caractéristiques géologiques du terroir de LA CHAUME ?
La géologie du Prieuré La Chaume est constituée d’un calcaire marneux du Jurassique moyen (Callovien-Oxfordien). On parle d’un « calcaire » car c’est une roche riche en carbonate de calcium et « marneux » car on peut observer entre les bancs durs des joints argileux.
En quoi ce terroir est-il classé à « potentiel élevé ou haute valeur viticole » ?
Le milieu physique (coteau versant sud, potentialités agronomiques, et drainage naturel) est très favorable à une viticulture de qualité. La précocité du terroir s’en trouve augmentée, la vigueur et l’équilibre feuille/fruit sont favorables à un bon état sanitaire et à une bonne maturité et enfin les propriétés de la roche mère et du sol favorisent un bon enracinement tant en surface qu’en profondeur.
Au final, qu’est ce qui fait l’originalité de ce terroir ?
Tout d’abord, il s’agit d’un des rares terroirs viticoles vendéens à géologie et pédologie calcaires. D’un point de vue de l’encépagement, ce terroir se trouve favorable à l’implantation de cépages tardifs à cycle végétatif long. Enfin, pour l’alimentation hydrique de la vigne, les qualités du sol et du sous-sol présagent d’une alimentation modérée et continue du système racinaire. Autrement dit, le sol peut réguler l’eau en fonction des besoins de la vigne et des quantités de précipitations.
Vincent Courtin, Dominique Rioux et Sébastien Cesbron, cartographes « système d’information géographique »
Maintenant sacrifions à la minute historique : Le sceau du Prieuré la Chaume.
« En 1962, il fut découvert à proximité du vignoble un magnifique sceau du XIVe siècle de la vierge à l’enfant marqué à l’effigie de Dame Aynor de Niel, moniale à l’abbaye Notre Dame hors les murs de Saintes. Sans que l’on sache avec précision les raisons de la présence de cette religieuse sur l’île de Vix, on peut supposer qu’en période d’occupation anglaise (guerre de Cent ans), l’abbesse de Saintes dépêchait sur ses possessions, pour surveillance, ses meilleurs sujets. Si au XVIIème siècle, il est fait état de l’existence de deux Prieurés sur la seigneurie, la présence de l’un d’entre eux sur le Domaine n’est que supposé par la tradition orale. De cette longue parenthèse historique naîtra l’identité graphique du domaine avec la reprise comme emblème du sceau de Dame Aynor de Niel. »
Le domaine compte actuellement 14 ha de vignes, pas moins de 8 ha de merlot, notamment sur le coteau plein sud, « au calcaire débordant !... Sur les parcelles situées sur le plateau (en partie seulement en Fiefs Vendéens!), 1 ha de pinot noir (destiné entièrement au blanc!), 2 de cabernet sauvignon, ainsi que 60 ares de négrette. Le reste se compose de chardonnay et d'un peu de chenin. »
Les vins dégustés par le Taulier :
Prima Donna 2011: 2/3 de chardonnay et 1/3 de pinot noir vinifié en blanc.
J’ai ouvert le bal au 104 avec cette très belle jeune femme raffinée sans être apprêtée, tendue, pure et droite mais sans rigidité. Exceptionnelle tessiture, parfait équilibre entre une grande vivacité et des rondeurs de prima donna. Ce vin aurait été parfait avec le beurre blanc de maman. Pour voir Taulier son préféré ou pour poursuivre sur la féminité : une superbe plante dont vous goûtez les yeux fermés les talents, donc ma bouteille préférée.
Bel Canto 2009 : De la cuve uniquement pour ce 100% merlot.
« Cette cuvée rend hommage à Melle Geneviève VIX. Née à Nantes en 1879, cette cantatrice pensionnaire de l’Opéra de Paris, adulée chaque fois qu’elle se produisait au théâtre Graslin de Nantes, s’est rendue célèbre dans l’interprétation du Bel Canto, style chanté, léger et élégant. »
C’est un rouge profond, liseré de violet, du fruit croquant, charnu, goulu, « comment fais-tu l’amour cerise ? » plusieurs fois avec moi : en traduction libre c’est du plaisir renouvelé à chaque gorgée. Ce vin plaisir n’en est pas pour autant un vin facile qui file sans laisser de trace, bel Canto avec son croquant craquant initial laisse en bouche de belles et chaudes épices. J’aime les îles.
Orféo 2007 : 60% merlot, 25% cabernet sauvignon et 15% négrette.
Cette cuvée est un hommage à l’œuvre musicale et poétique de Monteverdi inspirée du conte mythologique Grec d’Orphée. Au cours des siècles ce mythe religieux allait se transformer en histoire d’amour et inspirer une œuvre musicale exemplaire. »
« Une cuvée issue d’un élevage long. Celui-ci aura duré dix-huit mois dont sept avec passage en barrique. Pas du fût neuf bien sûr, des barriques bourguignonnes de trois vins provenant des meilleurs chênes de la forêt de Tronçais. »
Très beau et grand vin, raffiné, complexe, souple et puissant, peut encore prendre de l’âge. De la très belle ouvrage marque d’une maîtrise de plus en plus affirmée.
Bellae Domini 2006 : 100% merlot.
« Une cuvée issue d’une année d’élevage avec un passage en barrique de onze mois précisément. Des barriques bourguignonnes de deux vins, travaillées avec une chauffe moyenne idéale pour conduire une oxydation ménagée sur un vin provenant d’une vendange de merlot très mûr, cueilli à la main. »
Belle complexité, un peu de rigueur encore mais les tannins sont fondus et soyeux, le temps joue toujours pour lui pour qu’il s’épanouisse encore. Si vous souhaitez lui faire un sort pour les fêtes offrez-lui une carafe, laissez-le s’accommoder à la bonne température pour le déguster.