« Un homme courtois ne marche pas sur l'ombre de son voisin. » proclame un proverbe chinois.
C’est à la fois mon exaspération face à des agressions verbales à propos du sujet qui fâche certains, le mariage pour tous, et les réponses de l’acteur Jacques Bonnaffé qui m’ont inspiré ce billet. À la question, très Télérama dans sa formulation, « votre motif d’énervement le plus récurrent ? », répondait du tac au tac « Le manque total de courtoisie des Parisiens ». En amont de cette interview, il donnait l’une des clés de cet état de fait : « L’odeur de Paris c’est… celle de l’ego »
Oui, ici, à Paris, et sans doute aussi ailleurs mais, comme j’y vis je me réfère à ce que je vis et ce que je vois, plus ça va moins ça va car, dans l’espace public, la règle comme c’est chacun pour sa pomme, je suis le plus beau, le plus fort, le féminin s’impose aussi, range-toi que je m’y mette, que je passe, que je te bouscule, que je fonce au rouge : automobiliste, motocycliste, vélocipédiste et aussi piéton, jamais un soupçon de pardon ou de politesse dans les transports en commun. Renfrognés ou agressifs, arrogants ou menaçants, grossiers ou mal léchés, incivils, irrespectueux, mal ou trop à l’aise dans leur ego, l’insulte toujours prête au bord des lèvres, règnent en maître. Les sauvageons, chers au Che, ne se recrutent pas exclusivement chez les capuchés mais aussi dans toutes les catégories sociales sans aucune exception.
Objection votre Honneur, va-t-on me rétorquer, la courtoisie c’est ringard, c’est coincé, c’est vieux jeu, nous, nous sommes cools, décontractés, à l’aise, alors ta politesse avec un petit zeste d’élégance et un soupçon de générosité c’est bon pour le placard poussiéreux des accessoires inutiles. Entendez-moi bien, je ne pratique pas le baisemain et je ne consulte jamais le Guide du protocole et des usages de l’ex-préfet Jacques Gandouin car la courtoisie n’a rien à voir avec l’hypocrisie du « bonjour cher ami » à l’attention de son pire ennemi ou l’obséquiosité des flatteurs qui pratiquent la brosse à reluire ou le léchage de bottes. Pratiquant journellement un espace de liberté je ne vais pas m’enliser dans un tissu élimé de vieilles règles conventionnelles et guindées qui m’empêcherait d’exprimer ce que je pense avec franchise. La transgression, le langage vert, la discussion animée mais argumentée, même parfois les noms d’oiseaux peuvent voler, mais sans volonté de piétiner son ou ses contradicteurs, relève d’une forme de courtoisie proche de celle d’une pratique sportive sans concession mais respectueuse des règles du jeu et des autres compétiteurs.
Je laisse volontairement de côté la Toile où, pour certains, en règle générale sous le couvert de l’anonymat, tous les coups, les bas et les mauvais surtout, sont permis. Sur les fameux réseaux sociaux, et surtout avec l’irruption de Twitter, des échanges confus, décousus, s’installent. Ça fuse. Ça dégouline. Ça regorge d’une insolence érigée en principe d’expression pour atteindre l’overdose de l’ironie facile. Ça perd toute saveur. Ça ne présente et ne suscite que l’intérêt d’un petit cercle sauf à être repris par les grands médias. C’est lourd, indigeste, lassant. C’est le bal des ego où certains personnages publics se vautrent dans la vulgarité en espérant se distinguer, où des journalistes se marquent à la culotte, papillonnent, se mettent en scène, pour tenter d’exister, où des quidams se défoulent, se laissent aller, bavent, dénoncent, se prennent pour le centre du monde, tous les je pensent que, les qui ne savent même pas de quoi ils parlent, les qui prennent le sens du vent, les ouvriers de la 25e heure… Aucune tenue, aucune élégance morale, aucune hauteur de vue, c’est une forme revisitée du café du commerce sans la saveur des brèves de comptoir car c’est fardé, insincère. Nous sommes face à une forme de pornographie de l’esprit.
Cependant, comme ce n’est qu’un petit monde clos qu’il est possible d’ignorer, ça ne pourri pas vraiment ma vie, il suffit de me déconnecter. En revanche, dans l’espace public, avec l’émergence d’une droite stalinienne, dixit Jean-François Khan (lire ci-dessous), il est monnaie courante de se faire agresser sur le sujet qui fâche en ce moment, le mariage pour tous, alors que l’on ne l’a ni évoqué ni même effleuré. Ça m’arrive régulièrement dans les lieux où je croise des « confrères du monde du vin » si je puis m’exprimer ainsi. Des dames et messieurs d’un certain âge, qui se disent journalistes du vin, me tombent dessus à bras raccourcis comme si j’étais le délégué syndical des LGBT. Ma tête de métèque étiqueté de gauche sans doute. J’ai droit à des logorrhées confuses et interminables face auxquelles je ne réplique pas. Je reste courtois. Pourquoi argumenterais-je ? Tout ce que je pourrais dire serait retenu contre moi. Enfant de 68 je suis bien évidemment l’un des responsables de la décadence de notre civilisation occidentale, l’un des ardents fossoyeurs de la famille Française et l’un des partisans de la fin de la fête des mères et des pères puisque cher monsieur un enfant pourra en avoir deux. C’est indécent, inconvenant, c’est un manque de courtoisie et de savoir-vivre évident. Et pourtant, ces gens bien-pensants, se vivent comme étant les représentants d’un monde policé, la France des convenances alors que, comme le note Jean-François Khan ils s’expriment comme les staliniens de ma jeunesse. Si tu n’es pas avec nous tu es contre nous. Ils n’ont même pas conscience de la valeur des mots qu’ils utilisent dans leurs slogans. Des mots qui font pourtant parti de l’ADN d’une droite peu glorieuse et d’une gauche dévoyée, celle de Marcel Déat et de Jacques Doriot, qui ont collaboré avec l’occupant.
En conséquence, M.M. chers collègues du vin attachés à la valeur sacré du mariage civil et de la filiation, non je ne suis pas le délégué syndical des LGBT prière de rester courtois et de me lâcher la grappe. Merci par avance, sinon je sors ma sulfateuse et j’arrose large.
Manif pour tous: Découvrez ce qui caractérise ce nouveau mouvement politique par JF Khan
« C’était du temps de ma jeunesse. Dans les années 50 la vie politique française était dominée par un Parti Communiste puissant, fort, affichant plusieurs centaines de milliers d’adhérents, regroupant un quart des électeurs et affichant sans complexe son allégeance stalinienne.
Véritable France dans la France, il avait créé son propre monde, son propre univers. Il était le peuple. Il était la classe ouvrière. Ses exigences étaient celles des masses. S’y opposer constituait un affront à la démocratie. Quand il faisait défiler 30.000 personnes, il en annonçait 300.000. Parfois plus. La soi-disant démocratie bourgeoise n’était à ses yeux qu’une dictature. Les socialistes étaient des socio-traîtres (ce qui, entre parenthèses, n’était pas totalement faux) et les conservateurs libéraux des fascistes. Il affichait un patriotisme d’exclusion et s’était concocté sa propre langue, structuré par ses propres mots et ses propres formules; s’était confectionné, à l’aide de ses propres références, sa propre culture (qui valait bien, au demeurant, la sous-culture de la gauche bobo). Ancré dans ses propres certitudes portées par ses propres dogmes nourris par ses propres vérités confortées par ses propres informations diffusées par sa propre presse, il offrait à ses militants et sympathisants une famille–patrie de substitution qui leur tenait chaud l’hiver.
Eh bien, toutes ces spécificités et particularités on les retrouve, aujourd’hui, dans ce grand parti virtuel qui s’est constitué dans le combat contre le mariage gay et autour des « manifestations pour tous ». Ecoutez bien leurs porte-paroles et leurs activistes: ils sont le peuple, ils représentent la France réelle, même quand les sondages indiquent qu’ils sont minoritaires, lorsque 300.000 d’entre eux défilent – ce qui est beaucoup – ils affirment qu’ils étaient 1 million et demi. A les entendre, le pays vit sous une dictature socialiste, protégée par une police gestapiste, Hollande est un tyran et Valls une sorte de Beria. Les modérés sont des traîtres. Ils se sont confectionnés un langage à eux, arrosé par une idéologie à eux que cimente leur dogme à eux. Ils ne prêtent foi qu’aux informations qu’ils se sont eux-mêmes concoctés et que crédibilise leur propre presse, y compris Le Figaro. »