Ça faisait un moment que ça me turlupinait, je suis ainsi fait dès qu’une petite idée me trotte dans la tête je n’ai de cesse de trouver le bon bout pour raconter une petite histoire. Parfois de la coupe aux lèvres, si je puis m’exprimer ainsi, le chemin est court et je ponds en urgence. D’autres fois la gestation s’avère beaucoup plus longue, voire éléphantesque mais j’arrive toujours à mettre bas.
Tel est le cas aujourd’hui. Je résume :
- Entrée de la petite idée dans la petite tête du Taulier : lorsque je suis allé début 2012 m’occuper du dossier Forez-Fourme dans le bureau de mon interlocuteur de la Direction Régionale de l’Agriculture une affiche sur la fête du « Fin gras de Mézenc » était apposé sur le mur (le premier WE de juin).
- Réactivation de la petite idée dans la petite tête du Taulier : officiant du côté de Clermont-Ferrand en ce moment que lis-je dans le Monde alors que l’Intercités me charroie ?
« Contrairement au bœuf engraissé en deux mois avec des céréales, le fin gras est élevé lentement, explique Gabriel Gauthier, boucher clermontois. Son volume musculaire est peut-être moins spectaculaire mais ses qualités gustatives sont incomparables. »
Le secret de cette viande finement persillée - et « au goût de nature » selon M. Gauthier - tient à la spécificité de la flore fauchée sur le Mézenc. Plus d'une soixantaine d'espèces végétales ont été recensées dans ce foin. Parmi elles, des plantes typiques des prairies d'altitude, comme la bistorte, l'alchémille et la cistre. Aussi appelée fenouil des Alpes, cette dernière parfume le foin d'une saveur anisée prisée des bovins. C'est cette plante qui donnerait au fin gras son goût unique. « C'est en la faisant bouillir ou mijoter, dans un pot-au-feu ou un bœuf-carottes, que la viande exprime le mieux ses caractéristiques », dit Gabriel Gauthier, dont la boucherie exporte aussi d'Auvergne - sous vide, à destination des restaurants et des particuliers - ce précieux bœuf saisonnier.link
Je note : Boucherie Gauthier, 17, rue de la Boucherie, Clermont-Ferrand. Tél. : 04-73-37-57-07
Mais je ne vous dit pas tout pour ménager le suspense. Le texte entre-parenthèses est citation du site de l’AOC fin gras du Mézenc link
Si vous ne souhaitez pas vous instruire vous pouvez zapper pour découvrir en fin de chronique le point de vue à 4 mains de l'ogresse qui a le plus beau coup de fourchette de Paris et du Taulier qui sait boire et manger...
Tout d’abord un peu de géo pour les petites louves et les petits loups qui pensent que Pyrénées est le nom d’une station de métro.
« A 1754 mètres d’altitude, le Mont Mézenc est à la charnière de deux ensembles distincts :
A l’ouest et au sud, de vastes plateaux dont l’altitude moyenne est de 1200 mètres, correspondant au très haut bassin du versant de la Loire. Chacun sait que plus long fleuve de France prend sa source au Gerbier de Jonc, qui est donc le sommet le plus connu du massif du Mézenc.
A l’est, le vaste cirque des Boutières, au relief tumultueux et original marqué par les fameux sucs du Mézenc, et dont les nombreuses rivières descendent alimenter le Rhône.
Le Massif du Mézenc offre à ceux qui s’y attardent des paysages grandioses. De Saint Clément ou de Borée on embrasse à 360° un paysage où les « sucs » (dômes volcaniques) devancent plusieurs rangs de « serres » cévenoles, face à toute la chaîne des Alpes. De Moudeyres ou du Béage le regard porte sur un plateau infini surmonté des sommets les plus élevés du massif, quand, sur l’arrière, apparaissent le Sancy ou le Plomb du Cantal, et le Mont Lozère.
Si l’influence océanique y reste modeste, l’influence continentale y est beaucoup plus présente. En effet, l’hiver est long, la saison végétative particulièrement courte, le printemps furtif, l’été sec malgré des orages, l’automne indien. L’influence méditerranéenne est, elle, déterminante pour le Fin Gras : c’est elle qui permet la fenaison à haute altitude et le séchage sur pré. Le Mézenc est riche d’une flore et d’une faune particulièrement diversifiées. Il abrite de nombreuses espèces rares, et des mesures de protection et de valorisation des milieux les protègent : zone Natura 2000, ZNIEFF, réserve biologique domaniale, sites classés…
Le Massif du Mézenc se caractérise par son terroir situé à plus de 1100 mètres d’altitude. Cas exceptionnel en France, les hommes se sont installés à l’année sur ces hautes terres et vivent avec les contraintes liés à cette caractéristique. Leurs métiers, depuis longtemps, se sont aussi adaptés aux singularités locales. »
Maintenant parlons peu mais parlons bien de foin !
« La qualité du foin de ces montagnes est très propre à l’engrais ; les prés nourrissent beaucoup de plantes aromatiques, l’herbe y est déliée et fine ; elle ne vient jamais fort haute… »
« Voilà bien longtemps que toutes ces vertus ont été découvertes et maîtrisées par les éleveurs du Mézenc. En 1680 on répertoriait dans l’inventaire d’un riche fermier la recette de la vente des bœufs de Pâques. En 1760 les communautés paysannes demandent aux autorités d’ouvrir les chemins pour se rendre aux foires de Fay et de Saint Agrève vendre leurs bœufs gras.
Cet engraissement traditionnel au foin est tout un art. Le foin le plus court, le plus fin est réservé aux bêtes à l’engraissement ; il faut donc non seulement le récolter dans les meilleures conditions (notamment météorologiques mais aussi de maturation) mais aussi pouvoir le retrouver facilement dans la grange. Les éleveurs organisent le stockage de façon très précise afin d’identifier la parcelle de pré dans chaque secteur de la grange. La traçabilité du foin est donc assurée en permanence, depuis le pré jusqu’à l’animal à engraisser pour le donner aux bœufs et aux génisses engraissés l’hiver ; car ces animaux auront le meilleur foin de la grange, le foin court, celui qui pousse le plus haut. Ceci signifie qu’il y a donc deux tris successifs du foin ; le premier est opéré (avec quel soin !) par l’éleveur ; le second par l’animal lui-même amené à devenir l’auteur de son propre destin.
Les « rois de l’étable » ainsi choyés vont progressivement au cours de l’hiver manger de plus en plus de foin, et de plus en plus du meilleur. Non seulement on ne les force pas à manger, on ne les gave pas, mais au contraire, ils choisissent leur pitance, et ce qui est laissé au fond de la crèche sera bon pour le reste du cheptel. Ils en veulent toujours plus ; autrefois les meilleurs éleveurs se relevaient chaque nuit pour « donner un réveillon aux rois de l’étable ».
Au jour le jour, l’éleveur conduit l’engraissement à la vue et au toucher ; et il dose en conséquence le volume de foin, le nombre de prises, les éventuels compléments en céréales. »
« C’est la France centrale avec tous ses Vésuves éteints et revêtus d’une splendide végétation. Il n’est pas un point du sol qui n’ait été soulevé, tordu ou crevassé par les convulsions géologiques…je n’imaginais pas qu’il y ait au cœur de la France des contrées si étranges et imposantes ».
J.Carles, botaniste bien connu, auteur, entre autres, de la carte de la végétation de la France (feuille Le Puy-Valence) nous en dit plus sur la diversité, la qualité et l’originalité de la végétation du massif du Mézenc dans une étude publiée en 1943 par la Revue des Etudes Rhodaniennes.
« Les sources nombreuses et l’irrigation facile se prêtent bien à la multiplication des prairies caractérisées par les inflorescences légères et aériennes des Agrostis et par les fleurs de montagne qui viennent apporter leur note spéciale dans cette flore commune des prés fauchés : le Fenouil des Alpes (Meum Athamanticum Jacq) en particulier, très estimé pour le parfum qu’il donne au foin, devient très abondant dans les prés secs ».
Cette plante, appelée « Cistre » localement, est l’emblème des prés de fauche du Mézenc. C’est « l’herbe à viande » disent certains. M. de Candolle, dans son « Voyage botanique et économique dans les départements du Centre », en 1811 signale même que parmi les plantes médicinales récoltées spécialement au Mézenc figure le Meum Athamanticum qui est connu sous le nom de Cistre.
Typique de la flore des prairies alpines, cette plante, outre son arôme anisé soutenu, possède une particularité étonnante : alors que le bétail l’évite en vert dans les pâturages, il en raffole quand elle est sèche au milieu du foin.
Rarement fauchée et fanée dans les autres hautes terres du Massif Central ou dans les Alpes en raison de son implantation à une forte altitude, elle n’est donc ingérée abondamment que dans le massif du Mézenc. En effet la position particulière du massif, où l’on fauche jusqu’à 1500mètres d’altitude, en fait sans doute l’un des rares massifs ou cette plante aux qualités très spécifiques peut se retrouver dans la panse des bovins et, en tous cas le seul massif à tradition d’engraissement où elle puisse se retrouver dans la saveur de la viande.
La cistre n’est, bien entendu, qu’un exemple, essentiel, de la richesse et de l’originalité des foins du Mézenc puisqu’on y trouve toutes les plantes des prairies subalpines, ailleurs souvent cantonnées dans les pâtures estivales. »
Les fermes, les hommes et leur vie d’éleveurs
« Par leur architecture ou leur implantation, les fermes aux toits de lauze, genêt ou chaume d’autrefois témoignent encore de la nécessaire ingéniosité de ses habitants pour vivre à une telle altitude. D’immenses granges sont nécessaires pour stocker les grandes quantités de foin qui permettront de passer l’hiver, souvent long et rigoureux. Ce n’est pas tant la quantité de neige qui va être un facteur limitant en hiver, mais plutôt « la burle », ce vent qui souffle très fort, sans discontinuer et qui va créer des congères de taille impressionnante. Les routes deviennent alors rapidement impraticables, malgré le balai des chasse-neige. Le travail de l’éleveur ne s’arrête pas pour autant, il doit aller nourrir ses bêtes, être là en cas de vêlage…
Si la production du Fin Gras du Mézenc est encore modeste (environ 500 bêtes à l’année) ; l’élevage concerne la plus grande partie des actifs du massif et l’ensemble de l’économie locale est concerné. Valoriser l’élevage, le métier d’éleveur et boucher, maintenir un environnement préservé est une évidence pour qui veut faire vivre le massif.
L’agriculture occupe la plus grande part des actifs du Mézenc (plus de 40% de la population active) et l’élevage l’essentiel des agriculteurs. Ainsi plus de 90% de la surface agricole sont occupés en permanence par l’herbe : prés de fauche et pâturages se répartissent par moitié. Il y a environ 400 exploitations agricoles dont la surface moyenne est de 50ha et une exploitation occupe en général un à deux travailleurs. On constate également l’existence de nombreux GAEC. »
Le cahier des charges de l’AOC « fin gras du Mezenc »link
Et maintenant Travaux Pratiques avec une OGRESSE Aux Lyonnais, 32, rue Saint-Marc, Paris 2e.
Toujours dans le Monde je lis « Aux Lyonnais, l'un des rares restaurants parisiens à proposer, de début mai jusqu'à la fin juin, du fin gras du Mézenc, le chef Frédéric Thévenet préfère le servir poêlé. Aux fourneaux de cette vieille ambassade de la cuisine lyonnaise, reprise en main, depuis 2002, par Alain Ducasse, ce Clermontois reçoit régulièrement de la boucherie Gauthier un arrière de bœuf de près de 150 kg. Bavette, entrecôte, côte de bœuf sont grillées au beurre, avec un peu d'ail, d'échalotes et de thym, accompagnées de haricots plats aux lardons et au jus de viande. »
Aucune hésitation consultation de mon ogresse préférée puis réservation aux Lyonnais.
Jeudi dernier il pleut il mouille c’est la fête à la grenouille mais je me risque à me rendre au resto à vélo et j’y arrive en passant au travers des gouttes.
J’attends mon ogresse en buvant un verre de Saint-Bris et en réservant la pièce de fin gras du Mézenc.
Elle arrive pimpante et rayonnante comme un oiseau du Brésil tel que celui qu’elle arbore sur son pull immaculé et pailleté.
Nous papotons puis nous commandons.
Planche de charcuterie pour l‘ogresse et œuf cocotte et écrevisses pour le taulier.
Le fin gras du Mézenc bien sûr pour deux saignants.
Le Taulier décrète le vin un Sérol Côtes Roannaise les Blondins cuvée Troisgros.
Tout va bien le service est diligent et sympa, le pain est bon et la cervelle de canut excellente. Mon ogresse apaise son appétit et bien sûr fait des photos pour Twitter.
Excellentes les entrées.
Puis vint le fin gras du Mézenc. Très bel aspect ! La viande est gouteuse mais un soupçon trop cuite. On sent sous la dent du potentiel aromatique mais ils nous semblent de concert que la dizaine de jours de maturation n’est pas suffisante pour que ce fin gras du Mézenc exprime tout son potentiel. J’aurais mieux aimé une belle entrecôte filée de gras, persillée, plutôt que ce tende tranche réputé peu gras, certes excellent, un peu réticent à se livrer. Petite déception donc, sans doute avions-nous trop investi dans ce fin gras du Mézenc. Nous avons passé le message et sommes tout près à refaire l’expérience lorsque l’occasion se représentera et que notre goût pour une viande mûrie soit mieux intégré. Nous sommes des disciples de Le Bourdonnec. Sans doute sommes-nous encore minoritaire mais nos amis anglais, eux, nous ouvrent, pour une fois, la voie vers une viande de haute expression qui magnifie le travail de l’éleveur. Le fin gras de Mézenc mérite ce traitement de faveur. À bientôt sur ces lignes pour suivre le bœuf*… aux Lyonnais… où nous avons bien déjeuner en dépit de nos bémols de grands amateurs de viande mature.
Desserts puis faut y aller : il pleut des cordes mais j'affronte pour arrivé trempé comme une soupe à mon rendez-vous.
* « Les animaux labellisables sont les génisses âgées de 24 mois au minimum et les mâles castrés âgés de 30 mois minimum, élevés sur les communes précédemment citées. Autrefois, les bœufs gras produits sur le Mézenc appartenaient à la race mézine, une race locale qui a disparu dans les années 1960. Aujourd’hui la plupart des animaux de race à viande sont acceptés. Ainsi, le cahier des charges prévoit que les animaux gras peuvent appartenir aux races bovines aubrac, charolaise, limousine et salers. Les animaux issus du croisement de ces races et de croisement entre mère abondance ou montbéliarde et père limousin ou charolais sont également autorisés. Les animaux de type culard ne sont pas acceptés par l'AOC. » Il faudrait peut-être aller vers les races rustiques plutôt que vers les grosses Rolls de concours pour obtenir une viande encore plus gouteuse qui se prêterait à une plus longue maturation...