Les images ont la vie dure dit-on mais celle du français black béret vissé sur la tête, kil de rouge et baguette de pain dans sa musette chère à nos collègues anglo-saxons est à tout jamais engloutie. Même la baguette est, à leur dire, en danger en dépit de ses 10 milliards d’unités annuelles qui fait des Français sans nul doute les plus gros consommateurs de pain en Europe : 99% d'entre eux déclarent le faire quotidiennement avec en moyenne 140 g de pain par jour.
Pas mal non, il subsiste encore dans notre vieux pays 38.000 boulangeries artisanales (la résistance est plus forte que pour d’autres artisans de bouche) Même qu’à Paris il existe un prix de la meilleure baguette : en 2013 c’est Rhida Khadher, de la boulangerie « Au Paradis du Gourmand » 156, rue Raymond Losserand dans qui l’a reçu link et est devenu le fournisseur officiel de l'Elysée pendant un an.
Et pourtant, après avoir combattu le pain quotidien, les nutritionnistes recommandent de consommer entre 3/4 et 1 baguette par jour pour couvrir notamment les besoins en glucides complexes et protéines végétales.
Mais combien coûte une baguette de pain traditionnelle ? Évitez de poser cette question à Bruno Le Maire mon ancien patron, il pourrait prendre la mouche car il avait séché dessus en février 2011. Comptez aujourd'hui en moyenne 88 centimes pour une baguette traditionnelle en boulangerie et 57 centimes en grande surface ! Depuis 1987, les boulangers fixent librement le prix de leur pain.
Répartition du coût d'une baguette en France en 2011. (Chambre syndicale de la boulangerie)
19% imputable aux coûts de la farine, la levure, le sel et l'eau.
53% pèsent sur les salaires et les charges.
11% de frais divers (impôts, emballage, transport, amortissement).
11% pour l'énergie et le loyer.
6% de revenu.
Comparatifs de la baguette et du SMIC (Chambre syndicale de la boulangerie)
En 1970, le smic est à 593 Fr, la baguette à 0.57 Fr.
On peut acheter 1040 baguettes.
En 1980, le smic est à 2392 Fr, la baguette à 1.67 Fr.
On peut acheter 1432 baguettes.
En 1990, le smic est à 5286 Fr, la baguette à 3.14 Fr.
On peut acheter 1683 baguettes.
En 1997, le smic est à 6664 Fr, la baguette à 3.97 Fr.
On peut acheter 1678 baguettes.
En 2008, le smic est à 1309 Є, la baguette à 0.80 Є.
On peut acheter 1636 baguettes.
En 2011, le smic est à 1365,03 Є, la baguette à 0.90 Є.
On peut acheter 1436 baguettes.
NB: En 2000, on est passé à 151 heures au lieu de 169.
La baguette standard est « large d'environ 5 à 6 cm, haute d'environ 3 à 4 cm et longue d'environ 65 centimètres. Les différentes sortes de pains sont caractérisées entre autres par leur poids. Celui de la baguette est d'environ 250 grammes.
La croûte des baguettes est très croustillante et dorée, tandis que l'intérieur, la mie, est blanche et moelleuse. En principe, elle reprend sa forme si on la presse. C'est un critère pour savoir si le pain est de qualité. »
L’article 2 du Décret n°93-1074 du 13 septembre 1993 pris pour l'application de la loi du 1er août 1905 en ce qui concerne certaines catégories de pains indique « Peuvent seuls être mis en vente ou vendus sous la dénomination de : "pain de tradition française", "pain traditionnel français", "pain traditionnel de France" ou sous une dénomination combinant ces termes les pains, quelle que soit leur forme, n'ayant subi aucun traitement de surgélation au cours de leur élaboration, ne contenant aucun additif et résultant de la cuisson d'une pâte qui présente les caractéristiques suivantes :
1° Etre composée exclusivement d'un mélange de farines panifiables de blé, d'eau potable et de sel de cuisine ;
2° Etre fermentée à l'aide de levure de panification (Saccharomyces cerevisiae) et de levain, au sens de l'article 4 du présent décret, ou de l'un seulement de ces agents de fermentation alcoolique panaire ;
3° Eventuellement, contenir, par rapport au poids total de farine mise en oeuvre, une proportion maximale de :
a) 2 p. 100 de farine de fèves ;
b) 0,5 p. 100 de farine de soja ;
c) 0,3 p. 100 de farine de malt de blé. »
Elle est là, et bien là notre sacro-sainte baguette de pain, alors pourquoi diable les médias anglo-saxons s’inquiètent-ils en évoquant notre désamour vis-à-vis d’elle ?
Elaine Sciolino a récemment publié un article dans le New York Times intitulé «Un essentiel de l'alimentation française n'a plus sa place à table».link Cœur du problème: les Français mangent moins de pain et délaissent la baguette, emblème culinaire s'il en est.
« Si la modification des habitudes alimentaires a conduit à la réduction de la consommation de pain, la qualité de la baguette est également pointée du doigt. Elle ne fait pas le poids face à ses concurrentes plus sophistiquées, à l'instar des baguettes «tradition» réputées plus savoureuses. L'Observatoire du pain a lancé une contre-offensive sous la forme d'une campagne d'affichage encourageant les Français à faire du passage à la boulangerie une habitude quotidienne. Les panneaux «Coucou! Tu as pris le pain?» essaiment dans l'Hexagone. » commente le Figaro.
Il est vrai que la baguette est de plus en plus menacée par le marketing : « la Banette, la Tradition, le Bon’heur, la Rustique, la Rétrodor, la Saint Albin, la Paysanne, la Gallega, la Gourmet, la Campaiette, sans oublier l’exotique Finlandaise : Prévert n’aurait pas renié pareil inventaire, hélas loin d’être exhaustif. Car tous ces mots, tantôt latin de boulange, tantôt marques déposées, sont censés remplacer avantageusement le terme de baguette. » note un puriste.
Plus sérieusement selon Steven L. Kaplan, l’historien américain de référence sur le pain, la raison est que panification a suivi deux tendances au cours du siècle dernier : une baisse constante de la qualité de la plupart des produits, et l'émergence d'une nouvelle race des boulangers artisanaux consacrés à l'excellence et de tradition. Pour lui la baisse de la qualité a commencé en 1920 avec le passage de panification lente avec une base de levain à un processus rapide en utilisant des levures. Mécanisation dans les années 1960 qui a contribué à la fabrication du pain qui manquait goût et l'arôme. La tendance a commencé à s'inverser dans les années 1980. Les meuniers français ont fourni aux boulangers de la meilleure farine et un plus grand soutien de la commercialisation. Lionel Poilâne a conjugué production à grande échelle avec pratiques artisanales comme la longue fermentation au levain et four à bois à pâte. La «tradition», comme on l'appelle, est plus chère que la baguette ordinaire, qui utilise des additifs, la fermentation rapide montante et la mécanisation, et représente environ 75 % des ventes de pain du pays.
La journaliste américaine cite Philippe Levin, boulanger dans le 9e arrondissement de Paris depuis 25 ans « Les procédés de fabrication des deux pains ne sont pas du tout les mêmes. Le secret pour faire une bonne tradition c’est le temps, le temps, le temps. La fermentation est très, très lente. Les arômes, le sucre doivent émerger. Il faut de 3 h et demie, à quatre heures du début à la fin. » Pour montrer la différence il tranche une tradition et une baguette classique en deux et la longueur comme pour faire un sandwich. «Regardez toutes les cavités irrégulières, la belle croûte dorée» pour la tradition. « Sentez l'arôme, doux et épicé. Chacune est faite à la main. C'est magnifique! » Pour la baguette, «C'est différent, plus blanc, fait à la machine. » M. Levin vend plus de traditions que les baguettes, même si les baguettes coûtent 20 centimes de moins.
L'art de vivre à la Française est-il vraiment en péril ? Nos chers voisins anglo-saxons ne profitent-ils du relatif déclin de la baguette traditionnelle pour pratiquer encore une fois le «French bashing» ? Je le crois mais je concède que notre morosité affichée favorise ce sport. John Simpson de la BBC se demande «Qu'est-il arrivé à la joie de vivre française?» Roger Cohen, journaliste au New York Times en fonce le clou «le malaise et l'ennui sont à la France ce que l'enthousiasme est aux Etats-Unis: un emblème dont on est fier».
Cependant, sous cette ironie, ces critiques récurrentes, se cachent souvent, comme le note le Figaro, « des compliments, voire parfois des déclarations d'amour à la France et ses habitants, aussi moroses soient-ils. » Dans sa tribune Roger Cohen conclut en estimant qu'il «vaut mieux être malheureux qu'hypocrite, écœuré que naïf - et il vaut même beaucoup mieux être morose qu'idiot».
Morale de cette histoire : si au lieu de nous auto-flageller, de ronchonner, nous prenions enfin conscience que nous vivons dans l’un des endroits de la Terre où il fait encore bon vivre. Cet optimisme, qui d’ailleurs existe dans la sphère privée des Français, nous permettrait de retrouver de l’allant. « J’ai toujours voulu que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver mais ce que nous allons faire. » Henri BERGSON
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