Beaucoup de jeunes, et de moins jeunes aussi, s’étonnent et s’offusquent même de la virulence et de l’agressivité de ceux que nous qualifions d’hygiénistes voire de prohibitionnistes. Même si l’Histoire pour beaucoup se limite à des bribes vaguement retenues de leur parcours scolaire, pour comprendre les motivations et les racines de ceux qui veulent faire notre bonheur à notre place, un zoom arrière est nécessaire.
1943 : la France est entièrement occupée par les Allemands. Création de la Milice, issue du service d’ordre légionnaires, dirigée par le secrétaire général Joseph Darnand, qui s’engage dans la collaboration et la lutte contre la Résistance. En juillet exécution de Jean Moulin, septembre-octobre libération de la Corse, décembre création des FFI et Laval fait entrer au gouvernement les pires collaborateurs : Brinon, Henriot, Darnand…
Pr Robert Debré (1882-1978) est considéré comme l'un des fondateurs de la pédiatrie moderne. Un hôpital bordant le périphérique dans le 19e arrondissement de Paris, porte son nom, ainsi que le CHU de Reims, le pôle enfant du CHU d'Angers, l'hôpital d'Amboise (Indre-et-Loire), et le grand amphithéâtre de la Faculté de Médecine et Pharmacie de Poitiers. Il est le père de Michel Debré (1912-1996) : premier ministre du général de Gaulle et rédacteur de la constitution de la Cinquième République, de Claude Debré médecin et d’Olivier Debré artiste peintre. Il est le grand-père de Bernard Debré : urologue, professeur de médecine, député du XVIe et de Jean-Louis Debré Président du Conseil constitutionnel.
« Avilis, abrutis, les alcooliques sont devenus incapables de soutenir l’effort civique tel que celui qu’impose la guerre. La mobilisation de 1939 fut la cause de l’augmentation importante des psychoses alcooliques. L’armée elle-même est, en 1939, fortement contaminée par l’alcoolisme. Les officiers à leur mess, les troupiers à la cantine, absorbent verre sur verre… » écrivait le Pr Debré en 1945 dans son programme constructif de lutte contre l’alcoolisme comme l’une des causes de la défaite.
Le régime de Vichy, sans mauvais jeu de mots, va mettre les Français au régime sec, selon Didier Nourrisson. « Une des principales causes de notre défaite a été le mauvais état de notre santé… On buvait trop d’alcool. La quantité d’alcool absorbé atteignait le chiffre de 23 litres d’alcool pur par tête d’habitant et par an… Il ne peut y avoir de rénovation en faveur de la santé. La France a besoin d’une cure d’hygiène » La santé de la Nation 1941.
Dès juillet-août 1940 le gouvernement de Pétain prend une série de décrets visant à limiter la production et la consommation d’alcool. Pour les boissons anisées, les apéritifs elle prononce une prohibition partielle et toute publicité pour l’alcool est interdite.
« La consommation du vin chute d’elle-même du fait de la sous-production. La viticulture souffre en effet d’un double problème : l’absence des hommes (prisonniers de guerre ou réfractaires au STO après 1943) ; la pénurie de moyens (manque de carburants pour les moteurs, suppression des approvisionnements en soufre et sulfate de cuivre pour lutter contre les maladies de la vigne). En 1942, la production tombe à 35 millions d’hl, à 28,6 millions en 1945 » note Didier Nourrisson.
Il souligne aussi que, du fait « de l’étatisme même de Vichy » les mesures ne sont guère efficaces : « les cafés ne désemplissent pas et le nombre de bouilleurs de cru aurait doublé entre 1941 et 1944. »
Enfin il note avec pertinence « presque toutes les dispositions vichystes, à l’exception de l’interdiction des apéritifs, se retrouvent dans la législation actuelle. »
Le plan de 10 ans pour lutter contre l’alcoolisme du Comité Médical de la Résistance créé par le Pr Robert Debré
« Le peuple français a été amené à abuser des boissons spiritueuses pour des raisons sociales… Seule une thérapie sociale peut être efficace. En effet, les médecins savent bien que parmi les buveurs, il en est deux catégories bien différentes : les toxicomanes, ceux qui ont un besoin morbide constitutionnel d’un tel poison, en l’espèce le vin à haute dose ou l’alcool. Ceux-ci sont des malades, des sujets tarés ; ils sont peu nombreux et ne nous intéressent guère actuellement. Au contraire, la grande masse des Français qui consomment en abondance des boissons spiritueuses sont parfaitement normaux et équilibrés. Ils boivent pour des raisons sociales. La bourgeoisie française – les très rares toxicomanes mis à part – n’est nullement alcoolique. Dans ce milieu social, on aime les bons vins, on le déguste et on apprécie les liqueurs fines et raffinées. Mais en réalité, point d’alcoolisme. Si l’ouvrier et le paysan de même souche, de même constitution physique et psychique boivent, on sait pourquoi. Il faut le rappeler.
L’ouvrier a un logis étroit, surpeuplé, où s’entassent ses enfants, parfois une demeure sordide ; l’ouvrier agricole n’a pas de chambre pour lui, parfois pas de lit. Quel lieu de réunion est offert à l’ouvrier, quel lieu où il pourrait se distraire, lire, parler avec ses compagnons, jouer aux cartes ou au billard avec ses amis ? Où irait-il sinon au café ? Après huit heures de travail à la chaîne, fatiguant, abrutissant aussi, quelle évasion peut trouver le travailleur, si ce n’est en excitant son esprit par la boisson ? Par une lutte vigoureuse contre le patronat, les prolétaires ont obtenu une augmentation de leurs salaires et de leurs loisirs, mais, par un dispositif satanique, tout les a poussés à dépenser leurs salaires et à occuper leurs loisirs au cabaret. »
La source de cette chronique est la Bible de Didier Nourrisson « Crus et cuites Histoire du buveur »